StarsRfallin a écrit :
Redstein a écrit :
On ne dit pas qu'il n'est pas possible d'être bien à deux - juste que quand ça foire, ça ne fait pas semblant - parce que l'échec est une composante fondamentale et explosive de la cocotte-minute qu'est le couple "post-moderne"...
Ca signifie donc qu'aujourd'hui l'échec amoureux conduit à des situations qui étaient inenvisageables à une autre époque ?
Je veux bien l'admettre, mais il faut dire que la question amoureuse était quand même bien moins centrale...un bon mariage arrangé et ça te réglait une vie entière...
Mais alors qu'est ce qui fait qu'aujourd'hui ce type d'échecs devient insoutenable pour ceux qui les vivent ? Ce serait une image de loser que nous renverrait la société qui s'aime ?
J'ai un doute quand même...
Ou plutôt je ne parviens pas du tout à appréhender cette idée...Parce que quand ça m'est arrivé, j'ai pas eu l'impression d'avoir quoi que ce soit à foutre de l'image que je pouvais renvoyer en tant qu'individu de cette société...J'étais juste...hum...y'a pas de mots, et on s'en fout parce que c'est pas le sujet...
Voilà, tout ça pour dire que je ne comprends pas comment on a pu en arriver là, je veux dire comment les choses peuvent prendre une telle ampleur. Mais d'ailleurs...est-ce que ça a été simple à un moment ?
A. pleine de questions
Salut A. Désolé d’avoir tardé - je voulais prendre le temps de te répondre tranquillement.
Comme tu le dis, il fut un temps où la question amoureuse était nettement moins brûlante que de nos jours. Pourquoi donc ? Sans doute parce qu'elle n’était pas comme de nos jour indissolublement liée au « couple ».
Mariage arrangé, mariage de raison - autant de situations souvent infernales pour les personnes concernées, mais pas pour les mêmes raisons qu’actuellement (et principalement pour les femmes, qui y étaient enfermées à triple tour) : il n’y était pas question d’amour, l’investissement affectif y était quasi nul (bon, je généralise pour simplifier, hein).
Mais alors pourquoi de nos jours « ce type d’échec » est-il « insoutenable » ?
Justement parce que de nos jours nous mettons « tous nos œufs dans le même panier » : non seulement le « couple », soit
une seule et unique personne, est censé nous apporter
tout ce qu’il nous faut sur à peu près tous les plans, mais on nous a appris qu'
il doit le faire ad vitam aeternam (et ils sont bien peu ceux qui se rendent compte que l’invention du mariage remonte à une époque où l’espérance de vie était trois fois moindre)… Pas étonnant qu’on soit si atteint, si déprimé quand on se rend compte que ça ne fonctionne pas comme ça…
Arrivés à ce point, il y a ceux qui se résignent sans faire de vagues, trouvent des accommodements, se tournent vers telle ou telle activité qui donne ou semble donner suffisamment de sens à leur existence. Ce sont peut-être les plus chanceux, d'autant que pour certains l’équilibre ainsi atteint peut durer toute une vie - ce qui ne veut pas dire que leur conjoint(e) y trouvera forcément son compte. Il s'agit là en fait très exactement du modèle du mariage bourgeois, dans lequel 50 pour 100 des composants du couple se réalisent aux dépens de l’autre moitié (généralement la femme).
Et puis il y a les autres, et en ces temps post-soixante-huitards, ils sont très, très nombreux. Le mécanisme est le suivant : deux personnes conditionnées pour croire en l’
amour-toujours se rencontrent et bâtissent un
projet qui ne laisse en rien place à l’erreur, à l’improvisation et aux échappées individuelles, parce que ce projet repose sur une
transparence totale, permanente et obligatoire de chacun(e) envers l’autre, et que
tout manquement signe l’échec irrémédiable de l’entreprise.
Or donc quand l’un d’entre eux (ou les deux) commence à s’ennuyer,
à ne plus trouver dans « son couple » ce qu’
ilelle s’estime en droit d’y trouver - que dis-je, ce qu'
ilelle SAIT qu’
ilelle devrait y trouver,
ilelle décide qu’il lui faut autre chose/quelqu’un d’autre,
et (puisqu'
on leur a appris
qu'
on ne peut aimer qu’une personne à la fois)
ilelle décide qu’
ilelle n’« aime plus » son/sa partenaire.
Résultat : deux nouveaux clients tout à fait distincts pour IKEA.
Et bien entendu, c'est reparti pour un tour, parce que personne ne tire jamais les leçons du bouzin !!!
Bien sûr, je décris ici le poison non dilué, et il y a évidemment tout une gamme de variations possibles entre les deux « modèles » (bourgeois/post-soixante-huitard). Mais il faut bien voir une chose : le mariage à l’ancienne, le mariage de raison tenait (et tient - parce que ça se trouve évidemment encore) debout pour ainsi dire tout seul : il s’agissait si tu veux d’un « exo-squelette » dans la mesure où il incarnait tout un ensemble de valeurs et de comportements qui étaient extérieurs au couple, dont les ptits états d'âme comptaient pour bien peu.
Dans le modèle qui domine actuellement (concubinage/pacs/mariage), cet exo-squelette a pratiquement disparu, et le couple ne tient que par la détermination qu’ont les « encouplés »
(je ne le dirai jamais assez : « délicieux néologisme » !) de le porter à bout de bras, à la manière d’une toile de tente qu’on maintient de l’intérieur le temps de finir d’assembler la structure - la différence étant qu’ici, on est deux à avoir les bras tendus en permanence : le moindre relâchement, et tout l’édifice se casse la figure…
En d’autres termes : le couple actuel ne tient la route que dans la mesure ou les deux partenaires décident à neuf pratiquement d’heure en heure qu’il doit durer.
Pour résumer : ça fait très mal quand ça finit, parce qu’on y a mis tout ce qu’on avait, affectivement, économiquement, qu’on s’y est littéralement perdu (pour ceux qui s’étaient trouvés pour commencer - ils ne sont pas si nombreux vu qu’on s’encouple de plus en plus tôt et que « se trouver », ça prend du temps), fondu, coulé dans ce moule, « cette prison où chacun est le geôlier de l’autre », « ce miroir dans lequel chacun ne recherche jamais que soi-même », « cette cocotte minute dépourvue de soupape », etc. (passke la métaphore des toiles de tente, ça va bien 5 minutes…).
Voilà - j'espère que ce pavé ne sera point trop confus (et pas de résumé pour Silk, merci - un peu de lecture ne lui fera pas d'mal
)