TimeBomb a écrit :
Déjà on peut dire sans trop risquer de se tromper qu'il était romancier et que cette phrase, certes de sa plume, est celle d'un de ses personnages. Quant à savoir si elle engage son auteur...
Ensuite, il est évident que la théorie du complot est séduisante dans le cadre de l'élaboration d'une oeuvre de fiction.
Bref...
+ @ hoon
Et passez vite au-dessus de tout ce qui suit, c'est trop trop long.
C'est bien dans le cadre de la fiction construite par le roman «
Illusions perdues» (1837) que cette phrase est prononcée par un personnage de
La Comédie Humaine de Balzac.
Ce personnage n'est pas n'importe lequel.
C'est un véritable archétype.
Il s'agit, en effet, de la présence criminelle, de l'intelligence des ténèbres, de l'architecte du monde nocturne de Paris, de l'homme aux mille ruses et aux mille noms que Balzac jette à intervalles réguliers, dans
La Comédie Humaine, entre les pattes de jeunes héros, solides ou fragiles ambitieux, qu'il essaye d'adouber dans le crime.
Lui, c'est Jacques Collin, alias Vautrin, Trompe-la-Mort, M. de Saint-Estève, William Barker et enfin, dans cet extrait d'
Illusions perdues, l'abbé Carlos Herrera qui poussera le jeune poète Lucien de Rubempré ( celui auquel, précisément, il parle ici) à tuer, dans un autre roman,
Splendeurs et misères des courtisanes.
Leçon de Balzac, je ne sais pas,
le criminel Collin caché sous l'identité de l'abbé Carlos Herrera deviendra
chef de la police après le suicide de son protégé.
Et je reste aussi succinct que possible.
Sous tous ses pseudonymes, Jacques Collin est ainsi une figure centrale de l'œuvre balzacienne : le marionnettiste clandestin qui tire, dans l'ombre, les ficelles de l'UnderWorld parisien.
Si j'avais voulu en rajouter à ce thème des histoires parallèles, j'aurais colligé deux ou trois choses sur Vautrin (ou Collin ou Herrera...etc...etc), dans
Le Père Goriot, qui essaye de répéter le même manège de séduction envers Eugène de Rastignac qui l'intéresse, entre autres choses, parce que le jeune homme possède une arme puissante pour criminaliser un peu plus l'histoire secrète de cet UnderWorld de Paris en ses bas-fonds : en effet, il le dit à Rastignac, ils réussiront tous les deux car le jeune homme connaît sur le bout des doigts les ressorts de cette arme secrète, «
l'argot du cœur» !!!
Si je n'avais craint de lasser davantage, j'aurais bien relevé, ici-même, tout le long passage dont sont tirées ces paroles citées par notre ami
@ hoon, à seule fin de donner un peu plus de généalogie exacte, rationnelle et donc unanimement vérifiable, toutes choses par dessus lesquelles les théories du complot sautent aisément, sans soucis, ou totalement aveuglées par leur colère et leur méfiance soupçonneuses.
Je ne laisserai trainer ici que le contexte immédiat de cette conversation–fleuve entre Herrera, le faux-abbé, vrai criminel et futur policier, contexte qu'il sera facile d'éviter parce que trop long :
—
Ainsi, faute de dix ou douze mille francs, vous alliez vous tuer. Vous êtes un enfant, vous ne connaissez ni les hommes, ni les choses. Une destinée vaut tout ce que l'homme l'estime, et vous n'évaluez votre avenir que douze mille francs ; eh ! bien, je vous achèterai tout à l'heure davantage. Quant à l'emprisonnement de votre beau-frère, c'est une vétille. Si ce cher M. Séchard a fait une découverte, il sera riche. Les riches n'ont jamais été mis en prison pour dettes. Vous ne me paraissez pas fort en Histoire. Il y a deux Histoires : l'Histoire officielle, menteuse, qu'on enseigne, l'Histoire ad usum delphini ; puis l'Histoire secrète, où sont les véritables causes des événements, une histoire honteuse. Laissez-moi vous raconter, en trois mots, une autre historiette que vous ne connaissez pas. Un ambitieux, prêtre et jeune, veut entrer aux affaires publiques, il se fait le chien couchant du favori, le favori d'une reine ; le favori s'intéresse au prêtre, et lui donne le rang de ministre en lui donnant place au Conseil. Un soir, un de ces hommes qui croient rendre service (ne rendez jamais un service qu'on ne vous demande pas !) écrit au jeune ambitieux que la vie de son bienfaiteur est menacée. Le roi s'est courroucé d'avoir un maître, demain le favori doit être tué s'il se rend au palais. Eh ! bien, jeune homme, qu'auriez-vous fait en recevant cette lettre ?…
— Je serais allé sur-le-champ avertir mon bienfaiteur, s'écria vivement Lucien.
— Vous êtes bien encore l'enfant que révèle le récit de votre existence, dit le prêtre. Notre homme s'est dit : Si le roi va jusqu'au crime, mon bienfaiteur est perdu ; je dois avoir reçu cette lettre trop tard. Et il a dormi jusqu'à l'heure où l'on tuait le favori…
— C'est un monstre ! dit Lucien, qui soupçonna chez le prêtre l'intention de l'éprouver.
— Tous les grands hommes sont des monstres, celui-là s'appelle le cardinal de Richelieu, répondit le chanoine, et son bienfaiteur a nom le maréchal d'Ancre. Vous voyez bien que vous ne connaissez pas votre histoire de France. N'avais-je pas raison de vous dire que l'Histoire enseignée dans les collèges est une collection de dates et de faits, excessivement douteuse d'abord, mais sans la moindre portée. A quoi vous sert-il de savoir que Jeanne d'Arc a existé ? En avez-vous jamais tiré cette conclusion que, si la France avait alors accepté la dynastie angevine des Plantagenêts, les deux peuples réunis auraient aujourd'hui l'empire du monde, et que les deux îles où se forgent les troubles politiques du continent seraient deux provinces françaises ?… Mais avez-vous étudié les moyens par lesquels les Médicis, de simples marchands, sont arrivés à être grands ducs de Toscane ?
Balzac,
Illusions perdues (1837).
Pour l'histoire
ad usum delphini (à l'usage du Dauphin), il faudrait citer Michel Foucault relativement à ce qu'il disait des relations savoureuses de l'histoire et de la souveraineté, du pouvoir et de sa conversation, comme de sa conservation bavarde, celle–là même qu'il nommait «
une histoire jupitérienne».
Mais, là encore, je fais l'économe.
Je remballe mon petit colis de menus propos bienveillants.
Ouf !
Et vous donne congé.
«Wir leben unter finsteren Himmeln, und –es gibt wenig Menschen. Darum gibt es wohl auch so wenig Gedichte. Die Hoffnungen, die ich noch habe, sind nicht groß. Ich versuche, mir das mir Verbliebene zu erhalten. »
Paul Celan, 18 mai 1960, Lettre à Hans Bender.