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Ikkei le 05 Janv 2006, 05:49
Théorie ou feeling, c'est un débat vieux comme le monde. Personnellement, j'ai une approche assez universaliste de l'art (qui vise le consensus), je considère donc que c'est quelque part un faux débat. Et par conséquent, je suis assez fortement opposé à toute approche trop partiale, d'un côté ou de l'autre, de la musique.
Revenons au fond des choses : qu'est ce que composer ? Tout comme l'acte d'écrire un texte, composer regroupe plusieurs étapes.
1. Formuler une idée, un message, une mélodie dans le cas de la musique. Cela ne requiert aucune technique particulière, c'est uniquement le désir d'expression, la volonté de "dire" quelque chose. Comme c'est la brique fondamentale, c'est ce que l'auditeur (ou le lecteur d'un texte) va retenir au final, c'est ce qu'il va synthétiser. Cette musique me rend triste. Ce poème me fait mal.
2. Mettre en forme, styliser, colorer. Je compose comme Bono ou comme Django. J'écris comme Maupassant ou comme Boris Vian. Si chacun peut exprimer le même message, on n'a pas tous la même façon de le dire. A ce stade de la composition, contrairement à la première phase qui est purement personnelle (disons originale, créatrice), on ne crée rien. On se "contente" de reproduire, plus ou moins consciemment, plus ou moins volontairement, ce que l'on a déjà entendu (ou lu). On s'apparente à un genre, tel que Jazz, Classique ou Rock. On s'inspire de tel ou tel artiste. On recherche telle ou telle ambiance. La technique permet de se repérer et de savoir ce que l'on manipule (comme un écrivain utiliserait des formes adverbiales plus que des adjectifs, un style direct plutot qu'indirect, etc). Mais aussi et surtout, la connaissance en tant que mélomane (ou lecteur) vient nourrir le compositeur de milliers d'idées subconscientes, et l'esprit humain mélange tout cela pour produire un résultat. La technique, si elle aide à ce stade (c'est évident), n'est pas un pré-requis obligatoire, loin de là. Je peux écrire un magnifique livre sans avoir BAC+5 en lettres, je peux composer un beau morceau sans avoir BAC+5 en musique. Par contre, cela sera presque impossible sans avoir d'une part une forte sensibilité à la musique, d'autre part avoir entendu beaucoup de choses. La sensibilité me permet de mémoriser, mieux que celui qui n'en a pas ou peu, les multiples choses que j'ai entendues, tout comme un peintre ne peut composer son oeuvre sans avoir un sens développé et surtout volontaire de l'observation.
3. L'arrangement, la finition, la mise en place concrète du morceau. C'est le plus technique, à tel point que nombreux sont les artistes qui cèdent leur place ou la partagent avec des ingé sons et autres musiciens afin de venir à bout de cette étape finale. C'est ainsi que d'une simple mélodie au piano accompagnée d'un texte on aboutit à un morceau complet, arrangé et pourquoi pas masterisé. De nos jours, il ne suffit pas de connaître la musique, il faut aussi connaître les instruments (comme avant) et le matériel pour aboutir à une oeuvre diffusable. Si l'objectif est purement live, on peut s'affranchir du matériel.
Ce que je tente d'exprimer dans ce post, c'est le cheminement de la musique depuis son "coeur", sa sensibilité, vers quelque chose de fini, concret, formaté (dans le bon sens du terme). Les formats et les étiquettes permettent aux auditeurs, au compositeur en premier, de classer dans leur mémoire les morceaux de musique. Si la technique permet de mettre un nom sur tout cela, il est évident qu'on peut être mélomane sans s'y connaître, car toute la technique musicale ne fait que structurer un processus existant a priori dans l'esprit humain ; tout comme les maths ne sont que l'expression technique de choses conceptualisées par défaut dans l'esprit. Le naturel que l'on a dans son approche personnelle n'est qu'une question de goût, d'aptitude, de compétences (auditives pour nous musiciens), de sensibilité. Certains voient un univers vaste dans le rock, d'autres trouvent que tout se ressemble. Que dit la technique ? Elle définit un cadre et des possibilités, mais elle ne remplace en aucun cas l'instrument fondamental que nous avons tous dans le cerveau.
