il y a des jean-foutres (comme dans tous les corps de métier d'ailleurs), heureusement il y a aussi des journalistes consciencieux comme gilles tordjman, qui est devenu musicien afin d'être un meilleur critique :
J’ai été un adolescent paresseux, et un lecteur tardif. J’ai aimé la musique, comme tout le monde, mais pas de la même manière. Il m’a très vite semblé insupportable de ne pas savoir pourquoi cet art me faisait autant d’effet, et éveillait de telles émotions. Je suis donc devenu musicien pour tenter d’en savoir plus. Par la suite, j’ai rencontré beaucoup de gens souvent aimables, beaucoup de mélomanes qui m’ont expliqué pourquoi ils n’avaient jamais franchi le pas et pourquoi ils n’avaient jamais voulu être musiciens. Ils disaient qu’ils ne voulaient pas risquer de « briser la magie ».
Cette raison-là m’a toujours paru être une pure folie : avoir une connaissance intime des oeuvres qu’on aime, par exemple simplement jouer quelques accords de guitare, ne me semble pas pouvoir amoindrir les sentiments qu’une oeuvre suscite. Bien au contraire, le détour par la technique, par l’analyse, ne fait que renforcer les raisons de nos enthousiasmes. Bien sûr, j’ai déjà entendu mille fois l’argument suivant : les critiques d’art ne sont pas peintres, les critiques de cinéma ne sont pas cinéastes, alors pourquoi faudrait-il que les critiques musicaux soient musiciens ? Et je n’ai pas beaucoup varié sur ma réponse :
on peut parfaitement parler de musique, l’évaluer, la juger, sans savoir comment c’est fait. Mais cette ignorance, surtout lorsqu’elle est volontaire, revendiquée au nom de je ne sais quelle « magie », expose immanquablement à dire un jour ou l’autre de très, très grosses bêtises.
Voici un exemple particulièrement parlant : il y a un morceau du groupe Montage (une deuxième mouture de Left Banke, soit ce qui à mon gré s’est fait de mieux dans la musique pop des années 60) que j’aime beaucoup, « Men are building sand », pour une raison précise : sur le refrain, on y entend dans l’harmonie vocale un frottement de seconde mineure particulièrement raffiné. Figurez-vous que cette « dissonance » est jugée par d’éminents confrères comme un critère disqualifiant qui expliquerait pourquoi Montage est un groupe de série B… Ces gens entendent là un défaut, une fausse note, bref une faiblesse, alors qu’il s’agit manifestement d’un choix délibéré, d’un de ces petits détails fantastiques qui font tout le prix, toute la noblesse roturière, de cette musique-là. C’est juste une erreur de jugement, mais elle me semble exemplaire de la différence entre les critiques qui ne sont pas musiciens et ceux qui le sont un peu. Et cet écart se creuse tellement, au fil des années, que
j’en suis venu à me dire, sans fierté particulière, que je n’ai jamais été critique musical. Juste un musicien qui a tenté de gagner sa vie avec la critique.
C’est très différent.
http://pinkushion.com/2010/03/(...)lles/