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Manifestations de lycéens : le spectre des violences anti-"Blancs"
LE MONDE | 15.03.05 | 14h17
Les archives du "Monde" : plus de 800 000 articles à consulter. Abonnez-vous au Monde.fr
Issus de Seine-Saint-Denis et des quartiers nord de Paris, les "casseurs" des précédents défilés, eux-mêmes scolarisés, expriment leur haine des "petits Français" qu'ils ont agressés le 8 mars. La peur de ces incidents risquait d'affaiblir la mobilisation de la journée du 15 mars.
Heikel, 18 ans, de nationalité française et tunisienne, se présente, sans dire son nom, comme un "casseur" et le revendique fièrement. Il affirme avoir participé aux manifestations lycéennes à Paris pour se battre et voler des portables. "Si j'y suis allé, c'est pas pour la manif, mais pour prendre des téléphones et taper les gens", reconnaît-t-il. "Il y avait des petits groupes qui couraient, qui faisaient de l'agitation. Et au milieu des bouffons, des petits Français avec des têtes de victimes."
Heikel déclare avoir volé trois portables et participé à de multiples agressions. Avec sa bande, il assure avoir récupéré une quinzaine de téléphones, en usant de violences "dans 75 % des cas" : des petites baffes, une "balayette"pour faire tomber le lycéen un peu isolé et des coups de pied pour l'empêcher de se relever. "Un bon souvenir", dit-il avec le sourire, satisfait. Heikel fait partie de ces 700 à 1 000 jeunes, selon la police, venus essentiellement de Seine-Saint-Denis et des arrondissements du nord de Paris pour agresser des lycéens pendant les manifestations de ces dernières semaines, en particulier celles du 15 février et du 8 mars. Comme la plupart de ses camarades, qu'ils reconnaissent ou non avoir commis des agressions, qu'ils aient participé ou non aux manifestations, Heikel assume la violence.
Dans le discours de ces jeunes se cumulent des explications économiques ("se faire de l'argent facile"), ludiques ("le plaisir de taper") et un mélange de racisme et de jalousie sociale ("se venger des Blancs").
Rencontrés aux abords d'un lycée professionnel de Seine-Saint-Denis - que Le Monde a choisi de ne pas identifier à la suite de la demande de son proviseur soucieux de ne pas fragiliser le travail de l'équipe enseignante -, plusieurs de ces élèves sont descendus à Paris avec la volonté de se battre. Le même scénario s'est répété des dizaines de fois : un ou deux "casseurs" menacent un manifestant pour obtenir son portable, son lecteur MP3 ou son portefeuilles ; si la victime refuse, et même lorsqu'elle accepte, ils la frappent, la font tomber puis la rouent de coups. Le plus souvent, d'autres jeunes, jusqu'à une dizaine, se joignent à eux pour frapper leur cible.
Pour les élèves de ce lycée, qui recrute sur plusieurs communes du département et où 80 % des élèves sont "de couleur", selon l'estimation du proviseur, tout concourrait à faire des "petits Blancs" parisiens des victimes idéales. Dans leur langage, ils les appellent des "bolos" (ou "borros", parfois). "Un bolos, c'est un pigeon, une victime", explique Heikel, tout en étant incapable, comme les autres lycéens, d'expliquer l'origine du mot.
"C'est comme s'il y avait écrit "Viens prendre mes affaires" sur leur front", glisse Patty, 19 ans, résidant à Sevran, qui n'était pas aux manifestations et qui aurait plutôt tendance à critiquer les violences. "Les bolos regardent par terre parce qu'ils ont peur, parce que c'est des lâches", affirme un autre lycéen de 19 ans en deuxième année de brevet d'études professionnelles (BEP). "Un Maghrébin peut être "bolos" s'il a la mentalité des Français, ajoute Rachid, 18 ans, qui vient de Montreuil. S'il parle de sexe avec sa sœur, par exemple." Rachid dit aussi que les "bolos" sont "plutôt blonds".
