DuncanIdaho a écrit :
La question que je pose est en fait assez ciblée. J'ai lu ici l'avis de Philou qui est croyant, je sais qu'il est de formation scientifique, et j'aimerais savoir comment il arrive à concilier les deux, s'il accepte certaines contradictions, bref, comment il se dépatouille avec tout ça
. Bien sûr, la même question s'adresse à tous : comment faites vous cohabiter vos croyances religieuses (quelles qu'elles soient) avec vos croyances scientifiques ?
En plus d'être un scientifique, je suis un Matheux. Certes, je n'en fais plus beaucoup, mais j'en faisais pour le plaisir (si si, ça existe). C'est juste un préambule pour ceux qui vont me prendre pour un original un peu barré.
Il est amusant de constater que dans la partie la plus rigoureuse de la connaissance humaine, les maths, il y a des pans entiers qui reposent non pas sur la démonstration, mais sur l'expérience.
Prenons le cas des axiomes de la géométrie euclidienne:
I.1. Deux points distincts sont sur une et une seule droite.
I.2. Sur une droite, il y a au moins deux points. Il existe au moins trois points non alignés.
I.3. Trois points non alignés sont sur un et un seul plan.
I.4. Si deux points d'une droite sont sur un plan, tous les points de la droite sont sur ce plan.
I.5. Il existe au moins quatre points non coplanaires. Si deux plans ont un point commun, ils en ont au moins un autre.
Démonstration : Impossible.
Démonstration du contraire : Impossible.
Les axiomes sont donc des "vérités" admises non démontrées, sur lesquels on batit un édifice rigoureux. David Hilbert a démontre que la géométrie euclidienne est satisfaisante car les axiomes sont indépendants et cohérents. Les efforts d'abstraction, importants, notamment avec l'algèbre linéaire et ses applications calculatoires (via les classiques produits scalaires sous la forme d'intégrales, par exemple) se basent peu ou prou, de manière logique, sur cet héritage de la géométrie basique acceptable par un enfant de 7 ans. Les mathématiques sous tendent beaucoup de sciences, la physique, l'économie, etc.
Donc : enlever un axiome de la géométrie euclidienne, c'est foutre en l'air le monde tel qu'on le connait. Or ces axiomes ne sont pas démontrés, ils sont juste constatés. On peut prendre d'autres axiomes et définir d'autres géométries. L'esprit demeure le même : des axiomes de départ génèrent des propriétés.
Le cerveau humain est donc capable de raisonner rigoureusement sur une matière de départ, de minimiser la matière génératrice de son raisonnement (expliciter une base au sens des espaces vectoriels du terme), mais pas de se passer de cette matière et décrivant la réalité en démontrant TOUT.
Par ailleurs, Gödel a démontré en 1931 deux résultats mathématiques :
- Il se peut que dans certains cas, on puisse démontrer une chose et son contraire (inconsistance).
- Il existe des vérités mathématiques qu'il est impossible de démontrer (incomplétude)
Attention, ces théorèmes sont valables dans un système formel bien défini. Certaines personnes détournent ce théorème pour leur faire dire n'importe quoi. Ici, je parle bien de système formel défini rigoureusement. Dans ce cadre, c'est tout de même un résultat remarquable.
De plus, on sait, depuis Eisenberg, qu'on ne peut connaitre avec suffisamment de précision la vitesse et la position d'une particule. La constante minorant le produit des deux deltas étant ce qu'il est, on s'en fout pour la vie quotidienne. Moralement, ça montre quand même qu'on est limité par essence dans notre perception.
Je trouve que tous ces éléments font que la science est un outil formidable, mais un outil limité. Il est suffisamment rigoureux pour décrire la nature de manière satisfaisante à notre échelle. Et c'est logique, puisque c'est le cerveau humain qui formalise. Il est suffisamment rigoureux pour énoncer ses propres limites. Mais il ne saurait tout décrire.
Les écrits de la Bible sont difficiles. Et pas seulement pour des questions de concordance scientifique. Ce n'est pas pour rien si des théologiens se crêpent le chignon sur l'interprétation de tel ou tel passage délicat, sur la cohérence de l'ensemble etc. Contrairement à ce qu'on peut croire, le milieu théologique apporte une critique acérée de ce qu'on présente aux ouailles comme "acquis".
En ce qui me concerne, le message central de la Bible (l'amour de Jésus) et la science ne sont pas antithétiques, car la science fait appel à la Foi. La foi dans la validité des axiomes énoncés ci-dessus par exemple. La foi que le soleil se lèvera demain. Ce n'est pas parce qu'on est habitué à un mécanisme qu'on sait le démontrer rigoureusement. Les lois de Kepler décrivent les trajectoires elliptiques des planetes et des corps célèstes. On n'en discute pas. On constate (ça fait des milliers d'années que ça se passe (encore un acte de foi : je n'y étais pas à l'époque)). Et on ne discute pas de cette foi-là. Selon moi tout le monde a la Foi. La foi en quoi ? En la science. En soi. J'ai choisi de mettre ma Foi dans le Dieu décrit dans la bible et cet acte est plus conscient que la foi que je mets dans des événements aussi banals que la croyance selon laquelle demain le soleil se lèvera, ne serait-ce que parce que je n'ai jamais remis en cause le fait que demain le soleil se lèvera. Alors que j'ai remis en cause l'existence de Dieu à une époque de ma vie.
A mon humble avis, un homme quelconque, croyant ou pas, qui fait un effort de réflexion sur sa condition, se rend compte qu'il est un être "fréquentiel", ne remettant en cause que des événements peu fréquents et prenant les autres pour acquis. D'ailleurs, qu'est-ce qu'un miracle ? C'est un événement hautement improbable.
L'homme est très dépendant de l'espace, du temps, et de la fréquence des choses. C'est très fragile quand on y réfléchit bien.
Yngwie forever.