Bonjour à tous,
Cinq ans que ce fil a été ouvert, et le moins qu'on puisse dire est que la situation décrite dans l'intervention initiale s'est très largement amplifiée. On ne compte plus les groupes français qui chantent en anglais.
C’est ma première intervention sur ce forum. Je ne suis pas guitariste mais le sujet m’intéresse également. J’ai tout lu et je voudrais apporter un petit commentaire, enfin un petit pavé plutôt.
Au plan linguistique, le fait que la langue anglaise soit une langue tonique n’offre pas à mon sens une facilité pour la composition, comme cela a été suggéré dans ce fil. C’est plutôt une contrainte supplémentaire en ce sens qu’on ne peut pas faire tomber un accent musical sur une syllabe non accentuée. C’est d’ailleurs l’un des problèmes avec les francophones qui chantent en anglais. Il peut leur arriver de placer des accents (au sens musical du terme) sur des syllabes non accentuées, aboutissant à un truc impossible qui fait l’effet d’une faute de goût. En français on a plus de souplesse pour placer les accents, car les mots n’en sont pas dotés a priori. Bien entendu je n’ignore pas que la création artistique se nourrit de contraintes. Disons que si on a un processus créatif qui consiste à écrire d’abord le texte indépendamment de la musique, alors un texte écrit en anglais va davantage dicter la dynamique de la mélodie.
Un autre souci d’ordre phonologique est le manque d’authenticité des sons. Exemple typique le groupe Air avec des chansons de l’album « Talkie-Walkie » (un titre en français pourtant). Dans ce cas je pense que le fait que les chansons soit interprétées par une francophone est un plus, ça ajoute un exotisme qui donne du charme. De même j’aime bien la reprise de « l’Aventurier » par Nada Surf.
Par ailleurs la pauvreté des paroles dans cet album (celui de Air) est relativement cohérente avec le côté minimaliste de la proposition musicale (cela dit sans condescendance car j’aime beaucoup ce disque). C’est d’ailleurs assez intéressant car Air a littéralisé une idée qui traverse ce fil avec la chanson « Run, » où la voix, progressivement transformée par un ordinateur, devient un élément purement musical. Ceci traduit bien la volonté de déconstruction de l’aspect verbal, et à mon avis on y retrouve clairement l’anxiété du musicien qui ne se sent pas l’âme d’un poète. Personnellement je n’ai jamais composé de chanson car je n’ai rien à dire, mais il m’arrive de composer de la musique instrumentale pour mon plaisir. Il me semble que ça répond à deux impulsions différentes, souvent incarnées par des personnes différentes dans un groupe, et forcément sur ce forum on va trouver plus de compositeurs que de librettistes.
Pour continuer sur le plan sémantique, il me semble que Zepot a raison. Le francophone peu compétent en anglais a la fausse impression que le texte des chansons de langue anglaise (pop ou rock je ne vais pas entrer dans ce débat je ne suis pas qualifié) est simple, et en déduit qu’on peut écrire des choses simples en anglais sans ridicule. Mais ce qui fait que sa chanson n’est pas ridicule c’est que son auditoire, également francophone, ne perçoit pas la vacuité et le manque d’authenticité de son texte. Prenons par exemple la chanson du groupe français Revolver « Get around town, gentlemen ». Elle n’a pas de sens. Ce n’est pas trop grave, les français ne comprennent pas donc ça ne change rien, et pour les anglophones ils ne comprennent rien non plus, c’est absurde mais l’absurde peut aussi avoir son charme. Par ailleurs si l’on veut faire des chansons absurdes, rien n’empêche de les écrire en français. « Les animaux dansent dans le safari disco club » ça veut pas dire grand chose et à mon sens ça fonctionne très bien aussi. Je pense même qu’on aura un absurde plus intéressant en écrivant dans sa langue maternelle.
Donc une chanson en anglais avec quelques aberrations lexicales ou un accent étranger, pourquoi pas. Ensuite tout est question de mesure, il faut que ça reste assez léger. Parce que sinon on obtient l’effet inverse de celui avancé ici dans beaucoup de réponses. À savoir que ce serait la musique qui primerait et que la voix ne serait qu’un autre instrument, et que donc à la limite si on ne comprend pas c’est même mieux parce que ça met la musique au premier plan.
À titre personnel quand il y a des faiblesses marquées en anglais je n’entends plus que ça, et ça gâche complètement une chanson qui aurait pu être bonne par ailleurs. Autrement dit ça focalise mon attention sur ce qu’on voulait remiser au second plan.
Au plan psychologique, il faut distinguer plusieurs niveaux d’ambitions. Pour les musiciens qui veulent vivre de leur musique, on peut comprendre que la pression des maisons de disque et l’exemple glorieux des aînés de Air, Phoenix et consorts les pousse à céder aux demandes du marché. Ce qui me dépasse en revanche, c’est d’entendre des petits jeunes de mon coin qui viennent de monter un groupe de rock écrire des chansons en anglais. Qu’ils fassent des reprises en anglais, c’est bien naturel. Là où ça devient pathétique, c’est de voir sur leur site Myspace une chanson intitulée « After the End’s World ». Et je peux vous dire que c’est du premier degré. Ici, l’anglais est choisi comme cache-misère, car le manque d’inspiration est beaucoup plus difficile à assumer dans notre langue maternelle. Mais malheureusement l’effet obtenu est contraire, avec une décrédibilisation immédiate. Et autant autrefois ce genre de dérapage était cantonné à nos garages, autant maintenant le ridicule est livré à tous par le biais des réseaux informatiques. Bref j'ai un peu mal pour eux, et même si bien sûr c'est un exemple extrême je trouve que c'est assez révélateur de l'époque. Le snobisme anglophone est d'ailleurs un phénomène étendu à bien d'autres domaines que la musique (voir l'entreprise par exemple).
En guise de conclusion d’une intervention sans doute trop longue je voudrais revenir sur un argument souvent avancé selon lequel quand on traduit telle ou telle chanson anglophone du répertoire rock, ça ne donne pas grand chose en français. C’est tout simplement que votre traduction est faible. Il est tout à fait possible de faire de bonnes traductions de chansons anglaises, pour peu qu’on ne se contente pas évidemment d’une approche littérale. Un bon exemple selon moi est la traduction de Runaway pour l’interprétation de Dave (Vanina).
Texte original :
As I walk along,
I wonder what went wrong,
With our love, a love that was so strong.
And as I still walk on,
I think of the things we've done
Together, a-while our hearts were young.
I'm a-walkin' in the rain,
Tears are fallin' and I feel the pain,
Wishin' you were here by me,
To end this misery
And I wonder--
I wah-wah-wah-wah-wonder,
Why,
Why, why, why, why, why she ran away,
Yes, and I wonder,
A-where she will stay-ay,
My little runaway,
Run, run, run, run, runaway.
Traduction française :
Loin de toi je me demande
Pourquoi ma vie ressemble
A une terre brûlée
Mais quand l'amour prend ses distances
Un seul être vous manque
Et tout est dépeuplé
Vanina rappelle-toi
Que je ne suis rien sans toi
Vanina si tu m'oublies
Je serais pour la vie
Seul au monde
Oh ! Mon.... mon... mon... mon... monde
Loin, loin, loin, loin, loin, si loin de toi
Et le monde
N'existe pas
Si tu es loin de moi, loin loin loin de moi
Ok c’est pas du rock vous me direz, à quoi je vous réponds c’est pas le sujet.
À mon avis la chanson en français n’a rien à envier à l’original (en dehors du fait que c’est une reprise), ce qui montre que dans le registre pop on peut très bien faire avec la langue française quand on en a le courage.