'Le rock se doit d'être intelligent maintenant? Comme Julien Doré et la French Touch? Fier d'être un con alors'
Oasis – L’ultime gâchette
L’un des groupes fondamentaux du patrimoine rock britannique vient de se disloquer pour le plus grand malheur des uns et le plus grand bonheur des autres. L’une des caractéristiques principales d’Oasis est de n’avoir jamais créé de consensus. Oasis n’est pas un groupe neutre. Soit encensé par les fans et la critique soit criblé de plombs à travers moult diatribes et chroniques cyniques envers le groupe de Manchester. Un groupe qui ne laisse pas indifférent. Un groupe qui s’inscrit donc dans la tradition rock and roll. Roll au sens lâcher prise sur le qu’en dira t-on, coups de boutoirs dans le politiquement correct, nonchalance absolue, liberté de parole et d’acte… Les frères Gallagher ne se sont pas fait prié pour suivre cette voie. Or il existe un pays qui est incapable de comprendre cela : la France.
La France où le rock se décline à coup de chansons d’écorchés vifs – Noir Désir pour le haut du pavé, Saez pour la caricature – incapables de n’écrire autre chose que des mornes plaintes… C’est pour cela que l’on vénère tant Radiohead et Muse avec leurs chansons neurasthéniques pour les premiers et les incantations mégalo-prophétiques sur le mal et la fin du monde pour les seconds. La France qui pleure donc. Mais aussi la France qui rit. Qui rit jaune en fait… Amoureuse de ses saltimbanques de musique urbaine : Négresses Vertes, Têtes Raides etc. Rythme endiablé pour textes toujours aussi grisâtes et nauséeux… Au milieu de ce paysage moribond : le metal de mauvais goût sauce Pleymo et le rock boursouflé et pompeux façon Indochine… La France des sixties à côté de la plaque qui se gave au yé-yé alors qu’outre-manche et atlantique frémit un bouillonnement rock extraordinaire. Et lorsqu’elle ne se lamente pas, elle fait sa pisseuse en suçant son pouce sur Coldplay et U2, rares groupes rock ( ?) aux côtés de Muse et Placebo…
La fratrie Gallagher au milieu de tout cela ne fait pas bon ménage…Arrogants ? Mais certainement. Mais qui ne l’est pas dans un groupe ? L’image par les mots, les actes, les déclarations virulentes ou par les bonnes intentions, les civilités, la charité […] relèvent du même sérail. Chris Martin en bon samaritain n’est pas moins arrogant que la bonne petite teigne de Liam Gallagher. Aller prêcher l’évangile selon Saint-Bono a de quoi faire rire quand on sait les dollars qu’il se met dans la poche… Quelle prétention que de vouloir « sauver le monde » non ? Le franc parler des Gallagher n’est pas pour plaire aux Français. Ni le sens de l’humour d’ailleurs. Ne verrait-on pas un soupçon d’ironie et de flegme so british quand les deux frangins se targuent d’être meilleurs que les Beatles?
Finalement la force de ce groupe c’est de n’avoir jamais fait semblant comme tant d’autres. Brut et déterminé, le combo mancunien n’a jamais baissé sa garde et n’a jamais dévié de ses convictions pour faire genre. Tant dans le comportement que dans la musique. Une institution ne s’érige qu’à force de fondamentaux et de fidélité dans ses principes qu’elle énonce. Oasis est une institution : franc-parler, aucune hypocrisie ni retour de veste au compteur, réputation fidèle à ce qu’ils sont depuis des années et animés par la pure tradition rock britannique en matière de classicisme musical. Oasis se fout de jouer les avant-gardistes, les innovateurs de talent, d’autres s’en chargent et font bien leur boulot. Oasis joue de la musique pop comme populaire, traditionnelle et enjouée. Et c’est un boulot dans lequel ils excellent à l’image de cette discographie qui n’a pris que deux fois un virage plus aventureux (toute proportion gardée on s’entend) avec « Standing on the shoulder of giants » en 2000 et « Dig out your soul » en 2008. En fait, seuls les critiques rock s’indignent qu’un groupe reste en territoire connu. Le peuple s’en fout éperdument contrairement à ce que tout le monde prétend… La France aime AC/DC et le lui rend bien… Pourtant on tient là le cador des cadors en matière d’immobilisme musical. La France exulte sur Coldplay et U2 dont on ne peut vraiment dire qu’ils ont fait preuve d’inventivité ou d’innovation… C’est bien l’attitude qui pose problème car au fond Oasis ne se démarque pas du classique rock des groupes précédemment cités. Avec la tripotée de tubes composés depuis 1994, si les Gallagher s’étaient comportés en Robins des bois du commerce équitable et épanchés dans les médias à coup de déclarations bisounours, il est fort à parier que leurs ventes ne totaliseraient pas 50 millions de galettes aujourd’hui mais plutôt le double…
Le rock a une vertu parmi tant d’autres, c’est de procurer du plaisir à travers des chansons aux refrains évidents, enjouées, rythmées etc. Oasis pratiquait cet art à merveille. Peu en sont capables à l’heure actuelle. Le rock est à nouveau triste aujourd’hui, froid, synthétique, rongé jusqu’à l’os, mécanique, robotique –Tings Tings, Gossip, Kills, Klaxons etc. – à défaut de solos épiques, de mélodies réconfortantes et chaleureuses, de textes optimistes… Oasis savait faire cela. Ils ont permis à une voire deux générations anglaises de rêver à des lendemains qui chantent, de se sortir de la sinistrose ambiante dans un pays terni par les Tories, et tout cela à travers des textes qui ne flirtaient pas avec l’écho d’une balle qui siffle dans la nuit…Ils ont comme les Strokes en 2001 donné envie à une flopée de jeunes de monter un groupe qui revendiquent leur héritage : The Coral, Kasabian, Jet, Snow Patrol, The Libertines, The Enemy, Arctic Monkeys, The Rascals etc. Et respectés par leurs pères : The Who, Paul Weller, Neil Young, Johnny Marr, John Squire etc.
