"La connivence des néoféministes avec l’islamisme me répugne."
Elles sont féministes. Pourtant, rien ne les horripile plus que… les féministes.
Soit celles dites de la “troisième vague”, promouvant majoritairement l’intersectionnalité, courant qui voit des systèmes d’oppression identiques dans le sexisme, le racisme, l’homophobie.
Toutes quatre journalistes, elles ne ratent pas une occasion de démonter les thèses féministes qui leur semblent incohérentes, ridicules ou dangereuses, à travers des ouvrages, des articles, des apparitions médiatiques ou encore des posts cyniques sur les réseaux sociaux.
Auteure, journaliste free-lance et docteure en philosophie des sciences,
Peggy Sastre a co-écrit la Tribune des Cent qui critiquait la victimisation générale véhiculée par le mouvement #metoo.
Ses positions la font appartenir autant à la mouvance universaliste (notamment sur la question de la laïcité) que différentialiste (elle utilise le terme évoféminisme, soit un courant qui évoluerait dès qu’une avancée scientifique démontrerait une fausse route idéologique) et pro-sexe (elle est pour des droits forts des travailleurs du sexe, ainsi que pour la légalisation de la gestation pour autrui (GPA).
Eugénie Bastié en revanche, journaliste au “Figaro” et auteure française qui revendique un “féminisme conservateur”, voit dans la légalisation de la prostitution et de l’avortement un “
mal nécessaire plus qu’une avancée dont il conviendrait de se réjouir”.
Isabelle Marlier, auteure et anthropologue belge, a longtemps partagé les thèses des “néoféministes” avant de les réfuter et de faire de la dénonciation des affirmations féministes non vérifiées une “mission personnelle”.
Nouhad Fathi, journaliste marocaine installée depuis peu dans la campagne bernoise, a aussi connu une remise en question. Universaliste et radicale “depuis toujours”, elle s’est distanciée petit à petit des féministes intersectionnelles occidentales, qu’elle accuse de soutenir le sexisme véhiculé par l’islamisme, notamment sur la question du voile.
Bien que différentes dans leur sensibilité féministe, les quatre femmes se rejoignent sur certains points. Tour d’horizon:
1. L’obsession du “mâle blanc hérétosexuel”, pour reprendre les termes d’Eugénie Bastié. Pour Nouhad Fathi, l’urgence est effectivement ailleurs que dans le “manspreading”, le “mansplaning” ou encore “les couleurs rose et bleue genrées des jouets pour enfants”. “
Ces féministes sont à court de combats. Je ne les entends pas dénoncer les femmes mutilées ou lapidées après avoir osé enlever leur voile en public dans les pays arabes. Elle font une glorification du voile qui est présenté comme un choix. Or le voile est une contrainte et la femme s’en accommode. Le féminisme ne peut pas ouvrir la porte à une idéologie selon laquelle il est permis de battre sa femme. Cette connivence avec l’islamisme me répugne. Je peux comprendre qu’une femme dont cette oppression est l’unique réalité puisse céder à la pression, mais qu’une féministe occidentale biberonnée à l’égalité y voie une liberté individuelle à défendre me dégoûte, ça pue le privilège et l’ignorance. Privilège parce que celles qui le défendent n’ont jamais vécu dans un endroit où il est interdit de l’enlever. Ignorance parce qu’elles ne savent pas que la propagation du voile est un phénomène relativement récent qui a accompagné l’expansion de l’islam politique.”
Peggy Sastre relève quant à elle qu’il y a une incohérence à parler de “culture du viol” dans les pays occidentaux, où le viol est sévèrement puni par la loi, et à se taire ou même à s’opposer à l’abolition de l’excision, du viol ou des mariages forcés dans d’autres pays.
"Si ça ce n’est pas des cultures patriarcales toxiques, qu’on vienne m’expliquer ce que c’est.”
Nouhad Fathi rappelle ce qu’est selon elle une véritable culture patriarcale: “
Au Maroc, la femme ne perçoit que la moitié du montant d’héritage que son homologue masculin. Mes quatre sœurs et moi mangions à nous toutes moins que mon frère, “parce que c’est un garçon”, estimait ma mère."
2. Le manque de rigueur scientifique. “Rétablir la vérité”, c’est la “mission personnelle” que s’est donnée Isabelle Marlier, qui ne passe pas un jour sans poster sur son mur Facebook une information où le féminisme est mis en doute. “
Il y a dix ans, j’adhérais à fond à ces thèses de patriarcat systémique, de continuum de violence, de culture du viol, etc… Je traversais des difficultés d’ordre affectif, et j’ai commencé à lire toutes mes interactions avec les hommes à travers le biais néoféministe. Au lieu d’aller mieux, j’ai développé une mentalité d’assiégée. La désillusion est venue lorsque j’ai rendu une étude sur le plafond de verre à un institut où j’envoyais régulièrement des enquêtes. On m’a convoquée pour que j’explique ma méthodologie. En effet, au lieu d’analyser tous les témoignages, j’avais par exemple écarté les témoignages de femmes qui accordaient une importance plus grande à leur vie de famille et qui renonçaient à une carrière, et n’ai tenu compte que de ceux qui validaient mon postulat de base, qui était qu’il existe un dispositif antifemmes. L’humiliation de m’être prise en défaut de rigueur intellectuelle, ce qui ne m’était jamais arrivé avant, m’a permis de me remettre complètement en question, et de laisser tomber mes convictions féministes au fur et à mesure que je découvrais qu’elles ne se basaient pas sur la réalité.”