Les vêtements portés par les manifestants constituent un signe distinctif, qui permet de repérer ceux qui, selon leurs mots, ne sont "pas normaux" : les "skateurs", par exemple,"avec des grands pantalons et des coupes de ouf (fou, en langage verlan)", dit un lycéen "blanc", qui refuse de donner son prénom. Les "skateurs" ont été souvent agressés. Comme les "gothiques", qui ont le malheur de "porter des trucs de ouf", eux aussi, et d'"avoir une religion bizarre". Le simple fait d'être "fashion", d'avoir des vêtements trop amples pouvait encourager une agression. Sans chercher à faire de l'humour, Rachid croit même savoir que "c'est pour ça qu'on parle de "fashion victim"".
SE FAIRE "BOLOSSER"
Les "petits Blancs" ne savent pas se battre et ne se déplacent pas en bande. Le risque de les attaquer est donc moins grand. Même s'il condamne la violence, Abdel, 18 ans, a trouvé une explication globale : "Les rebeus (arabes) et les renois (noirs) font plein d'enfants. Donc, tu peux pas savoir si celui qui manifeste a pas des grands frères." De fait, aucune violence entre bandes n'a été signalée lors des manifestations.
Dans leur logique, tous les "Blancs" ne se valent cependant pas. "Il y a des Blancs qui se prennent pas pour des Blancs", observe Soukhana, 18 ans, une jeune fille de Sevran, qui a préféré ne jamais manifester. Cette différence de comportement explique, pour elle, qu'une partie des "Français", ceux qui vivent en banlieue, soient acceptés. "Je connais des Blancs qui sont comme nous, qui sont bien", confirme Heikel. A l'inverse, précise Soukhana, "un Noir qui se prend pour un Blanc se fait bolosser".
Patty, en deuxième année de BEP, est convaincue qu'il faut remonter à la colonisation et à l'esclavagisme pour expliquer ces comportements. "C'est les Noirs qui se vengent du racisme des Français et des policiers", explique-t-elle. Issa, en classe de terminale, affirme, lui, que le comportement des policiers avant la manifestation a énervé sa bande d'amis venus de Noisy-le-Sec. Il était descendu sur Paris avec une quinzaine de copains : "Ils ont voulu nous empêcher de venir en faisant plein de contrôles. Dans la manif, ils nous ont donné des coups et ça a provoqué des bagarres."
L'injustice sociale est mise en avant. "Paris, c'est la capitale des sous", remarque un élève d'un lycée général voisin qui dit s'appeler Dadyx et qui traîne devant le lycée professionnel. De toute façon, affirment ces lycéens, les "Blancs" qui se font voler un téléphone ou un lecteur MP3 peuvent en racheter un autre. "Ceux qui manifestent, c'est ceux qui veulent réussir, ceux qui ont plein de choses", déclare Heikel.
Luc Bronner
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Polémique sur la surveillance policière
Le Parti socialiste et la FCPE, principale fédération de parents d'élèves, ont dénoncé, lundi 13 mars, la passivité des forces de l'ordre lors des manifestations lycéennes.
Le PS a exigé la création d'une commission d'enquête. "Les jeunes ont été pris à partie, voire lynchés, sans qu'il y ait à aucun moment intervention des forces de police. La première question que nous posons est la suivante : quel était le dispositif de sécurité, quelles étaient les consignes, pourquoi a-t-on laissé faire, et qui a pris cette décision ?", a demandé Julien Dray, porte-parole du PS.
Par la voix de son président, Georges Dupon-Lahitte, la FCPE s'interroge sur une manipulation, : "Voudrait-on dissuader les lycéens d'exprimer leurs inquiétudes dans la rue que l'on ne s'y prendrait pas autrement."
Pour la journée nationale de mobilisation du 15 mars, la plupart des observateurs s'attendaient à une faible mobilisation à Paris, en raison du risque de violences.
