Si un type joue 3 heures sur le même BT mais qu'à chaque fois il joue quelque chose de différent, ça reste de l'impro pour moi. Le but c'est d'essayer d'apprendre à "générer" quelque chose de cohérent, idéalement joli et agréable à écouter pour un auditoire "moyen", qui n'accrochera pas sur des détails. Avec un thème, un "sujet" à illustrer, on peut deviner en partie l'intention du musicien, et si le jeu s'éloigne trop de l'ambiance (ex. un passage staccato rapide sur une balade mélancolique avec accompagnement de violoncelles lents) peu importe l'intention, le résultat ne sera pas "cohérent", sauf exception, avec l'ambiance de la pièce.
Pour les détails, évidemment qu'on peut facilement tomber dans la "subjectivité" des goûts de chacun, mais là ça nous ramène à la question: à qui la musique est-elle destinée?
Pour Bach et ses contemporains, la musique était destinée à Dieu, sous forme de prière, de louange, etc. En la destinant dorénavant aux humains en général, puis à des auditoires de plus en plus spécialisés, la musique peut-elle encore "illustrer le sujet" ? Par exemple, pour qu'un type comme Guthrie Govan puisse improviser de façon brillante et jolie sans vraiment arriver à émouvoir chaque auditeur à chaque impro, cela ne serait-il pas dû au fait que certaines impros soient réalisées sans véritable "intention", celle "d'illustrer un sujet"? Une fois la technique acquise, que reste-t-il à développer pour rendre le jeu unique et attrayant, pour capter l'intérêt des auditeurs? La virtuosité n'amusera que les passionnés, sauf si elle tient compte du facteur "message", le lien entre l'auditeur profane et le musicien. Et sur ce point, arriver à improviser aussi efficacement qu'on pourrait composer, pas facile, mais pas impossible. La clé, c'est l'intention, et son rapport avec l'ambiance générale de la pièce. L'harmonie, quoi!
Si on prend soin de ne pas jouer de façon "automatique", de rester concentré sur le développement d'un solo qui illustrera le sujet, plutôt que simplement "meubler l'accompagnement", on a de bonnes chances d'apprendre à improviser de façon captivante, selon moi. On n'a qu'une vie, on ne va pas la passer à jouer les mêmes trucs! Et comme les humains ont souvent tendance à reprendre une recette qui a déjà fonctionné, il s'agit de développer l'auto-discipline qui nous gardera "éveillés" tout au long de l'impro, en nous gardant des automatismes et de la facilité. Plusieurs fautes techniques surviennent à cause d'une baisse de concentration, et il devient évident qu'en apprenant à "rester éveillé" en jouant apportera plus de résultats qu'apprendre toutes les combinaisons de notes possibles par coeur à haute vitesse. Et les impros n'en seront que plus intéressantes. Se concentrer à essayer de "dire quelque chose" plutôt qu'à simplement "bien jouer".
Le principal organe à faire travailler en musique, ce n'est pas la main gauche ou droite, le poignet ou les doigts: c'est le cerveau. C'est lui qui commande le tout, et s'il ne sait plus quoi jouer, ça s'entend facilement. Les mains peuvent bien prendre la relève pendant quelques mesures avec des automatismes, mais le feeling n'est plus le même, la pièce n'est plus "habitée".