Nombre de ces chanteurs avec qui tu as joué t’ont traité de mégalomane. D’un autre côté, les chanteurs ont eux-mêmes la réputation d’être mégalomanes. Le problème n’est-il donc pas aussi le fait que deux mégalomanes peuvent difficilement s’entendre ? [Petits rires]
Encore une fois, je pense que la chose la plus importante à comprendre, dans ce scénario auquel tu fais référence, est que, dans n’importe quelle situation rock n’ roll, le chanteur écrit les textes, le chanteur écrit les mélodies, et le chanteur chante la chanson. Dans mon cas de figure, j’ai écrit toutes les mélodies et tous les textes, même quand je ne les ai pas chantés. Les chanteurs ne sont pas un facteur contributeur, ils sont comme un instrumentaliste, mais au lieu de jouer du clavier, par exemple, ils chantent. Vois-tu une différence ? Voilà la raison, et parce qu’ils sont chanteurs, c’est comme un enfant gâté, ils ne pouvaient pas comprendre pourquoi ils n’étaient pas le centre d’attention, pourquoi ils n’étaient pas le gars que tout le monde regardait, parce qu’ils ne sont pas le créateur du produit, ce n’est pas eux qui ont créé la musique. Ils ne font qu’interpréter, tout comme le batteur, le bassiste et le claviériste, les parties que j’écris. C’est quelque chose qui semble leur poser problème, plus que moi, car je ne suis pas le Frank Zappa du hard rock. J’écris la moindre putain de note qu’on entend, tout. Chaque plan de batterie, chaque note de basse, chaque son de clavier, tout, c’est moi qui l’écris ! Et ça va jusqu’à la lumière sur scène. Je dis à l’ingénieur des lumières : « Tu peux mettre cette lumière ici, tu peux mettre cette lumière là. La machine à fumée doit être par là. » C’est moi qui peins tout le tableau. On peut appeler ça comme on veut : un maniaque du contrôle, peu importe. Je me fiche de savoir comment on appelle ça, parce que j’ai une parfaite vision. Je n’en dévie pas. Je ne vais pas à gauche, je ne vais pas à droite, je vais tout droit. Je suis comme ça depuis que je suis tout petit. Et si je n’avais pas été comme ça, je serais encore en Suède, probablement à travailler dans un putain de restaurant ou un truc comme ça. « Relentless » (« implacable », « impitoyable », « incessant », NdT) est le mot parfait – c’est comme ça que j’opère. C’est ainsi, c’est tout. Ecoute, je souhaite à tout le monde le meilleur. Faites ce que vous voulez faire, allez-y et faites votre truc, et moi je fais mon truc, et tout le monde sera content [rires].
« Je suis comme un peintre, ou un écrivain. J’écris toute l’histoire, et je peins tout le tableau. Je ne ressens pas le besoin d’avoir des producteurs et d’autres gens qui tripatouillent mes trucs. »
Est-ce que tu comprends quand les gens disent que tu es mégalomane ou arrogant ?
Ils peuvent dire que je suis ce qu’ils veulent. Si je m’en souciais, j’aurais arrêté de faire ça il y a longtemps. J’ai d’autres chats à fouetter, pour ainsi dire. Mon but n’est pas de plaire à tout le monde. Mon but est de créer des œuvres musicales, des performances, peu importe comment on veut appeler ça, qui seront faites au maximum absolu de mes capacités. C’est mon but, et si quelque chose ne rentre pas dans ce scénario, ou si quelqu’un va à l’encontre de ce scénario, ça ne marche pas. Tout simplement. Ça n’a rien à voir avec le fait d’être mégalomane, ou arrogant, ou quoi que ce soit de ce genre. En fait, je suis la personne la plus autocritique au monde, personne ne me critique comme je me critique moi-même. Je suis quelqu’un qui examine très minutieusement ce que je fais. Donc que les gens me traitent de ce qu’ils veulent, ça ne me dérange pas.
Dirais-tu que cette spontanéité dont tu fais preuve avec ces improvisations vient du blues, dans ton éducation, plutôt que de la musique classique ? Car on ne voit pas beaucoup d’improvisation dans la musique classique…
C’est une très, très bonne question, et je serais plus qu’heureux d’apporter un éclairage à ce sujet. Les compositeurs originaux – Mozart, Bach, Vivaldi, Paganini, Tchaïkovski, Beethoven – étaient des improvisateurs, et ils étaient presque en compétition entre eux, pour ceux qui étaient contemporains, par rapport à qui était capable d’improviser quelque chose sur le vif. Mais, à un moment donné, ils devaient poser ça sur papier afin de pouvoir le publier. Mais au sein d’un mouvement, il y a ce qu’on appelle une cadence, qui sont les parties improvisées pour les solos, partout. Mais la musique classique était importante à l’époque, et ils devaient écrire leurs partitions, soit pour qu’un autre orchestre les joue, soit pour les publier et récolter de l’argent. C’était comme ça. Donc maintenant, les musiciens classiques d’aujourd’hui récitent tout ce qui est sur partition. Souvent, ils ne savent de toute façon pas improviser, et ils ne le font pas parce qu’ils ne jouent que ce qui est sur papier – je connais plein de musiciens classiques. Cependant, ma façon d’aborder ça, quand je joue ce qu’on pourrait appeler mon style typiquement néoclassique, j’improvise également, comme je le fais pour le blues, car je suis un compositeur, et je ne récite pas l’œuvre d’un autre. Tu comprends ? C’est une énorme différence, et plein de gens ne semblent pas comprendre. Il y a le jazz : « Hey, on improvise sur le jazz, mais on n’improvise pas le classique. » Faux ! Car les compositeurs originaux improvisaient tout ! Mozart était très célèbre pour simplement s’asseoir et improviser des trucs de dingue face aux gens. Et Beethoven, absolument ! Donc il semblerait que j’aborde ça bien plus dans la veine de ce qu’ils faisaient de leur vivant, plutôt que ce que les gens font aujourd’hui dans la musique classique.
Je sais que tu as toujours composé ta musique comme un compositeur classique compose ses œuvres, en composant des partitions pour chaque instrument. Or le blues correspond généralement plus à un contexte de groupe, où chaque musicien fait sa propre partie. Du coup, est-ce que ça n’a pas changé ta philosophie pour ces chansons ?
Il faut savoir que je joue toutes les parties. J’ai joué la basse, la batterie, le clavier… [Rires] Ce n’est d’ailleurs pas la première fois. En fait, avant que je n’arrive en Amérique, j’avais un studio où je pouvais travailler, et une des chansons qui a été un peu mon billet d’entrée en Amérique était « Black Star ». Quand j’ai envoyé cette cassette aux Etats-Unis, j’avais joué la batterie, j’avais joué la basse, j’avais joué le clavier, j’avais joué la guitare, évidemment. J’ai toujours joué tous les instruments. Et, en fait, sur d’autres albums, comme Spellbound en l’occurrence, j’ai joué tous les instruments. C’est naturel pour moi de faire ça. Dans un studio je peux le faire, bien sûr, mais sur scène, il me faut quand même des gens pour jouer les parties.