michel marmin parle de jean parvulesco et de ses liens avec les cinéastes de la nouvelle vague, c'est assez intéressant :
http://www.contrelitterature.c(...).html
le compte-rendu complet de
basic instinct par jacques saada évoqué dans l'interview de michel marmin :
https://films.oeil-ecran.com/2(...)inct/
Dans le somptueux clair-obscur à la Rembrandt d’une vaste chambre en forme d’autel, décorée de vitraux ornés de croix d’apparence celtique, un couple enlacé fait l’amour. Peu à peu, la jeune femme oriente la bataille amoureuse en une dérive rituelle où, chevauchant son partenaire, elle entrave ses poignets avec un foulard de soie blanche en le crucifiant aux montants de leur couche ; puis, se redressant au-dessus de lui, telle la
Vénus d’Ille, soulevée par l’orgasme naissant, le visage balayé de ses magnifiques cheveux blonds par un rythme incantatoire, déhanchant son corps sculptural en une véritable parade sexuelle, tend le bras vers un pic à glace dissimulé derrière elle, sous le drap, le saisit en guise de poignard sacrificiel et, avec l’effrayante puissance déployée dans la splendeur cambrée de son corps, l’en frappe à l’instant de l’éjaculation dans un jaillissement de sang, continuant de l’en frapper à coups redoublés avec une sauvagerie guerrière surgie du fond des âges… La victime de cette cérémonie sanglante est un certain Johnny Boz, ange déchu du rock. L’enquête est confiée à l’inspecteur Nick Curran de la police de San Francisco, et à son collègue, Gus Moran. Très vite, leurs investigations vont les mener vers une jeune, riche, brillante et talentueuse romancière blonde, à l’impressionnante beauté, Catherine Tramell, dont la grandiose résidence surplombe, tel un temple, l’océan que reflète son regard. Or, par un phénomène étrange, le déroulement de l’enquête semble pousser les protagonistes à s’entredétruire sous l’emprise de la jeune femme ou à vivre sous sa domination ; plus étrange encore, les romans de Catherine Tramell, comme le fil des Parques, apparaissent sceller le cours des destinées humaines.
Transcendé, sublimé, par la puissance du génie dramatique et la formidable beauté de Sharon Stone, « Basic Instinct » constitue avec « Sliver » un tournant, la somme dramaturgique charnière de cette fin de siècle dont Sharon Stone est la plus fabuleuse révélation.
La fascinante puissance du prologue de Basic Instinct prépare l’implacable épilogue de « Sliver » ; son propre épilogue, sans fin, annonçant, grâce à l’intercession divine de Sharon Stone, le retour et la prise de possession mystique de son appartement par Catherine, métamorphosée en Carly, dans « Sliver », à l’instar de Wotan devenu le Voyageur dans
Siegfried.
De « Basic Instinct » ou l’instinct fondamental à « Sliver » ou le chaos des instincts, Sharon Stone est le démiurge de la mise en oeuvre du concept nietzschéen d' »instinct » : ayant, dans « Basic Instinct », imposé le règne de l’instinct fondamental dans l’élan qui détermine le choix de l' »élu » et dans celui que donne la sensation d’avoir été choisi, par la perception de l' »autre », Catherine, devenue momentanément Carly, met fin au chaos des instincts et à l’égarement blasphématoire de ceux qui prétendent jouer à Dieu, en dressant le constat de destruction de leurs ambitions sacrilèges. « Basic Instinct » est, par ailleurs, enrichi d’innombrables points de repère, mythologiques notamment : Catherine méditant devant le bûcher purificateur, au lendemain de la nuit d’amour ; son environnement d’amazones, Roxane, Hazel, Beth ; sa parure précieuse dans les dernières scènes ; l’utilisation du blanc et du noir (les deux Lotus, noire et blanche, de Catherine ; son foulard et son châle, sa robe, son manteau, son tailleur, blancs… ; les vêtements noirs de Roxane) ; le plan final où resplendit le pic-épée comme dans une crypte. Il faudrait décoder chaque plan, voire chaque écran de la « régie » dans « Sliver ».
Une idéale fusion, proche du drame wagnérien, de tous ses éléments constitutifs – scénario, dialogues, décors, photo, montage, musique, interprétation – portés à leur plus haut point de rigueur par une mise en scène idéale, confère au chef-d’oeuvre de Sharon Stone et Paul Verhoeven les tonalités rarissimes d’une création intimiste et grandiose à la fois.
Pour incarner le personnage immense, surhumain, unique, le plus absolu de la dramaturgie contemporaine, de Catherine Tramell, il fallait une parfaite adéquation entre un être d’essence supérieure, Sharon Stone, et un rôle impliquant une mission dont la stratégie et la finalité seraient les siennes. Hasard et nécessité, arrivant à son heure, écartant des lois sans force par la force des ses propres lois qui deviendront les nôtres, Sharon Stone donne naissance à un personnage infaillible, aux normes inconnues jusqu’à elle.