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 16.03.05
Sans commentaires
LE MONDE | 15.03.05 | 14h17
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Issus de Seine-Saint-Denis et des quartiers nord de Paris, les "casseurs" des précédents défilés, eux-mêmes scolarisés, expriment leur haine des "petits Français" qu'ils ont agressés le 8 mars. La peur de ces incidents risquait d'affaiblir la mobilisation de la journée du 15 mars.
Heikel, 18 ans, de nationalité française et tunisienne, se présente, sans dire son nom, comme un "casseur" et le revendique fièrement. Il affirme avoir participé aux manifestations lycéennes à Paris pour se battre et voler des portables. "Si j'y suis allé, c'est pas pour la manif, mais pour prendre des téléphones et taper les gens", reconnaît-t-il. "Il y avait des petits groupes qui couraient, qui faisaient de l'agitation. Et au milieu des bouffons, des petits Français avec des têtes de victimes."
Heikel déclare avoir volé trois portables et participé à de multiples agressions. Avec sa bande, il assure avoir récupéré une quinzaine de téléphones, en usant de violences "dans 75 % des cas" : des petites baffes, une "balayette"pour faire tomber le lycéen un peu isolé et des coups de pied pour l'empêcher de se relever. "Un bon souvenir", dit-il avec le sourire, satisfait. Heikel fait partie de ces 700 à 1 000 jeunes, selon la police, venus essentiellement de Seine-Saint-Denis et des arrondissements du nord de Paris pour agresser des lycéens pendant les manifestations de ces dernières semaines, en particulier celles du 15 février et du 8 mars. Comme la plupart de ses camarades, qu'ils reconnaissent ou non avoir commis des agressions, qu'ils aient participé ou non aux manifestations, Heikel assume la violence.
Dans le discours de ces jeunes se cumulent des explications économiques ("se faire de l'argent facile"), ludiques ("le plaisir de taper") et un mélange de racisme et de jalousie sociale ("se venger des Blancs").
Rencontrés aux abords d'un lycée professionnel de Seine-Saint-Denis - que Le Monde a choisi de ne pas identifier à la suite de la demande de son proviseur soucieux de ne pas fragiliser le travail de l'équipe enseignante -, plusieurs de ces élèves sont descendus à Paris avec la volonté de se battre. Le même scénario s'est répété des dizaines de fois : un ou deux "casseurs" menacent un manifestant pour obtenir son portable, son lecteur MP3 ou son portefeuilles ; si la victime refuse, et même lorsqu'elle accepte, ils la frappent, la font tomber puis la rouent de coups. Le plus souvent, d'autres jeunes, jusqu'à une dizaine, se joignent à eux pour frapper leur cible.
Pour les élèves de ce lycée, qui recrute sur plusieurs communes du département et où 80 % des élèves sont "de couleur", selon l'estimation du proviseur, tout concourrait à faire des "petits Blancs" parisiens des victimes idéales. Dans leur langage, ils les appellent des "bolos" (ou "borros", parfois). "Un bolos, c'est un pigeon, une victime", explique Heikel, tout en étant incapable, comme les autres lycéens, d'expliquer l'origine du mot.
"C'est comme s'il y avait écrit "Viens prendre mes affaires" sur leur front", glisse Patty, 19 ans, résidant à Sevran, qui n'était pas aux manifestations et qui aurait plutôt tendance à critiquer les violences. "Les bolos regardent par terre parce qu'ils ont peur, parce que c'est des lâches", affirme un autre lycéen de 19 ans en deuxième année de brevet d'études professionnelles (BEP). "Un Maghrébin peut être "bolos" s'il a la mentalité des Français, ajoute Rachid, 18 ans, qui vient de Montreuil. S'il parle de sexe avec sa sœur, par exemple." Rachid dit aussi que les "bolos" sont "plutôt blonds".
