Étrange jeune fille, d'une suprême beauté, May Munro est hantée, depuis l'enfance, par la volonté de venger ses parents massacrés sous ses yeux et d'exterminer leurs meurtriers. Pour mener à bien sa mission punitive, elle engage un ancien des Services spéciaux américains en Colombie, Ray Quick, expert en explosifs.
Luis Llosa et John Barry ont conçu un magistral film d'action, véritable Odyssée qui nous conduit sur les rivages de Floride, sous l'influence de Sharon Stone. Car depuis
Basic Instinct (ou l'instinct fondamental), les qualités d'auteur de Sharon Stone s'imposent à l'évidence. Les interrelations existant entre ses différents films en sont la preuve indiscutable. L'énorme "vague déferlante" de
Basic Instinct révéla brusquement à un monde ébloui, comme au terme de la course silencieuse d'une gigantesque "lame de fond", la formidable beauté et la puissance du génie dramatique de Sharon Stone. Il est évident qu'un personnage de l'ampleur de Catherine Tramell dans
Basic Instinct (ici métamorphosée en May Munro), sans doute le plus absolu depuis l'origine de la tragédie, transmutant toutes les valeurs par-delà "la fusion du mal suprême et de la bonté suprême", suivant l'expression de Nietzsche, n'avait pu surgir aussi soudainement qu'après avoir été longuement préparé par l'être d'essence supérieure qui allait mettre en adéquation avec les siennes la stratégie et la finalité de sa mission : Sharon Stone.
Au-delà de la fascination apollinienne engendrée par la jeune femme, ne faisant intervenir la gestuelle de son corps et de sa liturgie amoureuse que là où la parole ne suffit plus, comme la musique pour Debussy, suractivant l'un par l'autre le plaisir des sens et l'intellect, s'imposait l'analyse d'une dramaturgie sous-jacente dans la mesure où sa beauté surnaturelle semblait sculptée à l'aune de traits dont son exceptionnelle intelligence aurait défini le tracé.
Véritable envoyée des dieux dans sa mission punitive sur une société en décadence, en perte de culture et de repères, prisionnière de son incrédulité stigmatisée par Catherine, Sharon Stone transcendait en le sublimant le vol punitif des oiseaux de Daphné du Maurier et d'Alfred Hitchcock, tout en déployant une effrayante férocité de la cérémonie expiatoire du prologue de
Basic Instinct à l'apocalypse finale de
Sliver. Examinant les créations passées de Sharon Stone à la lumière du sur-être de
Basic Instinct, on y décèle ainsi, parmi les thèmes dramaturgiques de ses films, celui de la mission punitive conjugué avec celui de l'esprit de vengeance inspiré par l'humiliation - celle de Carly par Zeke dans
Sliver, celle de May par Ned dans
L'Expert - et le meurtre du père ou des parents : disparition du père de Jesse Huston dans
Allan Quatermain et les Mines du roi Salomon (1985), mort des parents de Catherine Tramell par la mystérieuse explosion de leur yacht dans
Basic Instinct (1992), mort violente des parents de May enfant dans
L'Expert, mort tragique du père dans
The Quick and the Dead.
Fusionnant l'humain et le surhumain, armée de l'épée des dieux, nous entraînant, par le fer, par le feu, par le sang, à travers les décombres de la société contemporaines, vers la nouvelle aube purificatrice du troisième millénaire, ouvrant ou fermant à volonté le temple de Janus dont elle s'approprie les deux visages, Sharon Stone animée de l'esprit d'Antigone a pour Sylvester Stallone les ordres implacables d'Électre. En fille d'Eschyle et de Sophocle, unissant Électre et Antigone, l'impériale Sharon Stone est bien, et de loin, la plus belle et la plus grande tragédienne contemporaine.
Jacques Saada