"Sur la télévision" j'avais lu le petit bouquin, très intéressant et toujours d'actualité bien sûr. En revanche j'avais essayé "La reproduction" mais c'était vite abandonné : clairement pas de mon niveau
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Les prédications d’Alain Finkielkraut : « Mon savoir absolu sur les quartiers populaires »
Nous nous disions jusqu’alors : si Alain Finkielkraut n’existait pas, il faudrait l’inventer. Mais depuis que ce médecin des âmes a ausculté le mal qui ronge les quartiers populaires, posé son diagnostic et proposé ses remèdes, on n’a plus le goût de plaisanter. D’autant que les arbitres des bienséances médiatiques se gardent bien de protester.
Alain Finkielkraut est un vrai persécuté. On ne le voit, l’entend, ne le lit nulle part. Mieux : La défaite de la pensée [1] est la défaite de sa pensée. Autant dire : sa propre défaite.
Et pourtant, outre les 50 minutes des son émission « Répliques » sur France Culture où, sous couvert de discussion avec d’autres, il débat surtout avec lui-même [2], on a pu bénéficier de ses lumières sur l’embrasement de quartiers populaires dans un nombre considérable de médias :
- sur RCJ « La radio communautaire juive » les 6, 13 et 20 novembre 2005 dans l’émission « Qui vive », au cours de laquelle « Chaque dimanche, le philosophe [sic] Alain Finkielkraut livre son regard sur l’actualité ».
- dans l’émission « Ripostes » sur France 5 le 13 novembre 2005, il redit la même chose... dans les mêmes termes que ceux que l’on retrouvera ailleurs
- dans Le Figaro, du 15 novembre 2005 (propos « recueillis » par Alexis Lacroix), « Le philosophe [sic] Alain Finkielkraut dresse un premier bilan des émeutes dans les banlieues. ».
- dans le supplément hebdomadaire du quotidien israélien Haaretz daté du 18 novembre, dont on peut lire des extraits traduits de l’hébreu et présentés sous forme thématique par Michel Warschawski et Michèle Sibony sur le blog « Tout est dans tout » qui publie « La feuille de chou » n°56 [3].
D’une prestation à l’autre, Alain Finkielkraut, se récitant lui-même, ressasse exactement les mêmes formules, à une nuance près : dans la version israélienne, il se commente avec une telle délicatesse que l’on pourrait soupçonner un double langage qui varie selon le pays d’accueil.
Les origines du mal
Notre imprécateur, privé de parole dans les médias et proscrit dans son propre pays, sait. Mais que sait-il ? Avec toute l’assurance de celui qui sait sans savoir, il sait que les causes sociales n’expliquent pas tout. Mais il sait surtout qu’elles n’expliquent rien.
Le déni de réalité étant indispensable, toutes les causes sociales sont éliminées une à une.
Péremptoire dans l’émission « Qui Vive » de RCJ, le 6 novembre, Finkielkraut tranche : « Il n’y a pas de lien de cause à effet entre l’aggravation des inégalités, la tristesse des banlieues, le chômage, la pauvreté, la précarité... et des actes pareils. »
Nuancé dans Le Figaro. Alexis Lacroix lui demande-t-il si « cette violence ne serait donc pas une riposte à l’abandon des « territoires perdus » ? », Alain Finkielkraut réplique : « Si ces territoires étaient laissés à l’abandon, il n’y aurait ni autobus, ni crèches, ni écoles, ni gymnases à brûler. » Façon de dire que tout ne va pas si mal... Des propos identiques, au mot près, à ceux qu’il tient dans l’émission « Ripostes » et qu’il répète dans les colonnes de Haaretz : un signe d’extrême rigueur...