Protectrice du Graal, elle-même déesse, Sharon Stone est vraiment l’envoyée des dieux : Parque ordonnatrice de la vie et la mort, d’une férocité inexpiable à l’encontre de la médiocrité profane, suractivant l’un par l’autre le plaisir des sens et l’intellect, unissant le païen au sacré, le sacral au mystique, l’Occident et l’Orient, Apollon et Dionysos, Éros et Thanatos, la cathédrale et le temple, ouvrant et fermant à volonté celui de Janus dont elle s’approprie les deux visages, pour unir enfin l’Olympe et l’Assemblée où, inversant les rôles, l’ironique déesse provoque de son tribunal, par un légendaire décroisement et croisement de jambes, l’humanité, là où elle en connaît les faiblesses, tout en choisissant l’élu (Nick).
Réconciliant Sparte et Athènes au soleil de Nietzsche, Sharon Stone déploie, de l’extrême fragilité à l’infinie puissance, une course exploratoire avec la rigueur conceptuelle et le légitime orgueil d’un auteur.
Transmutant toutes les valeurs par-delà le bien et le mal, Sharon Stone catalyse toutes les potentialités divines et humaines dont nous sommes les comptables depuis Eschyle et Homère. Parque de nos destinées, elle donne naissance à un sur-être dont la volonté de puissance, de pouvoir (
Wille zur Macht) n’exclut pas du « surhumain », « l’humain, trop humain ». Son intervention liminaire, d’essence sacrale, le châtiment de l’humanité déclinante prise en la personne de Johnny Boz, déclenche la seule réaction envisageable – une enquête policière – par une société incrédule qui, ayant perdu le sens du message sacral initiatique, ne croit plus qu’au mensonge, seul de nature à suspendre son incrédulité ; cet état de suspension of disbelief auquel Catherine fait allusion, lors d’une scène capitale, dans la voiture qui l’emmène vers son interrogatoire.
Lorsque ayant semé les « vrais-faux » indices qui lui suffiront à égarer les hommes, à clore l’enquête en refermant la porte sur les certitudes qui satisfont leur logique, la déesse aura estimé sa mission terminée, seule une défaillance humaine de femme amoureuse chez la manipulatrice suprême, telle Mme de Merteuil qui ressentirait soudainement la vulnérabilité de Mme de Tourvel, lui fera surseoir à l’élimination de l’élu d’un moment, sous l’égide menaçante du pic à glace sacrificiel devenu épée de Damoclès.
Aussi lumineuse que le prélude de Lohengrin, aussi intense que celui de Parsifal, aussi radieuse et majestueuse que le lever du jour et la scène finale du Crépuscule des dieux, Sharon Stone est aussi belle qu’une page de Wagner à laquelle Mozart et Richard Strauss auraient collaboré et dont l’admirable partition qu’elle a su inspirer à Jerry Goldsmith, entièrement structurée à partir des leitmotive de son personnage, nous offre la plénitude. La distinction aristocratique, la force de caractère, la puissante expressivité, les nuances infinies de ses traits, de sa voix, de sa diction, comme sous-tendues par un bonapartisme conquérant, sont aussi décisives dans leur perfection et leur ascendant impérieux que la symphonie Héroïque de Beethoven.
Sharon Stone nous élève à l’origine de la tragédie par la surnaturelle beauté d’un cérémonial où sa danse sacrale et le rituel incantatoire de sa gestuelle amoureuse s’organisent en une authentique liturgie ; où Circé maîtrisant Ulysse à la pointe de son glaive redonne au monde cette sensation d’absolu qui l’avait abandonné.
Incarnant cette voisine de palier du Soleil dont rêvait Nietzsche, Sharon Stone, par son charisme, fait partie de ces quelques êtres dont on a le sentiment troublant et fort qu’on les attendait depuis l’aube des temps. Par l’épée, par le feu, par le sang, elle nous entraîne et nous guide à travers les décombres de la décadence contemporaine vers la nouvelle aube, régénératrice, du troisième millénaire. Sa volonté de pouvoir, sa conception du monde, sa
Weltanschauung, lui fraient tout naturellement sa voie vers l’ère nouvelle d’une
Ordnung personnelle.
Par la synthèse de Catherine et de Carly, Sharon Stone réalise ainsi le rêve nietzschéen du sur-être aux dimensions infinies, Catherine révélant parfois les fragilités de femme de Carly et l’humaine, trop humaine Carly, rendue plus forte par ce qui ne l’a pas tuée, dressée, telle l’archange saint Michel, face à l’humanité déchue, nous restituant Catherine dans sa toute-puissance.
Jacques Saada,
Guide des films sous la direction de Jean Tulard