un super article un peu long mais sublime pour celui que je considére encore comme le plus grand :
Layne Staley, 1967 - 2002
La toute dernière icône du grunge a brûlé. Le chant malade d'Alice In Chains s'est éteint pour l'éternité.
C'était malheureusement prévisible. Il aurait sûrement pu l'éviter, mais il ne parvenait plus à lutter. Une
probabilité qui nous faisait frémir, maintenant un fait divers qui nous fait souffrir. La mise à mort d'un espoir,
pour ceux qui avait osé le conserver. La fin d'une torture pour l'éternel adolescent. Layne Staley, âgé de
trente quatre ans seulement, s'est éteint le 20 avril dernier, persuadant ses démons de lui ouvrir enfin les
portes du paradis... Ou de l'enfer. Il attendait là, juste devant, depuis plus de six ans. Déjà. Un lourd silence,
ponctué par l'intolérable. Une overdose. Un mortel mélange entre héroïne et cocaïne.
Un cadavre
abandonné lâchement deux semaines durant dans un appartement vide, étouffant de solitude. Une âme
libérée de ses chaînes, souffrances devenues trop lourdes à assumer. Et une voix, unique, qui s'envole à jamais.
Pourtant...
Tout avait bien commencé. Depuis le départ en 1990, avec Facelift, le premier album d'Alice In Chains. Un
disque applaudit par la critique, propulsant le groupe débutant dans la tournée Clash of the Titans. Le
groupe de Seattle, combattant au coté de Slayer, Megadeth, et Anthrax à travers les Etats Unis, s'offrant à
l'arrivée un disque d'or inespéré. Puis, le cinéma grunge commence. Alice In Chains emboîte le pas à
Nirvana en 1992, avec le formidable Dirt. Leur métal rock, sombre et décadent, plonge le groupe dans un
succès mondial énorme.
Quatre millions degalettes empoisonnées sont innocemment acquises aux quatre
coins du pentagone. Argent, tournées, interviews et clips vidéos.
La machine était trop bien huilée, le choix n'était plus permis. Le fruit était pourri. Le malaise mûrit, enfantant
des textes envenimés, annonçant la dépression à venir. « J'ai pris les commandes / mais je n'arrive plus à
les manœuvrer / quand mes pensées se transforment en cauchemar. / Bah, quelle est la différence/ je vais
crever / dans le monde malade qui est le mien ». « Sickman », en 1992. « Au fond du trou / je ne sais plus si
je peut être sauvé. / Regarde mon cœur, je l'ai décoré / comme on le fera pour ma tombe». « Down in a hole
»,la même année.
Plus qu'une image, un miroir. Le même reflet défaitiste de Cobain, un identique mal de vivre. Mais, grâce à
des textes, à un chant unique soutenu par une musique à la fois envoûtante et mélancolique,Layne détenait
un certain avantage pour en construire l'apogée. Car son malaise était consciemment accentué, une
exagération qui lui sculpta une parfaite image de dandy suicidaire. Un jeu qui s'avéra rapidement dangereux.
Jar of flies, propulsé à la tête des charts américain le jour de sa sortie en 1994, est le premier EP a atteindre
dans l'histoire la cime des ventes mondiales. Cette modeste mais efficace collection de morceaux
acoustiques adoucit le style étouffant du groupe, offrant une légère brise rafraîchissante dans la fournaise où
Alice In Chains se complaisait généralement.
La santé de Layne devient dés lors de plus en plus
préoccupante... L'héroïne commence sa lente destruction, morale et physique. Perfide, dévastatrice.
Le saut de l'ange
La mort de Cobain. La dépression grunge.
Et Layne qui rentre en cure. Un séjour qui s'avère positif : il sort la
tête de sa dépendance, et rencontre Mike Mc Cready, le guitariste de Pearl Jam. Le projet Mad Season se
construit dans une lutte contre l'esclavage. Celle commanditée par la poudre d'ange, dans l'ombre du suicide
de Kurt. L'album, Above, apparaît subitement au début de l'année 1995. Layne réintègre ensuite rapidement
les studios avec les membres d'Alice In Chains, et le monde se met à croire qu'il n'est plus le second sur la
liste. Plus pour très longtemps.
L'album résultant restera comme l'un des plus sombres testaments rock de l'histoire.
