Vous et les livres...

Rappel du dernier message de la page précédente :
Kandide
Petite philosophie du marcheur
de Christophe Lamoure

Edit: Il y a un petit passage concernant Epicure, cela donne envie de connaitre davantage sa philosophie...
Vous avez des suggestions à lire à propos d'Epicure ou d'essais d'écrivain concernant ce philosophe ?
PEACE & LOVE
jules_albert
quelques nouveautés des excellentes éditions fario :


http://editionsfario.fr/spip.p(...)le241


Il y a ce que l’on constate, ces pôles qui fondent et ces vents d’une violence inconnue, cette vie dont le nombre des espèces si rapidement s’amenuise, ces foules sans horizon et sans boussole, ces eaux qui montent, ces contaminations, ces embrasements inquiétants un peu partout. Il y a également ce qu’on peut lire, lorsque 15 000 scientifiques de toutes disciplines s’alarment et lancent ensemble un rappel de ce qu’il n’y en a plus pour longtemps à continuer à ce train, et que passé un certain seuil il sera trop tard. (Comme si le seuil n’était pas déjà loin derrière nous.)

Et puis tout continue comme si de rien n’était : l’existence confortable administrée et sous vidéosurveillance, l’abreuvement continu au flux des divertissements dispensés par les fermes de serveurs et à celui des idioties récréatives du réseau, l’épanouissement béat de la mondialisation heureuse, son indifférence à tout ce qui n’est pas son propre miroir, la conviction qu’elle entraîne de sa perfection, de son progrès inévitable, de ses roues bien huilées.

C’est cette inertie, ce déni de réalité, ce défaut majeur d’attention, cette indignité morale aussi, qu’examine ce livre, comme si l’humanité suivait un cours écrit ailleurs, ayant manqué le signal des quelques bifurcations qu’il lui aurait été loisible d’emprunter.

Non sans préserver les traces, photographiques ou pensives, de ce qui nous fut laissé en legs, parmi les ruelles à peu près désertes d’un vieux bourg de province où subsistent, entre les pavés disjoints, quelques unes de ces herbes que l’on dit folles - sans doute parce qu’elles n’avaient pas été prévues dans les calculs.


baudouin de bodinat, en attendant la fin du monde





guido ceronetti, petit enfer de turin

http://editionsfario.fr/spip.p(...)le240

Un portrait plein d’ironie de son père, une réflexion implacable sur le terrorisme (après l’assassinat par les Brigades rouges d’un de ses amis, journaliste de la Stampa), une visite en compagnie du maire dans un campement Tzigane ou parmi les plaies de l’hospice, une digression sur l’analyse au carbone 14 du Suaire au cœur d’une ville spirituellement dévastée, telles sont les voies qu’emprunte Guido Ceronetti pour nous faire traverser avec lui une cité mutilée et ses revenants muets.




gustave roud, entretiens

http://editionsfario.fr/spip.p(...)le224

Marcheur nocturne, errant, comme perpétuellement situé à la frontière des mondes de l’invisible et du visible, Gustave Roud a laissé l’image d’un poète de premier plan, ayant exercé une influence considérable sur toute une génération, mais d’une grande discrétion. Malgré sa vie relativement recluse dans les vallées du Haut-Jorat, Roud répondait volontiers, avec tact, aux visiteurs qui le sollicitaient. Une douzaine d’entretiens ont été ainsi retrouvés et transcrits pour constituer ce volume : certains publiés en revue ou dans la presse, d’autres enregistrés pour la radio. Gustave Roud, sans exhibitionnisme mais avec simplicité, y évoque le milieu paysan où il vit, ses lectures déterminantes, ses admirations, sa rencontre avec Ramuz. Il parle surtout de l’expérience poétique telle qu’il la conçoit, dans les pas de Novalis, expérience de la révélation d’un lien immédiat avec le monde humain et non humain, réception comme hallucinée des morceaux épars d’un « Paradis » qu’il faut ensuite traduire et surtout ressusciter.

