Version longue (je m'en excuse par avance - défaut professionnel !) à éviter de quoter
Je me suis posé la question de l’évidence de l’emploi du terme « archtop » pour désigner une guitare réalisée selon le principe inventé, dit-on, par Orville Gibson à la fin du XIXe s. : à savoir avec table et dos galbés/cintrés à l’imitation des violons et autres violoncelles.
Les définitions actuelles varient. Si l’on prend celle de Wikipédia en anglais
« Une « archtop » est une guitare acoustique ou semi-acoustique à cordes métallique creuse, pleine caisse (...). Typiquement, une guitare archtop a :
- 6 cordes ;
- une table et un dos bombés (…) ;
- un corps creux (Hollow Body) ;
- un chevalet réglable mobile
- des ouïes en F (…) ;
- un cordier, un stoptail ou un vibrato Bigsby
- une liaison corp/manche à la 14e frette ».
Cette définition diffère de celle du Wikipédia français qui étend cette appellation aux :
« 3/4 de caisse ou 1/2 caisse, dont la caisse de résonance n'est pas complètement creuse afin de donner une plus grande résistance à l'instrument. En suivant cette évolution, est apparue la première guitare électrique « solid body » archtop de la marque Gibson : la Les Paul ».
Si l’on retient cette définition, une archtop est une guitare acoustique ou électrique à cordes métallique se caractérisant par :
- 6 cordes ;
- une table bombée ;
- un cordier, un stoptail ou un vibrato Bigsby.
Beaucoup de guitares sont alors des archtops et l’avenir de ce top est assuré : ce sera un fourre-tout.
La consultation de la documentation commerciale Gibson montre que le terme « archtop » met du temps à percer chez l’inventeur même du principe.
Dans le catalogue de 1937, on nous dit que la sonorité de la L-5 « is the result of a new top and back graduation developped by Gibson » (p. 5). Les L-4, L-7, L-10, L-12- L-37, L-50 sont désignées comme « carved top and back », il en est de même de la première Electric Spanish, l’ES-150. Observons que la L-4 quoique « carved top and back » existe en deux modèles avec ouïes OU rosace circulaire. Dans le Price list de la même année, les guitares Gibson sont classées en deux catégories : « carved top models» et « flat top and back models ». Le terme « archtop » n’apparaît jamais.
Il en est de même en 1942. En p. 11 du catalogue, il est précisé dans un encart intitulé « Gibson a été le pionnier des tables creusées à la main (hand-carved tops) » que « Gibson a développé et porté à sa perfection en près de 50 ans le process complexe pour creuser à la main les tables qui font la sonorité caractéristique de Gibson. ».
La liste des « carved top » compte alors : Super 400, L-5, L-12, L-7, L-4, L-50, L-47, L-30.
L’ES-300 ne met pas cette qualité en avant, surement trop évidente pour une Gibson, se contentant de préciser qu’elle est similaire à la L-5 par ses dimensions et sa construction.
Plus rien n’est précisé pour l’ES-150 qui est désormais classée dans la catégorie « Electric guitars » du Price list 1942.
Cette même année, en acoustique, pour 8 modèles de carved top coûtant de 44,75 $ à 325 $, Gibson n’a que 6 modèles de flat top (Jumbo 200, Jumbo 100, Jumbo 55, Jumbo 35, L-00 et L-0) coûtant de 29 $ à 210 $. C’est bien le règne des « carved tops » qui s’ouvre pour deux décennies !
Dans le catalogue de 1947, la qualité « carved top » n’est même plus mentionnée dans les notices de présentation technique flatteuses des Super 400 et des L-5. Toutefois, les pages des notices des Super 300, L-12, L-7C, L-4 sont, elles, surmontées d’un bandeau « carved top ». De même, la notice de la L-50 le précise.
Mais pour la première fois, apparaît le terme d’ « arched top » pour parler de la L-48 : « The aspiring guitar student finds the L-48 arched top guitar an ideal instrument ». Les tables des L-48 sont massives jusqu’en 54/57, mais elles ne sont pas sculptées. Elles sont mises en formes par la vapeur, d’où leur dénomination qui diffère de celles des « carved tops » réservées à des instruments de professionnels, plus nobles.
En 1950, avec la multiplication des modèles amplifiés, il y a désormais deux catalogues : l’acoustique, avec les même dénominations qu’antérieurement et le catalogue électrique. Il est symptomatique de constater que les notices des ES-5, L-7CE, ES-125, ES-350, ES-300, ES-175, ES-150 ne font jamais référence ni au terme de « carved top » ni à celui de « arched top » alors même que ces guitares possèdent des tables sculptées ou cintrées ! Comme si le concept n’était plus à mettre en avant pour les électriques, ces guitares porteuses de modernité et visant une nouvelle clientèle.
Le catalogue électrique de 1955, voit revenir le terme de « carved top », uniquement pour les tables sculptées de luxe (Super 400 CESN, L-5 CESN). Etonnement rien n’est précisé pour la Switchmaster, la nouvelle Byrdland. Rien non plus pour les tables en laminées qui se multiplient ES-175, ES-125, ES-295, ES-350T, ES-140 et pour la nouvelle ES-225.
Si en 1959, rien ne change pour le catalogue acoustique hormis que la diversité des modèles « carved top » se réduit, le catalogue électrique montre en revanche l’utilisation d’un vocabulaire nouveau.
Les tables sculptées sont toujours nommées « carved », mais désormais toutes les tables laminées, sans exception (ES-350T, ES-295, ES-225, ES-175, ES-125, ES-135, ES-140) utilisent le qualificatif d’ « arched top », même pour la nouvelle ES-335.
En conclusion, le terme d’ « archtop » sous la forme « arched top and back » n’apparaît chez Gibson que vers 1947 pour désigner d’abord exclusivement les tables massives moulées. Il disparaît ensuite à peu près du vocabulaire commercial Gibson. Il se généralise d’un coup en 1959 chez Gibson pour qualifier désormais l’ensemble des tables moulées en laminé, qu’elles soient hollow body, semi-hollow, avec chevalet fixe ou non, jonction corps-manche à la 14e ou à la 18e frette…
Ce que nous appelons aujourd’hui communément « archtop » (à savoir une guitare de jazz acoustique ou électrique, creuse avec table et dos massifs sculptés, ouïes…), chez Gibson, est en fait appelé, au moins depuis 1937, « carved top and back », puis dès 1940 simplement « carved top ».
Même si Gibson a désormais adopté le terme, l’usage moderne d’ « archtop » pour désigner les belles jazz boxes des années 40-50 serait donc un contresens historique qui explique le flou des définitions actuelles.