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Deux ans après une plainte pour « racisme et xénophobie » en Belgique, une procédure équivalente doit être engagée en France contre l'album d'Hergé.
Faut-il interdire Tintin au Congo ? «Dans les prochains jours, nous allons lancer une action judiciaire en France, avec mon confrère Me Gilbert Collard, afin d'obtenir le retrait de l'album», déclare l'avocat belge, Me Claude Ndjakanyi, deux ans après la plainte déposée par son client, Bienvenu Mbutu Mondondo, un comptable de 41 ans d'origine congolaise, pour «racisme et xénophobie» contre l'œuvre d'Hergé. «Notre demande d'accès au dossier a été jugée prématurée alors même que l'instruction dure depuis deux ans !», tempête l'avocat, qui s'apprête à déposer une requête en appel. La raison de ce silence est «politique», dit-il : «C'est le symbole de la Belgique qui est attaqué.» Le plaignant se dit prêt à aller «jusqu'à la Cour européenne des droits de l'homme», pour obtenir de la société Moulinsart, qui gère les droits de l'œuvre d'Hergé, l'interdiction de l'album.
La controverse est récurrente. Le père de Tintin avait publiquement justifié dans les années 1960 cette aventure du célèbre reporter en culotte courte, en la resituant dans son contexte : le début des années 1930, en pleine colonisation belge de l'actuelle République démocratique du Congo.
«L'attitude de Tintin et le reflet exact d'une période où l'Occident se donnait une mission sacrée de civilisation. Hergé n'a fait que consulter les journaux pour trouver son inspiration», plaidait quelques années plus tard son biographe, Benoît Peeters, dans Le Monde d'Hergé (Casterman). En outre, le dessinateur avait déjà, en 1946, dans la nouvelle version colorisée de l'album, supprimé «les détails les plus grossièrement colonialistes au profit d'éléments plus anodins».
Pour l'avocat belge, l'argument «historique» ne tient pas : «Au moment où cet album a été rédigé, il n'y avait pas de disposition légale incriminant le racisme. En 2009, oui. Nous ne faisons pas de l'histoire mais du droit.»
La société Moulinsart s'étonne que la polémique ressurgisse quelques jours à peine après la décision d'une bibliothèque municipale de Brooklyn de classer Tintin au Congo parmi les ouvrages «offensants», au même titre que Mein Kampf, de Hitler et le Tropique du Capricorne, d'Henri Miller, des ouvrages retirés des rayons et classés en «Enfer», pièce réservée aux livres interdits. Concours de circonstance ? En 2007, le plaignant belge s'était manifesté au moment où une autre décision prise par des librairies britanniques de censurer Tintin au Congo défrayait la chronique. La commission pour l'égalité des races, saisie par des parents, avait en effet conclu que «ce livre contient des images et des mots aux préjugés racistes abominables, où les sauvages apparaissent comme des singes et parlent comme des imbéciles».
Des réactions, sensées parfois, souvent ridicules
Certains opposants à Bienvenu Mbutu Mondondo craignent que l'interdiction de la BD emporte d'autres albums, de la collection Astérix par exemple, où apparaît un pirate noir aux lèvres démesurées et un Français bègue. D'autres lui prêtent des raisons vénales plus qu'historiques, arguant qu'il intervient alors que les réalisateurs américains Steven Spielberg et Peter Jackson projettent une adaptation cinématographique de Tintin, avec une sortie prévue en 2011.
«On ne prête qu'aux riches, se défend la société Moulinsart dans un communiqué. Une œuvre aussi foisonnante que celle d'Hergé ne peut qu'inspirer des réactions, sensées parfois, souvent ridicules. Juger le contenu d'une œuvre ne vaut que si on la replace dans le contexte de l'époque où elle a été publiée. Lire en plein XXI e siècle un album Tintin, datant de 1931, demande un minimum d'honnêteté intellectuelle. Celle-ci nous garde de sombrer dans les anachronismes faciles et trop couramment complaisants.»