Les vêtements portés par les manifestants constituent un signe distinctif, qui permet de repérer ceux qui, selon leurs mots, ne sont "pas normaux" : les "skateurs", par exemple,"avec des grands pantalons et des coupes de ouf (fou, en langage verlan)", dit un lycéen "blanc", qui refuse de donner son prénom. Les "skateurs" ont été souvent agressés. Comme les "gothiques", qui ont le malheur de "porter des trucs de ouf", eux aussi, et d'"avoir une religion bizarre". Le simple fait d'être "fashion", d'avoir des vêtements trop amples pouvait encourager une agression. Sans chercher à faire de l'humour, Rachid croit même savoir que "c'est pour ça qu'on parle de "fashion victim"".
SE FAIRE "BOLOSSER"
Les "petits Blancs" ne savent pas se battre et ne se déplacent pas en bande. Le risque de les attaquer est donc moins grand. Même s'il condamne la violence, Abdel, 18 ans, a trouvé une explication globale : "Les rebeus (arabes) et les renois (noirs) font plein d'enfants. Donc, tu peux pas savoir si celui qui manifeste a pas des grands frères." De fait, aucune violence entre bandes n'a été signalée lors des manifestations.
Dans leur logique, tous les "Blancs" ne se valent cependant pas. "Il y a des Blancs qui se prennent pas pour des Blancs", observe Soukhana, 18 ans, une jeune fille de Sevran, qui a préféré ne jamais manifester. Cette différence de comportement explique, pour elle, qu'une partie des "Français", ceux qui vivent en banlieue, soient acceptés. "Je connais des Blancs qui sont comme nous, qui sont bien", confirme Heikel. A l'inverse, précise Soukhana, "un Noir qui se prend pour un Blanc se fait bolosser".
Patty, en deuxième année de BEP, est convaincue qu'il faut remonter à la colonisation et à l'esclavagisme pour expliquer ces comportements. "C'est les Noirs qui se vengent du racisme des Français et des policiers", explique-t-elle. Issa, en classe de terminale, affirme, lui, que le comportement des policiers avant la manifestation a énervé sa bande d'amis venus de Noisy-le-Sec. Il était descendu sur Paris avec une quinzaine de copains : "Ils ont voulu nous empêcher de venir en faisant plein de contrôles. Dans la manif, ils nous ont donné des coups et ça a provoqué des bagarres."
L'injustice sociale est mise en avant. "Paris, c'est la capitale des sous", remarque un élève d'un lycée général voisin qui dit s'appeler Dadyx et qui traîne devant le lycée professionnel. De toute façon, affirment ces lycéens, les "Blancs" qui se font voler un téléphone ou un lecteur MP3 peuvent en racheter un autre. "Ceux qui manifestent, c'est ceux qui veulent réussir, ceux qui ont plein de choses", déclare Heikel.
Luc Bronner
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Polémique sur la surveillance policière
Le Parti socialiste et la FCPE, principale fédération de parents d'élèves, ont dénoncé, lundi 13 mars, la passivité des forces de l'ordre lors des manifestations lycéennes.
Le PS a exigé la création d'une commission d'enquête. "Les jeunes ont été pris à partie, voire lynchés, sans qu'il y ait à aucun moment intervention des forces de police. La première question que nous posons est la suivante : quel était le dispositif de sécurité, quelles étaient les consignes, pourquoi a-t-on laissé faire, et qui a pris cette décision ?", a demandé Julien Dray, porte-parole du PS.
Par la voix de son président, Georges Dupon-Lahitte, la FCPE s'interroge sur une manipulation, : "Voudrait-on dissuader les lycéens d'exprimer leurs inquiétudes dans la rue que l'on ne s'y prendrait pas autrement."
Pour la journée nationale de mobilisation du 15 mars, la plupart des observateurs s'attendaient à une faible mobilisation à Paris, en raison du risque de violences.
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 16.03.05
Sans commentaires