Mais dans Haaretz justement, sous couvert d’éviter les réponses « réductrices », Finkielkraut remplace les explications qu’il juge insuffisantes par une explication autosuffisante :
« En France on voudrait bien réduire les émeutes à leur niveau sociologique. Voir en elles une révolte de jeunes de banlieues contre leur situation, la discrimination dont ils souffrent et contre le chômage. Le problème est que la plupart de ces jeunes sont noirs ou arabes et s’identifient à l’Islam. Il y a en effet en France d’autres émigrants en situation difficile, chinois, vietnamiens portugais, et ils ne participent pas aux émeutes. Il est donc clair qu’il s’agit d’une révolte à caractère ethnico-religieux. »
Et comme si cela ne suffisait pas, quand on lui demande s’il ne s’agit pas d’ « une réponse des Arabes et des Noirs au racisme dont ils sont victimes », Finkielkraut devient méditatif :
« Je ne le pense pas, parce que cette violence a été précédée de signes annonciateurs très préoccupants que l’on ne peut réduire à une simple réaction au racisme français. Prenons par exemple les événements qui ont accompagné il y a quelques années le match de football France-Algérie, ce match s’est déroulé à Paris au Stade de France, on nous dit que l’équipe de France est adorée par tous parce qu’elle est "black blanc beur" , en fait aujourd’hui elle est "black black black" ce qui fait ricaner toute l’Europe. Si on fait une telle remarque en France on va en prison [sic] mais c’est quand même intéressant que l’équipe de France de football soit composée presque uniquement de joueurs noirs. »
On n’insistera pas sur les résonances de tels propos...
Il reste que la « révolte ethnico-religieuse » doit avoir des causes qui lui ressemblent et que ses auteurs doivent être aussi ethniques que possible. Ce sont :
- D’abord des émissions de télévision : « C’est de ce genre d’émission (« Tout le monde en parle »), quand ils ne regardent pas Al Jazeera, que se nourrissent les émeutiers. Ça plus les « Guignols de l’info ». Voilà ce qui devrait être la préoccupation des politiques ! » Alors ? « Alors qu’on arrête de nous parler de la tristesse urbaine, de l’absence de perspectives, etc. Le problème n’est pas de cet ordre. » Ou dans Le Figaro : « La vulgarité sans fond des talk shows, la brutalité des jeux vidéos, l’éducation quotidienne à la simplification et à la méchanceté rigolarde par les « Guignols de l’info » - tout cela est hors de portée des hommes politiques. S’ils s’y opposaient d’ailleurs, les éditorialistes dénonceraient aussitôt une atteinte totalitaire à la liberté d’expression. »
Faut-il comprendre que les politiques doivent interdire, pêle-mêle, Al Jazeera, les « Guignols de l’info » et « Tout le monde en parle » ? Pas sûr... D’autant que notre intellectuel de télévision s’est déjà rendu sur le plateau de Thierry Ardisson ainsi que sur celui d’autres émissions du même acabit (« On ne peut pas plaire à tout le monde », par exemple). Mais ce qui est certain, c’est que les politiques devraient s’en préoccuper plutôt que de se pencher sur la misère des quartiers populaires.
- Ensuite... les victimes des discriminations qui en sont elles-mêmes responsable et l’antiracisme : « Imaginez que vous gérez tous deux [les deux journlistes d’Haaretz] un restaurant et vous êtes antiracistes, vous pensez que tous les hommes sont égaux et en plus vous êtes juifs, c’est-à-dire que pour vous parler d’inégalité entre les races pose problème, et imaginez qu’un jeune des banlieues vienne demander un emploi de serveur, il a l’accent des banlieues, vous ne l’engagerez pas, c’est très simple. Vous ne l’engagerez pas parce que c’est impossible. Il doit vous représenter, et ceci exige de la discipline de la politesse et une manière de parler. [...] Mais je pense que l’idée généreuse de guerre contre le racisme se transforme petit à petit monstrueusement en une idéologie mensongère. L’antiracisme sera au vingt et unième siècle ce qu’a été le communisme au vingtième » (Haaretz)
- Enfin... les jeunes français nées de parents immigrés et les étrangers immigrés,
« Le problème est qu’il faut qu’ils se considèrent eux même comme Français. Si les immigrants disent : « les Français » quand ils parlent des blancs, alors on est perdus. Si leur identité se trouve ailleurs et ils sont en France par intérêt alors on est perdus. [...] C’est effectivement un grand problème : nous vivons dans une société post nationale dans laquelle pour tout le monde l’Etat n’est qu’une question d’intérêt, une grande compagnie d’assurance, il s’agit là d’une évolution très grave. Mais s’ils ont une carte d’identité française, ils sont Français et, s’ils n’en ont pas, ils ont le droit de s’en aller. Ils disent : « Je ne suis pas Français, je vis en France, et en plus ma situation économique est difficile. » Personne ne les retient de force ici , et c’est précisément là que se trouve le début du mensonge. Parce que s’ils étaient victimes de l’exclusion et de la pauvreté ils iraient ailleurs. Mais ils savent très bien que partout ailleurs, et en particulier dans les pays d’où ils viennent, leur situation serait encore plus difficile pour tout ce qui concerne leurs droits et leurs chances. ». (Haaretz)
Toute ressemblance avec les thèses du Front national serait purement fortuite.
