Citation:
Les quelques rares rituels de passage toujours présents en Occident (fête de naissance, mariage, collation des grades) ne sont plus incontournables, ils s'effectuent sur une base volontaire sans l'adhésion unanime de l'institution sociale.
Le monde moderne, confronté à un futur insaisissable, à une surenchère de l'imprévisible sur le probable et à l'absence d'unanimité sur les valeurs à privilégier au sein de la sociabilité, ne peut guère transmettre dans ces conditions un savoir qui s'élabore au présent pour l'essentiel et se périme au plus vite.[...] Aucune écluse rituelle n'est plus en mesure de favoriser le passage propice et unanime à l'âge d'homme en garantissant au jeune que son existence possède une signification et une valeur [...][13]
C'est ainsi que, si on reconnaît d'emblée une fonction rituelle aux marquages traditionnels -- c'est-à-dire aux marquages pratiqués dans le cadre de cérémonies planifiées et mises en oeuvre par la communauté, d'aucuns manifestent une résistance certaine à attribuer un sens rituel à ces manifestations contemporaines. Cependant, bien que la forme traditionnelle du rituel ne soit pas entièrement présente dans l'exercice moderne du tatouage, en partie par l'absence d'une signification commune et univoque, il n'est pas interdit de penser que ce dernier conserve néanmoins des propriétés aptes à lui faire assumer des fonctions rituelles comme celles d'apprivoiser des moments charnières de l'existence et de conférer un sentiment de maîtrise et de stabilité.
Le tatouage contemporain se réfère à une histoire individuelle, ou à celle d'un groupe restreint; il est velléité de communication, recherche d'identité. C'est une complainte narcissique sur une vie particulière et, en cela, il marginalise. Alors que les inscriptions des civilisations sans écriture, elles, rendent possible l'équilibre entre identité et appartenance à une collectivité. Non seulement elles facilitent l'intégration de l'individu à la communauté, mais elles constituent un rituel indispensable de l'accession à la dimension sociale. Le tatouage du marginal renvoie au corps propre, le tatouage du primitif renvoie au corps social.[14]