jules_albert a écrit :
richard millet,
déchristianisation de la littérature
Avec son cortège d'horreurs (consumérisme, déplacement de peuples, babélisme, aliénation, reniement culturel, manipulations génétiques, théorie du genre, relativisme, destruction de la nature, etc.), le capitalisme mondialisé est le véritable héritier du nazisme, et ses décideurs assez semblables aux dirigeants nazis capables d'organiser la mort industrielle d'individus idéologiquement choisis, tout en jouissant, le soir, de la musique de Brahms ou de la peinture de Friedrich, et faisant dire à Nietzsche ce qu'il n'a jamais dit.
La destruction du système scolaire, le mépris de la langue, le refus de l'héritage judéo-chrétien par le gauchisme culturel est donc un fait totalitaire, puisqu'il s'agit de créer l'homme nouveau, multi-sexué, métissé, en partie artificiel, un migrant génétique qui a renoncé à la viande pour le cannabis, à la prière pour la "fête", à la culture pour le divertissement, et qui n'a plus besoin des grands récits nationaux ni de ceux dont la littérature et la poésie avaient frappé la langue. Un totalitarisme qui, pour être "soft", n'en a pas moins sa dimension judiciaire, se produisît-il sur le mode parodique ; mais la parodie est la figure démoniaque de l'assentiment ; pis : dans l'ignorance volontaire, la résignation, l'indifférence à ce qui vient.
Le protestantisme marque l'évacuation du surnaturel et une rationalisation de l'invisible telles qu'il ne peut s'accorder qu'avec la version sécularisée, marchande, pervertie de la littérature. La littérature n'est pourtant pas encore tout à fait païenne, comme le voudraient tant d'esprits faibles qui croient tenir dans le démocratisme laïque une voie de sortie du catholicisme ; il faut en arriver à l'entière soumission à l'esprit du capitalisme mondialisé.
La post-littérature est donc protestante, non seulement parce que l'anglais règne sur le roman international, mais aussi parce qu'elle réfute le surnaturel qui hante la littérature, depuis Homère jusqu'à Dante, de Virgile à Bloy, de saint Augustin à Nietzsche, de Bossuet à Bernanos, de Pascal à Chestov, de Dostoïevski à Faulkner et quelques solitaires égarés dans l'inversion générale.
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Le monde d'
après la littérature : effondré, enlaidi jusqu'en sa dimension "patrimoniale", labellisée par l'Unesco, Disneyland, la pyrotechnie audiovisuelle et le tourisme, hanté par une apocalypse que presque personne ne sait ou ne veut lire -
révélation qui n'a, dès lors, pas encore tout à fait eu lieu, qui en reste au stade des métaphores, comme le roman dans ses simulacres. La littérature, si elle a encore un sens dans un monde entièrement inversé, doit faire advenir la lecture comme herméneutique de la ré-inversion.
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Sans doute la post-littérature ne peut-elle plus exister seule : il lui faut l'accompagnement de l'image - laquelle est le destin uniforme et pluriel de toute entreprise littéraire, bien plus que son produit dérivé : sa bande sonore et dessinée, qui marquent la peur de la solitude du lecteur, et du silence : cela même qui a contribué à détruire la langue, et qui ne nous laisse plus qu'une pop littérature, c'est-à-dire de la variété, du divertissement - et non la version littéraire de la
pop philosophie selon Deleuze.
Bartók avait donné le tombeau musical du Divertimento, comme Ravel celui de la Valse, Boulez de la Sonate pour piano, Berio de la Symphonie, Zimmermann du Requiem ; les noces du
polar et du roman "sérieux" ont été une mésalliance qui a tourné à l'avantage du polar, fût-il rebaptisé "roman noir", réduisant la littérature romanesque à n'être plus qu'un genre parapolitique ou narcissique (l'autofiction) : entre les deux, quelques écrivains retardent tant bien que mal, aux marges du silence, le naufrage de la langue française, dont les ultimes chantres auront été Proust, Claudel, Genet, Giono, Saint-John Perse, Simon, et quelques ironistes comme Ponge, Cioran, Michaux ; et des bricoleurs de génie : Queneau, Butor, Perec ; des thanatopracteurs, aussi : Beckett et Blanchot. L'avant-garde n'a rien produit qui soit lisible, Barthes ayant vendu la mèche, malgré sa laborieuse distinction entre plaisir du texte et texte de jouissance, en prenant l'écriture textuelle au piège de son insignifiance, de sa non-transgression, de l'ennui où elle rejoint, au bout du compte, l'académisme. Quant aux pointillistes et papillonnants d'aujourd'hui, ils sont les bâtards de Duras, Nabokov et Calvino, rééduqués par Bourdieu, Eco et Foucault, et surveillés par leur propre insignifiance.
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Nulle différence entre la post-littérature et le fait d'écrire "après Auschwitz" ? Peut-être le temps de l'"ordure" (selon Adorno) vient-il comme révélation - accomplissement apocalyptique... Cet Après-là comme retournement, aussi bien. Il a été précédé du chant du cygne formaliste (Nouveau Roman, structuralisme, Oulipo), Nouvelle Vague, post-sérialisme musical, abstraction lyrique et néofiguration picturale), comme un baroud d'honneur avant le grand retour à une narration prétendue innocente (anglo-saxonne), au minimalisme cinématographique formaté pour la télévision, à la néotonalité musicale - l'art conceptuel se voulant une néofiguration qui déconstruit l'"innocence" pour retrouver l'au-delà de toute faute, donc de la métaphysique. L'innocence est en réalité invertie, et coupable toute forme d'art qui ne s'inscrirait pas dans le reniement de la vérité, c'est-à-dire dans l'hérésie et l'apostasie. L'
ordure est bel et bien là : plagiat, simulacre, narcissisme, imposture, blessures de langue, défaut de vérité, passion du néant, tout ce qui participe du grand ennui occidental et du mensonge, c'est-à-dire ce que le Démon propose : le divertissement général, l'atténuation infinie de la faute, l'auto-absolution...