Le goût de la vérité et le sens des événements
Finalement, tout cela est la faute de l’école qui n’enseigne pas LA vérité selon Finkielkraut.
On appréciera tout particulièrement les dits et non dits de ce Savoir absolu sans la version offerte au Figaro : « [...] au mépris de la vérité, l’école française noiera donc demain la diversité des traites négrières dans l’océan de la bien-pensance anti-occidentale. On enseignera la colonisation non comme un phénomène historique terrible et ambigu, mais comme un crime contre l’humanité. Ainsi répondra-t-on au défi de l’intégration en hâtant la désintégration nationale. »
Au nom de la « diversité des traites négrières », Finkielkraut se dispense et nous dispense de considérer explicitement l’esclavage comme un crime contre l’humanité. Et la colonisation - terrible certes, mais ambiguë - n’étant pas condamnable comme un crime contre l’humanité cesse d’être tout simplement et explicitement condamnable.
Dans Haaretz, ces non-dits tournent à la dénégation pure et simple. Amalgamant l’islamisation des noirs américains et les crétineries intolérables sur la responsabilité des juifs dans l’esclavagisme, Finkielkraut, tout en nuances, enchaîne :
« [...] le principal porte parole de cette théologie en France aujourd’hui c’est Dieudonné, c’est lui qui est aujourd’hui le vrai patron de l’antisémitisme en France, et non le Front national. Mais en France au lieu de combattre son discours on fait précisément ce qu’il demande : on change l’enseignement de l’histoire coloniale et de l’histoire de l’esclavage dans les écoles. On y enseigne aujourd’hui l’histoire coloniale comme une histoire uniquement négative. On n’enseigne plus que le projet colonial voulait aussi éduquer, apporter la civilisation aux sauvages [sic]. On ne parle que des tentatives d’exploitation, de domination, et de pillage. Mais en fait qu’est ce que veut Dieudonné ? Il exige une « shoah » et pour les arabes et pour les noirs, mais si l’on met la shoah et l’esclavage sur le même plan alors on est obligé de mentir, car ce n’était pas une shoah. Et ce n’était pas un crime contre l’humanité parce que ce n’était pas seulement un crime. C’était quelque chose d’ambivalent. Ainsi en est-il également de l’esclavage. Il a commencé bien avant l’occident. En fait, la spécificité de l’Occident pour tout ce qui concerne l’esclavage c’est justement tout ce qui concerne son abolition. L’abolition de l’esclavage est une question européenne et américaine. Cette vérité là sur l’esclavage il est maintenant interdit de l’enseigner dans les écoles. »
A cette « vérité » censurée, notre philosophe en oppose une autre. Après avoir prophétisé dans l’émission « Qui Vive » que « le pogrome est l’avenir de l’homme », il diagnostique dans Le Figaro : « La violence actuelle n’est pas une réaction à l’injustice de la République, mais un gigantesque pogrome antirépublicain ».
Si les mots ont un sens - et même pour Finkielkraut, ils en ont un - le choix du terme de « pogrome » ne doit rien au hasard. Notre fin lettré le sait : « pogrome » désigne (selon le Petit Robert) « un soulèvement violent organisé contre la communauté juive ». Ainsi les formes de violence et de révolte qui déplaisent à notre héros de la pensée seraient - essentiellement et donc potentiellement - pénétrées d’antisémitisme. Fier de sa formule, Alain Finkielkraut la commente ainsi dans Haaretz : « Contrairement à d’autres, moi je n’ai pas parlé d’Intifada des banlieues, et je ne pense pas qu’il faille utiliser ce terme.[...] Quoi qu’il en soit, ici il n’y a pas d’attentats et on se trouve à une autre étape : je pense qu’il s’agit de l’étape du pogrome anti-républicain. Il y a des gens en France qui haïssent la France comme république. » Le pogrome antirépublicain est bien la première étape d’une Intifada pogromiste.