Il évoque aussi, dans une très belle promenade enregistrée sur ses lieux de prédilection, son lien avec l’univers des oiseaux, et des végétaux, qu’il ne peut se résoudre à croire sans voix ni signes à notre adresse.
Les entretiens ici publiés sont datés de 1948 à 1975.


Sans valeur marchande : https://debord-encore.blogspot(...).html

La peste citoyenne. La classe moyenne et ses angoisses : http://parolesdesjours.free.fr(...)e.pdf
Le Corbusier
Doc Loco a écrit :
Le livre se focalise sur le destin de Lydia Litvyak - "la rose blanche de Stalingrad", est bien détaillé et passionnant.

La rose de Stalingrad de Valérie Benaïm et Jean-Claude Hallé (couverture atroce cependant)

Merci Phil pour la référence !

Oui, j'ai toujours aimé l'aviation et l'aviation de la 2nde Guerre Mondiale, depuis que je suis tout petit et en particulier depuis que, lorsque je devais avoir 7 ans, des Spitfire, P-51, B-17, etc. sont passés très bas au dessus de la maison pour se poser sur l'aérodrome voisin où devait avoir lieu un meeting le jour suivant.
Il n'y a pas plus grande merveille pour les oreilles que le son velouté d'un moteur Rolls-Royce/Packard Merlin ou Bristol Centaurus. Ça te pique pour la vie.

D'ailleurs, le week-end de la semaine prochaine je vais à La Ferté-Alais prendre mon shoot périodique de bruit, jolies carlingues et odeurs d'essence aviation, kérosène et huile de ricin.
Cette année, il y a non pas 1 mais 2 Sea Fury (un des mes warbirds préférés, l'apogée du chasseur monomoteur à moteur à pistons), et en plus des habituels vieux coucous, Rafale (souvent plusieurs) et Patrouille de France, il y a un F-18 suisse.

Poussez un peu le volume pour visionner la vidéo.
C'est comme la bonne musique, ça s'écoute fort !

jules_albert
benoît tadié mentionne les récits d'aviation dans son histoire du polar, principalement à travers la figure de david goodis :

Retour à Nightfall. La nuit qui tombe sur la vie et la mémoire de James Vanning tombe aussi, plus généralement, sur l'œuvre de Goodis. Après Nightfall et jusqu'à la fin de sa vie, Goodis racontera l'histoire de personnages en rade, qui mènent une existence anesthésiée jusqu'à ce que l'action criminelle les remette malgré eux face à un événement traumatique, enfoui dans un passé qu'ils ne veulent plus voir : "C'était comme ouvrir une tombe dans son esprit et voir une partie de lui-même qui avait souffert et qui était morte et qui voulait rester morte et enterrée." Cette structure s'affirmera de roman en roman, comme si Goodis, à travers le polar, n'avait plus fait que s'attaquer à une seule question, celle du hiatus séparant le présent du passé, ou plutôt de la promesse du passé, qui ne sont plus deux instants sur une même ligne mais deux univers radicalement disjoints. Ce qui fascine Goodis à partir de cette époque, c'est le décrochage, le déclassement, l'amnésie, la solitude marquant des hommes devenus étrangers à eux-mêmes et à la société qui les entoure.

Il faut opposer cette situation à celles qui prévalaient dans son œuvre antérieure. Les guerres d'Espagne, de Chine, puis la Seconde Guerre mondiale : autant de champs de bataille autrefois investis avec passion, dans son premier roman Retreat from Oblivion (1939) et dans de nombreuses nouvelles pour des magazines pulp de guerre et d'aviation, aux titres éloquents comme Battle Birds, Wings, Dare Devils, Dare-Devil Aces, RAF Aces, Fighting Aces, Captain Combat, Air War, Sky Raiders. Ces histoires cessent de paraître en 1947, l'année où Nightfall est publié. Quatre ans plus tard, le plus gros succès de Goodis, Cassidy's Girl (1951), vendu à plus d'un million d'exemplaires, raconte l'histoire d'un ancien pilote de ligne dont l'avion s'est autrefois écrasé, qui végète sur le waterfront de Philadelphie et n'arrive pas à s'en échapper. Trajectoire révélatrice chez un auteur qui écrivait à la chaîne des récits d'aviateurs héroïques, qui n'en écrira jamais plus et situera désormais ses intrigues non plus au firmament que se disputent les as, mais "en bas" (Down There, 1956, titre original de Tirez sur le pianiste), dans des espaces urbains nocturnes et claustrophobiques peuplés de criminels, d'alcooliques et de prolétaires sans espoir.

