rappelons aussi la "généalogie de la pensée molle" de miguel amorós, texte éclairant qui peut expliquer l'aigreur de certains :
https://www.guitariste.com/for(...).html
L'I.S. donna le coup de grâce au stalinisme et posa les bases d'une critique radicale véritablement subversive où le désir allait de la main de la connaissance rationnelle. Mais ses victoires profitèrent aux nouvelles générations amorphes et soumises, rétives à quitter le refuge capitaliste pour appuyer des projets révolutionnaires, en réalité piliers d'une classe triomphante qui sut phagocyter et intégrer les contributions situationnistes. [...]
Les vedettes de la récupération acquirent une notoriété impensable peu d'années auparavant, car un des aspects les plus significatifs de la destruction de l'histoire est la facilité avec laquelle se fabriquent des réputations quand la mystification a les mains libres. Ainsi donc, les penseurs-fonctionnaires campèrent un temps entre les décombres théoriques des luttes antérieures - rendus inoffensifs par le reflux du mouvement -, suffisamment pour que la soumission progresse et que les illusions révolutionnaires cessent d'être nécessaires. Avec un prolétariat se vautrant dans la misère modernisée, les idées n'étaient plus dangereuses : n'importe quel professeur médiocre pouvait remettre en question l'orthodoxie antérieure et proposer une alternative fictive et bâclée. Le truc consistait à être extrêmement critique sur les détails et s'abstenir de conclure. L'excuse était de dire que tout était trop "complexe" pour en venir à accepter des solutions simples comme l'abolition de l'État et des classes. La psychanalyse pouvait servir d'alibi à la radicalité en papier. Par exemple, pour un comique comme Guattari, il ne fallait pas chercher la lutte des classes dans les lieux habituels du combat social, dans les antagonismes générés par l'exploitation, mais plutôt "dans la peau des exploités", dans la famille, chez le médecin, dans le groupuscule, dans le couple, dans le "moi", etc., c'est-à-dire, partout où le capital et l'État n'étaient pas trop remis en cause.
Toutes ces théories sonnaient très radicales, même très anarchistes, mais on pouvait passer sa vie à regarder son sexe ou son intériorité, se culpabiliser et chercher la lutte des classes sans être certain de la trouver. Une pensée soumise qui gardait l'apparence de la subversion était la plus indiquée pour un pouvoir qui s'appuyait sur des classes moyennes salariées et sur un prolétariat qui reculait dans le désordre, tous encore commotionnés par les secousses du passé, rêvant de révolutions qu'en réalité ils ne désiraient pas, du moins, incapables de réaliser s'ils voulaient vraiment changer l'ordre des choses. Consommateurs d'idéologie, ils voulaient en même temps le prestige de la révolte et la tranquilité de l'ordre.