La défaite du penseur et l’arbitrage de ses pairs médiatiques
Extraits des échanges dans Haaretz :
- Question : « Et que va-t-il se passer en France ? »
- Réponse : « Je ne sais pas je suis désespéré. [...] »
- Question : « Alors votre conception du monde n’a aucune chance ? »
- Réponse : « Non. J’ai perdu. Pour tout ce qui concerne la lutte sur l’école, j’ai perdu. C’est intéressant, parce que quand je parle comme je parle, beaucoup de gens sont d’accord avec moi. Beaucoup. Mais il y a quelque chose en France, une espèce de déni qui provient des « bobos », des sociologues et des assistants sociaux, et personne n’a le courage de dire autre chose. Ce combat est perdu, je suis resté en arrière. »
La défaite de Finkielkraut, englobant dans le même mépris (la même haine, à peine policée) les « bobos », les sociologues et les assistants sociaux est émouvante. Encore heureux que ni les sociologues, ni les assistants sociaux ne se voient pas confier une émission sur France Culture et une autre sur RCJ, qu’ils ne soient pas interrogés trop souvent par Le Figaro ou Haaretz et invités aussi souvent que lui à la télévision, Alain Finkielkraut pourrait être tenté de demander leur interdiction, comme il est tenté de le faire pour « Les Guignols de l’Info ».
On n’opposera pas à cette tentation cette autre : persécuter le persécuté. En revanche, on ne se privera pas de poser cette question : jusqu’à quand les grands moralistes qui monologuent de « tribunes libres » en « chroniques », d’ « éditoriaux » en « libres opinions » attribueront-ils de tels propos à des exercices de méditation philosophique et se tairont-ils sur leurs accents racistes ?
Encore longtemps, semble-t-il.... Dans un article du Nouvel Observateur titré « Le Pen reprend l’offensive : ’Je vous l’avais bien dit !’ » (17 novembre 2005), Claude Askolovitch rapporte des propos du Front national qui accablent Alain-Gérard Slama (de France Culture et du Figaro) et Alain Finkielkraut (de France Culture et... d’un peu partout) en leur apportant le soutien de l’extrême droite. Mais Askolovitch relativise aussitôt les compliments du Front national et vole à leur secours : « Ses rivaux [à Le Pen] emprunteraient désormais à son analyse, mais aussi à ses solutions. (...) les intellectuels deviendraient nationalistes. « Quand je lis Alain Finkielkraut ou Alain-Gérard Slama dans « Le Figaro », je vois des articles que je pourrais signer », affirme Louis Aliot, le jeune secrétaire général du Front. Il approuve les éditorialistes contempteurs des casseurs d’écoles et dénonciateurs du discours antifrançais. Evidemment, Aliot triche. Ni Slama, ni Finkielkraut, ni Chirac ne prônent la préférence nationale, ou demandent, comme Le Pen, la suppression des allocations familiales aux étrangers. »
Ces précisions destinées à exonérer Alain Finkielkraut du parrainage dont il bénéficie permettent de banaliser des proximités manifestes.
Quand Alain Finkielkraut relativise l’esclavage et la violence coloniale, quand il impute aux origines nationales des parents la violence de leurs enfants, quand (« black, black, black »...) il suggère que l’équipe de France de football n’a pas la couleur requise, quand à propos des immigrés sans carte d’identité française, il proclame que « Personne ne les retient ici ! » (variante philosophique du slogan xénophobe qui les invite à « retourner chez eux »), les « grands » éditorialistes et chroniqueurs - ces penseurs qui pensent pour nous dans les médias - disculpent ou se taisent.
Une telle indulgence est-elle une énigme ? Pas vraiment.
Henri Maler