De même que les personnages des romans de Goodis cachent souvent un passé d'artiste ou d'homme d'action dont il ne reste plus de trace visible, de même ces romans d'après-guerre masquent l'œuvre (quantitativement massive et désormais complètement oubliée) de sa première période, récits d'engagement antifasciste qui s'étaient succédé à un rythme soutenu dans les pulps d'aviation avant de disparaître de la scène et de la mémoire littéraires. La structure d'ensemble du corpus de Goodis se réfléchit ainsi dans le parcours de ses personnages, exprimant une même rupture et une même "amnésie rétrograde". En cela, Goodis représente la quintessence du roman noir de l'après-guerre : non seulement parce qu'il plonge ses récits dans l'ombre mélancolique des bas-fonds urbains, mais parce que cette ombre est portée par le mur de la guerre froide, interceptant la lumière des aspirations passées et le souvenir des combats dans le ciel.
Sans valeur marchande : https://debord-encore.blogspot(...).html

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Kandide
jules_albert a écrit :
quelques nouveautés des excellentes éditions fario :

http://editionsfario.fr/spip.p(...)le241

Il y a ce que l’on constate, ces pôles qui fondent et ces vents d’une violence inconnue, cette vie dont le nombre des espèces si rapidement s’amenuise, ces foules sans horizon et sans boussole, ces eaux qui montent, ces contaminations, ces embrasements inquiétants un peu partout. Il y a également ce qu’on peut lire, lorsque 15 000 scientifiques de toutes disciplines s’alarment et lancent ensemble un rappel de ce qu’il n’y en a plus pour longtemps à continuer à ce train, et que passé un certain seuil il sera trop tard. (Comme si le seuil n’était pas déjà loin derrière nous.)

Et puis tout continue comme si de rien n’était : l’existence confortable administrée et sous vidéosurveillance, l’abreuvement continu au flux des divertissements dispensés par les fermes de serveurs et à celui des idioties récréatives du réseau, l’épanouissement béat de la mondialisation heureuse, son indifférence à tout ce qui n’est pas son propre miroir, la conviction qu’elle entraîne de sa perfection, de son progrès inévitable, de ses roues bien huilées.

C’est cette inertie, ce déni de réalité, ce défaut majeur d’attention, cette indignité morale aussi, qu’examine ce livre, comme si l’humanité suivait un cours écrit ailleurs, ayant manqué le signal des quelques bifurcations qu’il lui aurait été loisible d’emprunter.

Non sans préserver les traces, photographiques ou pensives, de ce qui nous fut laissé en legs, parmi les ruelles à peu près désertes d’un vieux bourg de province où subsistent, entre les pavés disjoints, quelques unes de ces herbes que l’on dit folles - sans doute parce qu’elles n’avaient pas été prévues dans les calculs.


baudouin de bodinat, en attendant la fin du monde





Oui déni de la réalité, on attend "presque tous" la fin du monde passivement...
Tant qu'il y a du pognon qui coule ; le reste semble de piètre importance...
PEACE & LOVE
Doc Loco
Le Corbusier a écrit :
Doc Loco a écrit :
Le livre se focalise sur le destin de Lydia Litvyak - "la rose blanche de Stalingrad", est bien détaillé et passionnant.

La rose de Stalingrad de Valérie Benaïm et Jean-Claude Hallé (couverture atroce cependant)

Merci Phil pour la référence !

Oui, j'ai toujours aimé l'aviation et l'aviation de la 2nde Guerre Mondiale, depuis que je suis tout petit et en particulier depuis que, lorsque je devais avoir 7 ans, des Spitfire, P-51, B-17, etc. sont passés très bas au dessus de la maison pour se poser sur l'aérodrome voisin où devait avoir lieu un meeting le jour suivant.
Il n'y a pas plus grande merveille pour les oreilles que le son velouté d'un moteur Rolls-Royce/Packard Merlin ou Bristol Centaurus. Ça te pique pour la vie.