Pour composer, je dirais donc que la technique aide grandement à formuler les choses, notamment dans l'improvisation qui demande des repères précis. Mais je peux être un très mauvais improvisateur indépendamment de ma théorie, si je n'ai pas la sensibilité de la musique et du genre. C'est ainsi, il y a des bons et des mauvais, compositeurs, improvisateurs, musiciens, indépendamment des années d'études, comme dans tous les domaines de l'art, comme pour tout les métiers/passions. Je dirais simplement qu'on est mieux parti lorsqu'on aime quelque chose.
Personnellement, pour conclure ce long message (pardonnez-m'en), j'ai commencé la guitare vers 18 ans sans aucune formation technique. Je n'ai jamais pris de cours depuis. Il est clair que je ne suis pas un bon musicien, mais on a souvent qualifié mon jeu de "beau, émotionnel". Ca me satisfait puisque mon but est de toucher les émotions, de plaire à tous plutôt qu'aux seuls musiciens. Mon vrai dada est la compo ; ne sachant pas le solfège j'utilise des logiciels tous simples pour noter mes morceaux en tablatures. Grâce au matériel moderne, je peux aller très loin dans la compo et les arrangements (8 pistes, instruments rock et classiques, etc). Je n'ai aucune autre prétention que celle d'exprimer quelque chose, et certains de mes morceaux m'ont été "demandés" par ceux qui les ont entendu. "Tu pourrais me graver les trucs que tu m'as fait écouter ? J'adore, je les ai tout le temps dans la tête..." Que ce soit cet ami qui achète 2 CD par an et n'a jamais touché un instrument, ou cet autre ami qui fait de la basse jazz à niveau pro depuis 10 ans, ça me touche de la même façon.
Que puis-je dire de plus ? Cela signifie, pour moi, non pas que je suis un grand compositeur, simplement que ces morceaux ont rempli leur "objectif", le mien en tout cas : provoquer de l'émotion, faire naître une mélodie qui racontait quelque chose, que d'autres ont eu envie de rejouer dans leur tête, de fredonner dans la rue. La musique n'est rien d'autre que cela pour moi. Les 90% de mélomanes qui n'y connaissent rien en technique ne se demandent pas si c'est du 4 accords ou des gammes obscures et complexes, ils ont simplement envie d'écouter un morceau plutôt qu'un autre, et cela je pense qu'il ne faut jamais l'oublier en tant que compositeur, et surtout en tant qu'auditeur. Si on la compose avec ses tripes, avec de la technique (au bout de 5-6 ans de compo je commence quand même à avoir mes recettes, mes automatismes, des idées plus précises sur ce à quoi je veux et je peux aboutir), au final cela doit être compris par tous, et l'amour qu'on portera à un morceau s'affranchit totalement de son processus de création.
Si tant est qu'on crée lorsqu'on compose, et je le répète il n'y a guère que la mélodie fondamentale qui est de la pure création, le reste est tout au plus original ou novateur, mais reste un mélange de l'existant. On mettra un bémol pour les nouveaux genres (à raison de 3 ou 4 par siècle), tout comme j'aurais pu faire un poème pour raconter tout cela : mon message voudrait dire la même chose (c'est la seule touche originale, créatrice de la composition littéraire ou musicale), seule la forme serait différente (et j'aurais copié les 100 poètes qui me plaisent et que je connais). Aurais-je eu besoin d'un BAC+25 en poésie ? Pas nécessairement. En avoir lu des tas, aimer ça, et aimer en écrire sont probablement ce qui m'aurait aidé le plus.