Lao a écrit :
Pouy je le place de suite derrière Jonquet (ou même avec). Rien que le fait d'avoir lancer le défi du Poulpe c'est déjà une référence mais en plus il a une sacrée verve.
Ce mot pour allonger ta liste, sans méconnaître les œuvres très significatives de Didier Daeninckx ou de Frédéric H. Fajardie et, ainsi, de ne pas oublier d’évoquer celui que j’ai la faiblesse de considérer comme un des plus grands écrivains francophones du demi-siècle dernier :
Hervé Prudon, dont l’œuvre longue mais la vie plutôt courte incarnent le très grand style et une prosodie de rhapsode (sans doute à l’origine de ce talent exceptionnel pour les adaptations d’œuvres littéraires faites pour France Culture).
Je ne sais pas où ses livres sont aujourd’hui édités, si tant est qu’ils soient encore disponibles.
À l’époque, ils paraissaient surtout chez Gallimard, dans la «Série Noire» puis «La Noire»: De
Mardi Gris (1978 ) jusqu’à
La Langue Chienne (2008 ), en passant par
Tarzan malade (1979),
Banquise (1981),
Nadine Mouque (1995, prix Louis Guilloux, Guilloux le maître du
Sang Noir, c’est tout dire de la manière que Prudon avait d’échapper aux étiquettes),
La Revanche de la colline (1996),
Les hommes s'en vont (1998 ),
Cochin (1999),
Les Inutiles (2002),
Ours et Fils (2004) ; jusqu’à l’aventure, en passant, de
Venise attendra (2000), écrit à quatre mains avec Sylvie Péju, sa compagne.
Enfin, le grand œuvre posthume de poèmes,
Devant la mort (2018 ).
Et j’en oublie...
Au détour de
La Langue Chienne, le rimbaldien clandestin qu’était
Hervé Prudon fait parler Tintin, son narrateur, ainsi :
«J'étais juste un type mince avec ce petit bagage à la con et un stylo dans la poche. […] Ma chance, c'était que le bagage ne fermait pas et que le stylo fuyait. J'ai suivi le stylo dans la fuite.»
Dans l’hommage chancelant qu’il adressa à son ami Hervé Prudon quelques jours après sa mort, le 14 octobre 2017, l'écrivain Philippe Lançon écrivait :
«
Le week-end dernier, le romancier Hervé Prudon a donné sa langue au chien. Il avait mis de la lune dans le caniveau, autrement dit, du poème dans le polar. Il avait 66 ans, un vieux crabe qui l’accompagnait avec opiniâtreté, une fréquentation assidue des rues, des strophes et des hôpitaux. A l’un d’eux, Cochin, où il vécut en pavillon et sous Saint-John Perse pour échapper à l’alcool en dégageant l’horizon intérieur,(…) Maniaque du jeu de mots, croquant des personnages affreux, sales et méchants, des lanternes rouges, des loquedus, des damnés de la terre et de banlieue aussitôt mis en grâce par les volutes de l'assonance, de la comparaison, du glissement, de la métaphore, comme dans un retable baroque finissant.(…) Il avait une élégance de gaspilleur fauché, de prince qu’on ne sort pas, complète, décalée, déprimée, instinctive, tout le chic de la bohème en prose et du dandy en dedans, celui qui ne joue pas, ne la ramène pas, ni sur son talent ni sur ses malheurs ni sur rien. De loin, il semblait long et de près, fragile, c’est peut-être une définition de la beauté. Quand il fermait la mâchoire, il avait l’air d’un enfant, l’un des siens dont il parlait si bien, avec une émotion de nourrice et une certaine colère face au destin.»
Au travers d’un article publié en 2004 par Libération,
Hervé Prudon laissait filtrer son ironie coutumière et son humour noir, cette politesse du désespoir :
«Je fréquente plus le Franprix de la rue de la Glacière que les Deux-Magots. Je me complais dans les tâches ménagères. Depuis que j'ai une HLM, la précarité n'est plus une inquiétude. Notre vie n'est pas très matérielle ni sociale. Le bonheur n'est pas dans le pré ni dans le prix, mais dans la tête. Je conseille aux enfants de se libérer des activités et de ne pas activer leur temps libre. J'aime tout ce qui ne sert absolument à rien, ce vide où l'essentiel peut s'inviter. Les petits riens, les attentions, des gestes qui semblent ne pas avoir de sens. Je suis ridicule.»
L’élégance est un rituel.
«Wir leben unter finsteren Himmeln, und –es gibt wenig Menschen. Darum gibt es wohl auch so wenig Gedichte. Die Hoffnungen, die ich noch habe, sind nicht groß. Ich versuche, mir das mir Verbliebene zu erhalten. »
Paul Celan, 18 mai 1960, Lettre à Hans Bender.