D'ailleurs, le week-end de la semaine prochaine je vais à La Ferté-Alais prendre mon shoot périodique de bruit, jolies carlingues et odeurs d'essence aviation, kérosène et huile de ricin.
Cette année, il y a non pas 1 mais 2 Sea Fury (un des mes warbirds préférés, l'apogée du chasseur monomoteur à moteur à pistons), et en plus des habituels vieux coucous, Rafale (souvent plusieurs) et Patrouille de France, il y a un F-18 suisse.

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C'est comme la bonne musique, ça s'écoute fort !



Je comprend totalement, j'ai aussi été fou des avions de la deuxième guerre, en particulier du Spit, et à une époque j'étais incollable sur tous les avions de l'époque (alors que je ne suis pas exactement pro-militariste, comme quoi on est pas à une contradiction près ). Et même si la passion des guitares a clairement dépassé celle des coucous, j'ai toujours une attirance profonde pour le sujet .
In rod we truss.

"Quelle opulence" - themidnighter

"It's sink or swim - shut up!"
Le Corbusier
Quand on aime l'aviation, dont celle de guerre, son histoire, c'est plus pour la technique que pour la guerre.

"Le Grand Cirque" est un livre où l'auteur proclame en premier sa passion de voler, son intérêt pour la chose aéronautique, sa peur du combat, sa détestation de la guerre... et sa passion pour la pêche à la truite.

Par ailleurs, on pourrait disserter des heures sur l'intérêt ou la nécessité de l'armement, et sur l'antimilitarisme, souvent primaire et bêtement dogmatique, et surtout fondé sur l'ignorance de l'Histoire et de la nature intrinsèquement mauvaise et belliqueuse d'Homo Sapiens.
Les Romains déjà savaient la nécessité d'une défense ("Si vis pacem para bellum" > "Qui veut la paix prépare la guerre"). Avoir négligé ce principe a conduit à la 2nde Guerre et causé 70 à 80 millions de morts.
Une des plus grandes inventions de l'humanité n'est-elle pas l'arme nucléaire, qui a fait infiniment plus pour la paix que d'autres grandes inventions fondamentales telles que l'imprimerie, l'aiguille à coudre ou la roue.
Raphc
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jules_albert
Kandide a écrit :
jules_albert a écrit :
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Il y a ce que l’on constate, ces pôles qui fondent et ces vents d’une violence inconnue, cette vie dont le nombre des espèces si rapidement s’amenuise, ces foules sans horizon et sans boussole, ces eaux qui montent, ces contaminations, ces embrasements inquiétants un peu partout. Il y a également ce qu’on peut lire, lorsque 15 000 scientifiques de toutes disciplines s’alarment et lancent ensemble un rappel de ce qu’il n’y en a plus pour longtemps à continuer à ce train, et que passé un certain seuil il sera trop tard. (Comme si le seuil n’était pas déjà loin derrière nous.)

Et puis tout continue comme si de rien n’était : l’existence confortable administrée et sous vidéosurveillance, l’abreuvement continu au flux des divertissements dispensés par les fermes de serveurs et à celui des idioties récréatives du réseau, l’épanouissement béat de la mondialisation heureuse, son indifférence à tout ce qui n’est pas son propre miroir, la conviction qu’elle entraîne de sa perfection, de son progrès inévitable, de ses roues bien huilées.

C’est cette inertie, ce déni de réalité, ce défaut majeur d’attention, cette indignité morale aussi, qu’examine ce livre, comme si l’humanité suivait un cours écrit ailleurs, ayant manqué le signal des quelques bifurcations qu’il lui aurait été loisible d’emprunter.

