Redstein a écrit :
Donc en somme, tout baigne ? (À trente mètres du sol.)
Le premier qui dit ça sérieusement gagne un voyage gratuit à Fukushima.
Blague à part, tu voulais mon avis, et il s'avère que je n'en ai pas sur tout ce qui a trait au monde du nucléaire, quand même. De par mon boulot, il y a des choses que je sais très bien, d'autres que je sais moins, d'autres sur lesquelles je suis comme tout le monde, et d'autres sur lesquelles je ne me prononcerai pas (car je n'en sais rien).
Pour Fukushima, c'est clair que la situation d'ensemble n'est pas très reluisante, et qu'il y a encore pas mal d'incertitudes sur certains points liés aux coeurs fondus. Mais, pour avoir des certitudes, ça va prendre du temps : faire tourner des codes de calcul, comparer les résultats avec des mesures, mettre à jour les hypothèses, etc... tout celà prend du temps, beaucoup de temps. Et dans l'intervalle, tout le monde peut écrire tout et son contraire, y compris des tissus de conneries ou d'approximations.
Pareil en ce qui concerne la fameuse piscine de stockage du combustible irradié : ceux qui fantasment sur l'explosion nucléaire et le big truc qui fait boum font fausse route. Et ce n'est pas en donnant des chiffres de contenance en césium comparée à celle de Tchernobyl que ça rend la démarche plus juste. En gros, de ce que j'en vois, ce combustible irradié doit être refroidi (en le maintenant sous eau) et évacué sans le déformer (et a fortiori sans le faire tomber - risque de ruptures, donc de dégagement de produits de fission gazeux - le fameux césium mais pas que). Voilà la problématique. Ce qui n'est pas contradictoire avec le fait que c'est très certainement une opération rendue délicate par les dommages subis par la structure suite au tremblement de terre.
Après, j'avoue que je ne comprends pas très bien pourquoi il paraît logique à beaucoup de monde de conspuer le fait que ces piscines de stockage soient en hauteur et de trouver ça aberrant et stupide, comme si les concepteurs des centrales étaient tout juste bons à bouffer du foin. Déjà, un peu d'humilité, ça fait pas de mal, dans tous les domaines, et c'est valable pour tout le monde : partir du principe que si une grande majorité des concepteurs a fait ce choix, c'est peut-être parce qu'il y a des raisons, me semble être raisonnable. Après, on peut bien sûr toujours discuter de ces raisons, c'est une démarche saine. Mais dire "Ah, ils sont cons, ils n'ont même pas pensé que l'eau ça descend!", c'est manquer clairement d'humilité.
Ben oui, l'eau elle descend toujours, que la piscine soit au niveau du sol, enterrée, ou à 20m de hauteur. L'avantage de la mettre en hauteur, c'est que c'est peut être plus facile de construire dessous des locaux techniques avec pompes, vannes, échangeurs et tout le bazar, qui sont eux-aussi nécessaires (entre autre pour refroidir le combustible stocké dans la piscine - action indispensable et permanente). Et en plus, la piscine joue aussi un rôle lors des opérations annuelles de manutention du combustible, et son altitude est étroitement liée à celle de la cuve du réacteur : si on met la piscine plus bas, on doit mettre la cuve plus bas, donc aussi tout le reste, etc... Un effet domino qui fait qu'un final ça revient à enterrer une partie de l'installation. Pour quel intérêt? Je ne vois toujours pas : si il y a une fuite/brèche au niveau de la piscine, ce n'est pas parce qu'elle est enterrée que l'eau va moins vouloir descendre. Attention, je ne dis pas qu'il n'existe qu'une seule façon de concevoir des centrales, mais que chaque choix de conception est toujours un compromis entre avantages techniques / coût / sûreté / connaissance des risques.
En l'occurence, à Fukushima, les piscines auraient été plus bas, je ne vois pas bien ce que ça aurait changé à leur problème : ça aurait même pu être pire, pourquoi pas, puisque la vague les aurait frappées aussi, avec les dommages mécaniques et chimiques (miam, l'eau de mer sur les assemblages).
Tout ça, ce sont des idées, ça ne sort d'aucun manuel, juste de ce que je connais. Je fais partie de ceux qui n'ont pas d'avis (pourquoi faudrait-il en avoir un sur tout, absolument?), tout en sachant pertinament que la situation à Fukushima n'est pas très reluisante, et que la gestion de la crise par les Autorités ne semble pas avoir été à la hauteur des enjeux. Mais je pense qu'il faudra encore attendre de longs mois (années?) pour avoir une vision claire de ce qui s'est réellement passé, tant du point de vue technologique qu'organisationnel. Le temps de dépassionner le débat et de voir les choses le plus clairement possible.
Entre temps, il y aura toujours des Cassandre à deux balles pour parler de risque d'explosion nucléaire et de contamination mortelle planétaire, tout comme il y aura toujours des bénis oui-oui qui viendront nous expliquer que les rejets ont été tellement dilués que c'est comme s'il n'y avait rien eu.
Les deux n'aident personne.