quelques éléments essentiels (et inédits) de la vie de francis pagnon, musicien et auteur d'en évoquant wagner : la musique comme mensonge et comme vérité, m'ont été communiqués récemment.
je vous les livre ici, car ils aident à mieux comprendre la personnalité de l'auteur et sa passion pour wagner:
Étant proche de la critique situationniste, Francis Pagnon n'aurait jamais accepté d'être désigné comme musicologue français, comme philosophe ou comme une quelconque autre forme de spécialiste. On peut dire de lui qu'il fut un marginal et un autodidacte, et surtout un révolutionnaire.
Francis Pagnon est né dans le territoire de Belfort, dans une famille ouvrière, pauvre et violente. Ayant tôt rompu avec elle, il ne renia jamais, pour autant, son origine sociale. C'est en autodidacte qu'il acquit une vaste culture (il fut polyglotte, féru de philosophie, musicien) mais ne concevait pas d'autre usage de cette culture que critique et révolutionnaire. Evitant toute forme d'intégration sociale, il s'efforça toute sa vie d'amener ses relations à partager cette orientation et n'eut pour horizon que celui d'un renversement de l'ordre capitaliste (comme en témoigne sa lettre du 9 septembre 1988 adressée à Jean-Pierre Baudet depuis le village thaïlandais proche de la frontière birmane où Pagnon vécut).
Sur le plan musical, et en dépit d'une scolarité absente, Pagnon se forma en harmonie et en analyse musicale (avec Narcis Bonet, qui lui reconnut en réel talent dans ce domaine). Il apprit pendant quatre ans à jouer du piano, composa des chansons, mais sa passion prédominante portait sur l'oeuvre de Richard Wagner. Pagnon considérait qu'on trouvait, en particulier dans la Tétralogie, l'héritage du passé révolutionnaire de Wagner, qui fut proche de Bakounine, et n'acceptait pas le rejet dont Wagner fait l'objet en raison de l'antisémitisme et du pangermanisme dont on l'accusait sous prétexte que les nazis s'étaient emparés de sa musique.
Pagnon vécut de façon précaire à Londres (où il s'était enfui avant d'avoir atteint sa majorité, et d'où il fut expulsé après l'expiration de son visa) et, plus tard, à Cologne. En France, il vécut à Tours et dans le dix-huitième arrondissement parisien. Refusant toute activité professionnelle pouvant être considérée comme bourgeoise, Pagnon mena une vie totalement désargentée, ne travaillant que dans des conditions misérables.
Depuis son jeune âge, il souffrait d'une paralysie du nerf auditif qui ne cessa de s'intensifier et de le condamner à une surdité en constante augmentation, de plus en plus pénible pour un musicien.
Le seul livre publié de son vivant, ''En évoquant Wagner'', fut réalisé en 1981 avec le soutien bienveillant de l'éditeur Gérard Lebovici, lui-même musicien. Cette constellation heureuse ne se reproduisit pas, puisqu'en 1984, déjà très diminué, Pagnon proposa au même éditeur un manuscrit impossible à publier en l'état.
Dans le conflit opposant en 1987 Jean-François Martos, Jean-Pierre Baudet et (clandestinement) Guy Debord à l'Encyclopédie des Nuisances, Pagnon prit position avec passion en faveur des premiers.
Pagnon était l'exemple même de l'écorché vif, ne sachant moduler son empathie pour son entourage. Après une longue période passée dans un village du nord de la Thaïlande (région de Chiang Maï), déçu par son impuissance devant la misère locale comme devant l'évolution de la société en France, ne se sentant plus chez lui nulle part et tombant dans un alcoolisme avancé, Francis Pagnon s'est donné la mort par pendaison le 11 janvier 1990.
Francis Pagnon était très conscient de s'opposer, avec son livre, au musicologue critique le plus réputé, Theodor W. Adorno, et il ne manquait pas de relever que contrairement à celui-ci, Richard Wagner lui paraissait plus subversif que Mahler, Schönberg et Berg, qu'il aimait pourtant beaucoup. En revanche, cette fois à l'instar d'Adorno, Pagnon détestait le jazz.
* Un certain nombre de manuscrits laissés à la mort de Pagnon, non publiés, comprennent des traductions d'auteurs de théâtre allemands (''Die Albigenser'', de Nikolaus Lenau; ''Hinkemann'', d'Ernst Toller), une étude intitulée ''Lenau et le refus de la réconciliation'', et des études sur la ''Métaphysique'' d'Aristote.