Racialisme prescriptif et exclusion raciale
Par Mohamed Ali*
La foule à l'extérieur de l'auditorium devenait toujours plus grande et plus forte. Une controverse avait éclaté autour du «Panel on Religious Extremism in the Middle East» que j'avais organisé à l'université.
Une pétition, demandant l'annulation de l'évènement suite à l'horrible massacre en Nouvelle-Zélande, avait été distribuée aux étudiants la semaine précédente, obligeant mes co-organisateurs et moi-même à nous défendre contre des accusations d'islamophobie.
Des mois de travail avaient été consacrés à l'évènement et j'avais même réussi à obtenir un financement pour les conférenciers.
Maintenant il semblait que j'allais échouer. Les "Students for Democratic Society" ont manifesté et effrayé le président d'université qui envisageait sérieusement de l'annuler.
Et pour finir un de nos membres - un imam - a réussi à convaincre le président du Collège républicain de faire de même.
Malgré le chahut constant lors des remarques des orateurs et de la séance de questions-réponses qui a suivi, la réunion s'est finalement déroulée plus ou moins comme prévu.
Le comité et moi-même avons abordé les atrocités néo-zélandaises et condamné explicitement le nationalisme blanc, mais les manifestants sont restés immobiles et ont même interrompu la minute de silence dédiée aux victimes du massacre.
Tout au long de l’évènement, ils ont tenu une bannière sur laquelle on pouvait lire: "You Do Not Represent Us." (Vous ne nous représentez pas).
Après la réunion, j’ai entendu une manifestante se plaindre auprès d'un autre étudiant que l’évènement n’avait pas été organisé par un Arabe. Je m'interposai pour l'informer que j'étais l'organisateur et que je suis effectivement arabe. "Vous ne comptez pas," répondit-elle immédiatement, "Nous connaissons vos opinions."
J'ai par la suite découvert qu'elle était présidente de "l'Arab student association" (association des étudiants arabes).
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Faisal Saeed Al Mutar - un défenseur des droits laïques né en Irak et le seul Arabe du comité - a été le plus touché par ces attaques. Il a été dénoncé comme une marionnette et un traître pour avoir discuté de l'importance de la religion dans la motivation de groupes comme l'Etat islamique dans son pays natal.
Le fait que la race ne soit pas simplement une catégorie descriptive, mais qu’elle soit censée impliquer certains devoirs pour la personne et lui imposer certaines prérogatives est particulièrement révoltant.
Pour conserver son statut d'Arabe «authentique» (ou de membre d'un autre groupe démographique «marginalisé»), il faut croire certaines choses.
Parce que j'avais organisé cette discussion, j'étais devenu
persona non grata parmi ceux qui insistent pour que nous fermions les yeux sur les atrocités commises au nom de l'islam.
Enquêter là-dessus constituait apparemment une trahison de ma tribu, punie d'excommunication. J'ai fini par appeler cette attitude “prescriptive racialism” - l'idée selon laquelle l'identité raciale devrait déterminer la façon dont les gens agissent et ce qu'ils pensent. Pour être accepté comme Arabe, je dois adopter la même attitude que tous les autres Arabes.
Cette croyance domine aussi la psychologie paranoïaque des suprématistes blancs, également préoccupés par l’idée de la trahison raciale.
Aujourd'hui, elle est aussi devenue centrale dans la justice sociale de gauche.
Et, comme je l'ai découvert, le racisme normatif est renforcé par l'exclusion raciale.
Cette pratique est un développement troublant et un nouveau signe de la désintégration de la société civile selon des critères ethniques. L'exclusion raciale exclut les hérétiques qui défient ses dogmes au sein d'une communauté: «Restez en ligne ou vous êtes exclus!».
Ce n'est pas une menace vide de sens. Dans notre société polarisée et balkanisée, les gens se regroupent déjà en clans de plus en plus étroits, organisés en identités immuables, sexuelles ou raciales, de sorte que l'exclusion peut être socialement dangereuse.
L'exclusion raciale autorise le harcèlement et la dégradation de ses victimes, et dépouille les dissidents de leur parole : "Vous n'êtes plus l'un des nôtres, vous ne pouvez donc pas critiquer ce que nous faisons."
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La culture progressiste clame des banalités de coexistence, de tolérance et de multiculturalisme, mais elle sape les valeurs qui les rendraient possibles.
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La pratique dangereuse et sectaire du "racisme prescriptif" découle du fait que nous ne considérons pas les gens comme des individus, mais comme des représentants de groupes - nous parlons de «l’expérience arabe» comme d’un phénomène uniforme.
Dans un monde où les groupes sont considérés comme plus importants que les personnes, il était inévitable que nous perdions la capacité de penser en termes d'êtres humains uniques, chacun d'entre eux pouvant appartenir à plusieurs catégories.
Nous devons nous rappeler que les caractéristiques importantes d’un individu sont ce qu’il choisit d’être et non les identités dont il a hérité.
Pour vaincre cette montée du tribalisme, nous devons être catégoriques quant à l’importance de la validité des idées et des critiques, et non de leur source.
Quand les manifestants ont soulevé la banderole qui disait: "Vous ne nous représentez pas", ils voulaient vraiment dire: "Nous ne vous considérons pas comme l'un des nôtres, alors ce que vous dites est sans valeur."
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*Mohamed Ali est un étudiant en physique et en philosophie à l'université de Rochester. Vous pouvez le suivre sur Twitter @ TrueWordsAli
Source :
https://quillette.com/2019/04/(...)GZrV4