Non sans préserver les traces, photographiques ou pensives, de ce qui nous fut laissé en legs, parmi les ruelles à peu près désertes d’un vieux bourg de province où subsistent, entre les pavés disjoints, quelques unes de ces herbes que l’on dit folles - sans doute parce qu’elles n’avaient pas été prévues dans les calculs.


baudouin de bodinat, en attendant la fin du monde





Oui déni de la réalité, on attend "presque tous" la fin du monde passivement...
Tant qu'il y a du pognon qui coule ; le reste semble de piètre importance...

un nouveau livre de baudouin de bodinat c'est toujours un événement, du moins pour quelques-uns.
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jules_albert
jules_albert a écrit :

philip roth, ma vie d'homme

Le récit fondateur d'un enfer conjugal

Ceux qui s’intéressent aux liens entre autobiographie et fiction peuvent se réjouir : la publication de ce premier volume des oeuvres de Philip Roth en Pléiade donne l’occasion de redécouvrir l’un des grands romans méconnus de l’auteur de Portnoy et son complexe (devenu La Plainte de Portnoy dans cette édition) sur le sujet. Initialement publiée en 1974, Ma vie d’homme, roman d’initiation noir inspiré du mariage de l’auteur avec sa première femme, Margaret Martinson, est le premier volume d’une poignée de chefs-d’oeuvre hantés par le spectre d’un personnage à la fois pathétique et monstrueux, et obsédés par le défi que représente le quotidien de la sociopathie la plus sauvage pour l’imagination de l’écrivain.

Une prison pire encore

L’histoire que raconte Ma vie d’homme ne pourrait pas être plus simple : c’est celle d’un piège. Celui que se tend à lui-même, dans l’Amérique des années 1950, un jeune homme juif de 26 ans, Peter Tarnopol, élevé dans le goût de la décence et de l’éthique, et dans le culte de l’excellence universitaire et intellectuelle, lorsqu’il décide de laisser derrière lui un mode d’existence heureux, qu’il estime trop protégé, pour « vivre », devenir « un homme » et se construire un destin. Il fait alors la connaissance de Maureen, qui, bien que de cinq ans plus âgée que lui, cherche elle aussi à échapper à son milieu d’origine, dans le Midwest, avec un père alcoolique, violent et incestueux, aussi différent qu’il est possible de celui de Tarnopol. Elle voudrait être artiste, il veut être écrivain, tous deux cherchent la liberté, ils se croient faits pour vivre ensemble, et, en un sens, c’est le cas. Après quelques mois de liaison, le jeune homme, fasciné par l’histoire de cette femme au lourd passé, apprenant qu’elle est enceinte, l’épouse, et tous deux plongent en enfer jusqu’à ce que mort s’ensuive.
Comment se libérer de ses origines sans sombrer dans la pathologie et s’enfermer dans une prison pire encore : telle est l’une des questions que pose ce livre – et qui parcourt l’oeuvre de Philip Roth. L’originalité de Ma vie d’homme tient dans la façon dont l’auteur semble découvrir, en l’écrivant, l’étendue et les ramifications des obsessions qui sont les siennes. En particulier, les liens qu’il tisse peu à peu avec les aspects les plus monstrueux du personnage de Maureen. Femme en quête de libération perdue dans le labyrinthe de ses révoltes, archétype de la femme goy déréglée, figure folle du bovarysme américain, allégorie monstrueuse des États-unis eux-mêmes et baleine blanche personnelle de Philip Roth destinée à reparaître au cours des décennies suivantes sous des visages aussi différents que monstrueux dans Les Faits (1988 ), Opération Shylock (1993), Le Théâtre de Sabbath (1995), l’épouse de Tarnopol devient la première grande figure, dans l’oeuvre de l’écrivain, de ce qu’il appellera plus tard – en citant Freud – « l’incontrôlabilité du réel ».
C’est ce coup de génie flaubertien consistant à exagérer le personnage – et à faire de son ennemi mortel sa source d’inspiration la plus vive – qui transfigure le roman et introduit, dans la suite de son oeuvre, ce que les universitaires aiment appeler la métafiction. En un sens, cette chronique maritale se résume à un défi lancé par Maureen-Margaret à Roth-Tarnopol, que l’on pourrait résumer comme suit : « Tu veux être écrivain ? Fais donc mon portrait toi qui te crois si malin! Quoi que tu écrives, ce sera plat. Je te battrai à ton propre jeu non avec ce que j’écris mais avec ce que je suis. »