Ce disque éponyme,
orné d'un chien estropié au regard livide, est une ode au malaise. Une chute vertigineuse dans les confins
du cauchemar moral. Celui d'un jeune homme tabassé, suppliant ses oppresseurs sur « Again ». Les
accusations lancées à un dieu insouciant, son invitationdans les affres d'un cœur malade avec « God am ».
Le poids de la solitude, l'obsession d'une mort inéluctable. Le guitariste Jerry Cantrell, enchaînant sans pitié
sonorités perverses et riffs écorchés, se hisse au sommet de son talent. Une alchimie unique au service d'un
lyrisme pervers.
Malgré cette performance, Layne ne tarde pas à rechuter. La tournée prévue est annulée, les rumeurs
réapparaissent de plus belle. Alice In Chains est au chômage physique, abandonné par un chanteur malade.
Bouffé par une dépendance accrue. Confirmant le plus infâme cliché du rock. L'injection d'héroïne. Une lente
gangrène. La grande faucheuse, qui attend patiemment son heure. Le groupe réapparaît en 1996, à
l'occasion d'un inévitable MTV Unplugged. Layne, assis sur un tabouret, le visage osseux orné d'énormes
lunettes noires, a le teint pâle. La stature cadavérique. La prestation, remarquable, restera la dernière en
date du groupe.
Ensuite... Le néant. Une absence assourdissante. Un silence éternel. L'album solo de Jerry Cantrell, Boggy
depot, est publié en 1998. Le principal compositeur d'Alice In Chains n'a pas pu attendre la voix de Layne,
gardant le silence sur la santé du chanteur, et donc sur l'avenir même du groupe. Pauvre Layne.
Ne
parvenant plus à se défaire des chaînes qui le lient à sa propre autodestruction. Découvrant le cadavre de
sa concubine quelques mois plus tard, terrassé par une overdose. Un personnage médiatique qui tombe
dans l'oubli, les regards qui changent d'horizon.
Jusqu'à l'annonce publique de sa mort, début mai. Pour ses proches, c'est une libération...
Layne était
devenu, depuis plusieurs années, un fantôme. Hantant les rues de Seattle, entre shoots d'héroïne et
profondes déprimes. Car ce n'est pas face à de simples démons qu'il devait faire face : il luttait contre les
tortures d'une destinée, devenue atroce. Ravagé par l'héroïne, anéanti par la mort de sa petite amie, démoli
par les souvenirs d'un succès oublié. Layne était devenu l'acteur d'un mauvais film, au dénouement
convergent inéluctablement vers une mort misérable. Au diable la perversité d'une hypocrite mise en valeur
de l'attitude rock, de l'automutilation morale et physique du grunge, du nihilisme punk.
Car un immense
chanteur a disparu, dans des conditions inacceptables.
Le rock américain vient de perdre son dernier diamant noir. Irremplaçable, avec son dandysme contenu,
crédible. Ses gantelets noirs, ses santiags, ses cheveux blonds plaqués, ses lunettes noires. Son corps
décharné, son visage beau à pleurer. Il nous abandonne aux élucubrations de tous les actuels prétendants,
ceux reluquant le siège vide du nihilisme Cobain, squattant avec prétention clips vidéos et couvertures de
magasines, cultivant leur soi-disant malaise comme l'on entretien des actions en bourses.
Profitant à
l'occasion, entre deux hurlements, pour faire la promotion d'une marque vestimentaire... La mort de Layne
sonne le glas d'une possible crédibilité de la rock star américaine, laissant à de pauvres charognards le soin
de se partager les bénéfices du cadavre. Mais sa classe, ils ne l'auront jamais. Car, dés à présent, le livre
est terminé, la dernière page est enfin achevée. Les temps ont définitivement changé.
Il nous laisse comme héritage de magnifiques disques, animés par ce chant intemporel. Une nostalgie
entachée par un sentiment de frustration, par le goût amer d'un terrible gâchis. Celui d'une vie,
misérablement éteinte dans un triste appartement de Seattle. La chanson « wake up », écrite par Layne en
hommage à Kurt Cobain en 1995, n'aura plus jamais la même résonance...
« Wake up, young man, it's time to wake up... »
Laurent Prat.
Mai 2002.
Discographie de Layne Staley :
Au sein d'Alice In Chains :
Facelift (1990)
Dirt (1992)
Jar of flies/sap (1994)
Alice In Chains (1995)
MTV Unplugged (1996)
Live (2000)
Greatest hits (2001)
Avec Mad Season :
Above (1995)
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RING
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