3. La négation de la biologie. Peggy Sastre dénonce elle aussi “l’illettrisme scientifique, voire le créationnisme mental des néo-féministes”. Elle regrette que “
la biologie, notamment ce que l’on sait sur l’organisation sociale des primates”, soit écartée au profit d’une “importance démesurée” accordée à la construction sociale des genres, théorisée par Judith Butler.
Sans réfuter l’existence de telles constructions, Eugénie Bastié s’inquiète de “l’indifférenciation des sexes basé sur l’expérience de la minorité transexuelle.” Elle y voit un paradoxe évident qui dessert la cause des femmes: “
On ne peut pas exiger des quotas dans la sphère publique et arguer en même temps qu’un homme et une femme, c’est la même chose, que le genre est fluide.” Nier le corps des femmes, c’est selon elle “
s’empêcher d’apporter des réponses appropriées aux problèmes spécifiques que vivent les femmes, comme le viol, la conciliation travail et famille, la grossesse, les règles”, estime la journaliste, qui n’est pas défavorable à l’établissement d’un congé menstruel pour les femmes, notamment celles souffrant d’endométriose. “
Pour les mêmes raisons, je trouve idiot de plaquer le congé paternité sur le congé maternité. Il est évident que le rôle du père et de la mère ne sont pas les mêmes aux différents stades de la vie de l’enfant. Je suis pour un congé paternité différé, que le père peut prendre plus tard, par exemple à l’adolescence, où sa présence peut se révéler plus utile que pendant les premiers mois où le nourrisson a davantage besoin de sa mère.”
4. La difficulté d’un débat apaisé. “Faire taire les voix dissidentes”, c’est ce que reproche Peggy Sastre aux néoféministes: “
Après la Tribune des Cent, elles nous ont accusées au mieux d’être de vieilles bourgeoises blanches, au pire d’être des alliées des porcs. Or, nous avions simplement publié une tribune portant un autre point de vue. Mais douter de la pertinence du mouvement #metoo n’est pas permis. C’est dommage car ces féministes ne tiennent pas compte de la diversité d’opinions existantes. Du coup, les contradicteurs sont forcément des ennemis à combattre”.
Isabelle Marlier relève une approximation factuelle imputable à l’adhésion générale au mouvement #metoo: “
L’apparence, le glamour et la séduction ont une place particulière dans l’industrie du cinéma, et outre des abuseurs, certaines actrices se servent aussi de cette atmosphère particulière pour obtenir un rôle. Le secteur hollywoodien n’est pas représentatif du monde du travail en général. Je me demande en quoi la dénonciation d’actrices notoires a amélioré le quotidien de travailleuses dans le domaine du nettoyage par exemple.”
Eugénie Bastié, de confession catholique, regrette quant à elle le manque de diversité d’opinions autour de l’avortement. “
On est passé du tabou au totem, qu’il ne faut surtout pas critiquer. Même si je suis pour sa légalisation, car c’est un moindre mal, je n’approuve pas le triomphalisme autour de cet acte qui traumatise certaines femmes. Or, les associations, souvent chrétiennes, qui proposent des alternatives aux femmes célibataires qui souhaitent garder leur bébé se voient mettre des bâtons dans les roues en vertu du délit d’entrave à l’IVG, qui a cours en France. Le planning familial français avait aussi accusé la chaîne Arte de diffuser un documentaire sur des femmes qui avaient subi un avortement et qui en avaient été traumatisées, arguant une culpabilisation des femmes qui ont recours à l’IVG. C’est vouloir taire la souffrance réelle de ces femmes au nom de l’idéologie qui prétend que l’avortement est formidable. Je suis pour un choix réel, pas pour une promotion unique de l’IVG”, regrette la journaliste.
5. La sororité. “
Cette injonction sous-entend qu’une femme a plus de points communs avec n’importe quelle autre femme qu’avec un homme, même celui avec lequel elle partage sa vie. N’importe qui a constaté par son expérience que c’est faux: l’animosité féminine existe, notamment sous forme de rivalité amoureuse ou professionnelle”, estime Isabelle Marlier.
Nouhad Fathi, qui a travaillé dans plusieurs rédactions au Maroc, se souvient aussi de “
femmes dont le discours très féministe s’est arrêté dès qu’elles ont obtenu le poste de dirigeante convoité. Préférant régner sans partage comme des Queen Bee (littéralement “reine des abeilles”), elles ne dirigeaient que des hommes plutôt que d’en profiter pour favoriser l’engagement d’autres femmes”.
6. La victimisation et l’esprit de revanche. “
Faire croire aux femmes qu’elles vivent dans une oppression permanente revient à les associer à des chiffes molles incapables de se défendre et d’avoir une opinion claire. C’est infantilisant”, martèle Isabelle Marlier “
Ce révisionnisme pleurnichard et revanchard n’a cure de l’égalité. Vouloir faire payer des siècles d’oppression fantasmée aux hommes d’aujourd’hui est injuste et dangereux, et ne fait que rallonger la liste des injustices.”
Peggy Sastre se rappelle quant à elle un débat houleux à l’Université d’été du féminisme en 2018. “I
rène Théry m’a reproché d’envoyer ma résilience individuelle à la figure des autres féministes. Je n’ai toujours pas compris en quoi c’est censé être un mal.”
Source :
https://www.tdg.ch/extern/inte(...).html