Qu’on le veuille ou non, que cela puisse emmerder un paquet de gens, Oasis est devenu un groupe majeur, un monument, une composante partie prenante à jamais du paysage de la perfide Albion à qui on ne va quand même pas nous petits Français faire la leçon en matière de bon goût rock et pop, ce serait déplacé. Ils sont d’ailleurs avec Coldplay les deux derniers groupes majeurs à avoir émergé. En termes de longévité et de succès, aucun autre groupe ne les a depuis égalés. Ils laissent derrière eux un nombre de tubes impressionnant : Whatever, Live forever, Wonderwall, Don’t look back in anger, Supersonic, Stand by me, Champagne supernova, Roll with it, Morning glory, Rock and roll star, Lyla, Stop crying yer heart out… L’évidence des refrains de ces chansons (tubes FM parmi d’autres) pour ne citer qu’elles est souvent taxée de facilité voire fainéantise. Oui mais bon, écrire des “chansons facile” est un art à part entière. Cet art atteignait des sommets il y a encore une dizaine d’années. Aujourd’hui, rares sont les bons groupes de pop comme les Redwalls capables d’envoyer des refrains accrocheurs à la débottée ! Les vénérés Beatles au-delà de leur avant-gardisme de fin de carrière s’inscrivaient dans la même tradition.
Puisqu’on mentionne les Fab Four, n’a-t-on pas frôlé l’indigestion à lire ces mêmes articles de presse rabâchant éternellement le même verbiage : « ils ont tout pompé sur les Beatles ». Une petite visite chez l’ORL serait de bon aloi pour ces prêcheurs de faux. Il est fort à parier que si les frères pétard avaient clamé « nous sommes plus grands que les Kinks », nous aurions eu droit à un florilège de lynchages type « ils ont tout pompé sur les Kinks ». Alors oui ils ont donné le bâton pour se faire battre. Mais l’analogie Oasis/Beatles n’en demeure pas moins simplifiée à outrance si ce n’est simplette… Le patrimoine pop rock britannique dans lequel puise Oasis mérite davantage d’analyse que la simple comparaison lapidaire aux Beatles. C’est oublier des décennies de tradition rock allant des Kinks aux Stone Roses. Oasis est la synthèse de tout ce patrimoine génétique. D’ailleurs, le dernier opus du groupe rappelle davantage T-Rex que les Beatles si l’on y prête une oreille un peu plus avertie.
Alors leur séparation : bonne nouvelle ? Oui car le groupe n’avait plus rien à prouver. Oui car Noel Gallagher a très probablement le besoin de s’offrir un souffle nouveau la quarantaine passée, en prenant une incursion sur les chemins de Paul Weller et Neil Young. Oui car on peut attendre de sa part un disque solo fécond et à la mesure du songwriter prolifique qu’il est. Il n’a pas le talent de conteur d’un Ray Davies mais il a le sens inné de la mélodie. Enfin oui car Oasis à 60 ans sur scène dans 15/20 ans, cela n’aurait sans doute pas été très folichon à regarder. D’autant plus que le groupe commençait à faiblir scéniquement et friser l’auto-parodie. Un dernier chant du cygne avec « Dig out your soul », un bon album, certainement leur meilleur depuis le phénoménal « What’s the story morning glory ? », du moins un album cohérent dans son ouvrage et retrouvant un certain mordant qui leur avait échappé depuis le si décrié « Be here now ». Il faut savoir vieillir en tournant la page intelligemment, l’ultime crise de Rock en Seine n’était sans doute qu’un prétexte. Ceci dit, à leur image, c’est en toute fidélité que le groupe se saborde par une ultime baston. Rock and roll en définitive. Il n’y en a plus beaucoup des petites frappes rock and roll de la trempe de Liam Gallagher… Un jour ça nous manquera cruellement.
[url=]'This one's for a bum'[/url] (pour ceux qui aiment la musique supposément pompée sur les Beatles, destinée aux filles et chantée par des ptits cons)