Le groupe Odeurs emmené de 1979 à 1985 par l’inénarrable lutin malicieux Ramon Pipin accueillit en son sein les plus belles pointures instrumentales de cette époque.
Voyez plutôt: Didier Lockwood, Bernard Paganotti, Manu Katché, Klauz Blaquiz...et tant d'autres amis d'un soir venus prêter leur talents à tonton la claudique.
Odeurs attira aussi les plus louches sympathies : Coluche, Pierre Desproges, Choron.
Ramon Pipin et sa horde aromatique n’éprouvaient pas un besoin urgent d’utopie. Ils voulaient exhaler un parfum de rebiffe, secréter des chansons suffisamment crues pour qu’on ne les confonde pas avec des hymnes à la morale et au bon goût.
En 5 albums flamboyants, ils ont porté la dérision, le spectacle vivant et le rock à des sommets insoupçonnables dans cette époque morose des années fric.
Plus qu'une anecdote, je vous livre ici l'hommage de Ramon Pipin à Costric, son vieux pote déconnant de toujours, impertinent compère de l'aventure Odeurs et Au Bonheur des Dames...parti trop tôt.
Citation:
Triste nouvelle… Notre Grandissime Costric Ier s’en est allé, nous laissant orphelins de son Humanité, de son Humour, de son Impertinence et de sa Liberté.
J’aurais eu le privilège de créer avec lui le groupe Odeurs, partageant ainsi des instants de créativité miraculeux et inoubliables.
Après avoir fourni au Bonheur des dames quelques-unes de ses chansons-phare (Laura, L’île du bonheur) nous avions décidé de cisailler les barbelés de la censure pour accoucher d’un premier album dont le merveilleux motto costriquien était : « Odeurs frôle le bon goût sans jamais y sombrer ». Et ouch !
Sur cet album figurent une version martiale de « I want to hold your hand », le duo érotico-culinario-gainsbourien de « Douce crème », la complainte de l’hyper-viril « Gros snob », l’hymne nationalo-débilo-delpechien « Youpi la France » sans oublier « Je suis mou », « Ode au printemps » le brûlot féministe chanté par cette cantatrice meurtrière, « Chèque baby chèque » sur le mercantilisme de l’industrie musicale, l’anarcho-punkitude de « Sex-bazooka » et l’éternel « Vilain petit zoziau » dont je ne comprends toujours pas qu’il ne fasse pas partie du patrimoine obligé des chorales enfantines. Toutes ces chansons sont le fruit de l’imagination sans limites de Costric, je ne m’occupais alors que de la partie musicale.
Il s’embarqua ensuite dans l’écriture d’un opéra-rock : « Tommy Lobo » qui faillit devenir notre 2ème album mais dont le sens m’échappe encore aujourd’hui et donc nous revînmes à un format plus traditionnel (?) avec « 1980 : No sex ». Et là on ne pouvait plus arrêter la bête !! Un chef-d’œuvre (avis personnel) : «
Couscous boulettium », y voisine avec des titres tels « La viande de porc », « Le stade nasal », « Astrid », « L’homme-objet » ou « Quitte ou double » et « La santé par les plantes » ainsi que « Rock Haroun Tazieff » où l’auteur aborde des sujets majeurs tels les risques nucléaires, la nécrophilie, la schizophrénie, la psychanalyse, le machisme etc. Il a même écrit une chanson sur les salsifis… C’est dire si canaliser une telle débauche créative n’était pas toujours chose zézée. Aujourd’hui encore, le sens profond de certaines paroles m’échappe et je n’aurai pas eu l’occasion de lui demander des éclaircissements. Je cite : » Si dans chaque homme y a un porc latent, dans chaque port y a une femme qui attend, dans chaque homme il y a donc une femme, le port de la jaquette est obligatoire ». Nous sommes sur une planète lointaine…
Ses incursions anti-totalitaires allaient également nous donner droit à deux chansons inédites : « Le mièvre et la torture » pour le spectacle de Bobino en 80 et « Les nouveaux Russes blancs » que nous jouions sur scène à l’Olympia en 81. Il parlait là de la sexualité outre-Mur et du procès d’un pauvre moujik ayant pratiqué des actes contre nature. Je ne résiste pas au plaisir d’en citer quelques extraits :
« J’ai épousé en Moldavie,
Une étudiante en psychiatrie,
Une vraie Russe non décolorée,
Ses poils au blinis l’on prouvé,
Elle s’appelle Camarade Tania,
Une sacrée paire de nichonska…
… Je me suis autocritiqué,
Je ne suis qu’un bourgeois taré,
J’avoue, je suis Œdipe lui-même,
J’ai pratiqué tous les blasphèmes,
Oui, j’ai couché avec ma mère
Et bien sûr que j’ai tué mon père !
Aaaaaaaahhhh…
… Camarade Docteur a raison,
Je suis en voie de guérison,
Et bien attaché dans mon lit,
Je hurle : « Travail, Famille, Parti ! »
Ô Russie, terre d’asile d’aliénés,
Le fil de la pensée est barbelé…
Refrain :
Allons à Kaboul
Soigner les mabouls,
Pour le KGB,
Et chez les Afghans,
Soigner les déments
Pour le KGB. »
Voilà. Sur scène, Rita était caché dans un poste de télé pour espionner ce contrevenant et Esno dans un lampadaire. Que de souvenirs épatants…
Alors repose-toi bien Costric, tu m’auras ouvert l’esprit et fait mûrir. Que des voix aujourd’hui telles que la tienne s’élèvent pour nous faire rire, la tienne me manquera.
En revanche, j’aurais dorénavant la chance de ne plus goûter ta cuisine immonde. Une dernière anecdote :
Un soir où Clarabelle et moi-même étions invités à dîner, tu nous avais servi un truc genre « gratin de maroilles » ou autre. devant tant de finesse culinaire, je t’avais demandé d’où tu tenais la recette et tu m’avais répondu le plus sérieusement du monde : « C’était dans Paris Boum-Boum » (hebdo gratuit de petites annonces parisien des années 80).
Amène…
Ramon Pipin