Contre le personnage

Nul hasard si l’une des premières disputes du couple que Ma vie d’homme nous donne à lire a à voir avec la littérature. Au sortir d’une soirée où Tarnopol a présenté à une jeune femme le conseiller littéraire de sa maison d’édition, Maureen l’apostrophe : « Et moi alors ? […] Je suis ton conseiller, tu le sais très bien ! Seulement tu refuses de le reconnaître ! Je lis chaque mot que tu écris, Peter. Je fais des suggestions. […] Et ensuite une riche putain vient planter ses nichons sous ton nez et te demander qui est ton conseiller et tu dis que c’est Walter ! Pourquoi faut-il que tu me rabaisses comme ça ? Pourquoi as-tu fait ça devant cette fille à la tête vide ? Parce qu’elle te fascinait avec ses gros nichons? Les miens sont aussi gros que les siens – touche-les un jour et tu verras ! » Maureen n’a pas entièrement tort. Elle est son conseiller littéraire, mais pas comme elle le croit. Elle est une éducatrice du chaos – le chaos américain autant que celui de la modernité –, et une façon de lire le roman est d’y voir la description du combat de l’auteur contre la voix de son personnage pour trouver la sienne.

C’est ce qui explique la construction si particulière du livre. Une sorte d’introduction intitulée « Fictions utiles » regroupe deux chapitres entièrement différents. Le premier, « L’apprentissage », rédigé sur un ton de comédie à la troisième personne, raconte la fin de l’adolescence et l’initiation sexuelle d’un jeune homme, Nathan Zuckerman (qui deviendra dans d’autres livres l’alter ego de Philip Roth). Écrit sur le ton hilarant de Portnoy, il s’achève par la rencontre avec celle qui deviendra Maureen dans la suite du roman, mais se nomme, dans cette introduction, Lydia Ketterer. La suite nécessitant, nous dit le narrateur, « un sens de l’ironie plus sombre », le second chapitre, « À la recherche du désastre », est raconté cette fois à la première personne par Zuckerman lui-même dans un registre pondéré qui emprunte à Tchekhov et à Henry James. Cette partie, qui contient la scène de cunnilingus la plus cauchemardesque de l’histoire de la littérature, raconte comment, « à travers les avatars de la Perversité ou de la Chevalerie ou de la Morale ou de la Misogynie ou de la Sainteté ou de la Sottise ou de la Colère rentrée ou de la Maladie mentale ou de l’expérience ou de l’héroïsme ou du Judaïsme ou de la Haine de soi ou peut-être de la Fiction en art, ou de rien de tout cela ou de tout cela ou d’autres choses encore », Zuckerman choisit de laisser Lydia faire de lui « l’instrument de son salut » et de gâcher sa vie d’homme.

Mais le roman proprement dit ne commence qu’ensuite, quand, dans une seconde partie intitulée « Ma véritable histoire », on comprend que ces deux chapitres ont été écrits par le « vrai » narrateur du livre, Peter Tarnopol, pendant ses années de mariage, lesquelles viennent de s’achever par la mort de l’un des combattants – en l’occurrence, Maureen. Libéré mais sonné, Tarnopol entreprend de raconter ce qui s’est « vraiment » passé. Mais, tour de vis supplémentaire, ce récit est lui-même commenté de l’intérieur par le psychanalyste de Tarnopol, et surtout par la soeur de l’écrivain, Joan, qui dans des lettres brillantes donne son avis sur les deux « fictions utiles » qui précèdent. Si bien que la lecture des événements que fait Tarnopol est toujours mise en perspective, sans pour autant être niée.

Tarnopol a-t-il vraiment rencontré Maureen par hasard ? L’une des réflexions de Joan à son frère mérite d’être citée : « Tu es incapable de rendre le plaisir croyable. Un vrai mariage où tout va bien est aussi proche de ton talent et de ce qui t’intéresse que la conquête de l’espace. […] Ton imagination (qui marche main dans la main avec ta vie) va dans une autre direction. » En 1988, dans Les Faits, récit cette fois strictement autobiographique dans lequel l’écrivain revient sur ce mariage, Nathan Zuckerman, intervenant en postface pour s’adresser à lui et lui recommander de ne pas publier le texte, dira en écho à Joan : « Les choses qui te minent sont celles dont tu te nourris et dont tu nourris ton talent. » Une définition, peut-être, de la modernité littéraire ?

Marc Weitzmann, Le Magazine littéraire, septembre 2017

m. weitzmann a rendu visite à philip roth en octobre dernier : http://www.lemonde.fr/livres/a(...).html

Citation:
Depuis 1959, année de parution de Good­bye, Columbus (Gallimard, l’éditeur de toute son œuvre en France, 1962), Philip Roth a publié un livre à peu près tous les deux ans. Aujourd’hui, il est l’un des derniers « écrivains absolus », au sens flaubertien : l’ultime représentant des romanciers nés avant le triomphe de la télévision, et dont l’imagination comme la puissance de concentration ont été entièrement structurées par la littérature, d’une manière pratiquement plus envisageable aujourd’hui.

la réaction de marc weitzmann à la suite du décès de philip roth : https://www.lemonde.fr/dispari(...).html
Sans valeur marchande : https://debord-encore.blogspot(...).html

La peste citoyenne. La classe moyenne et ses angoisses : http://parolesdesjours.free.fr(...)e.pdf
jules_albert
signalons au passage le nouveau livre de roland jaccard, "penseurs et tueurs".

"Il n y a pas de pensée qui ne s'exerce sans une constante tentation suicidaire ou meurtrière. C'est même à cela qu'on reconnaît sa force. Cet essai en dessine les formes les plus extrêmes entre le grotesque et le sublime, le macabre et le chic. Avec la dose de provocation et d'humour que chaque lecteur voudra bien y mettre. L'esprit du temps a réduit les contours de la liberté de pensée. Une raison de plus pour troubler le conformisme ambiant, à supposer que cela soit encore possible."


Sans valeur marchande : https://debord-encore.blogspot(...).html

La peste citoyenne. La classe moyenne et ses angoisses : http://parolesdesjours.free.fr(...)e.pdf
Invité
J'avais bien aimé "la tentation nihiliste" de Roland Jaccard .. je suis plutôt hostile au nihilisme (à cause d'une contradiction interne), même si je convient que ça n'a rien d'imbécile ... mais j'avais aimé l'humour de Jaccard

(en ce moment je découvre Montherlant... inculte que je suis je n'avais jamais lu)
Kandide
quantat a écrit :
(en ce moment je découvre Montherlant... inculte que je suis je n'avais jamais lu)


Comment ???
Il n'est jamais trop tard pour s'améliorer !

Et j'espère que tu as lu Gandhi ?


Car je pourrais parler de toi défavorablement à la modération...
PEACE & LOVE
Invité
Gandi était pédophile et il écrivait très mal
Kandide
A-t-on des preuves ?
C'est à la mode de jeter de la suspicion partout...
Et si c'est vraiment le cas, le monde est encore plus triste que je le pensais.
Difficile de trouver de l'espérance ici-bas. Qu'est-ce je fiche sur cette planète ?

Pour positiver, si c'est encore possible:
Son message de non-violence me parle. N'est-ce pas là l'essentiel ?

PEACE & LOVE
PEACE & LOVE
Invité
Kandide a écrit :
A-t-on des preuves ?
C'est à la mode de jeter de la suspicion partout...
Et si c'est vraiment le cas, le monde est encore plus triste que je le pensais.
Difficile de trouver de l'espérance ici-bas. Qu'est-ce je fiche sur cette planète ?

Pour positiver, si c'est encore possible:
Son message de non-violence me parle. N'est-ce pas là l'essentiel ?

PEACE & LOVE


Non justement ... j'aurais plutôt tendance à rechercher quelle est la fonction corrompue du message aimable d'un pervers

En ce moment sur backstage...