j'ai dit "nguyen" comme on dirait "dupont lajoie", pas la peine d'en faire une thèse mon gros. de mon côté, je n'en fais pas tout un fromage lorsque les ploucs de service me rappellent lourdement mes origines ibériques.
je relis en ce moment cette superbe analyse de la mutation que connaît le français. les divers aspects de cette mutation avaient rarement été reliés entre eux de façon à en dresser un tableau historique qui en unifie la compréhension.
les eskimos conserveraient-ils bien longtemps les si nombreux mots qu'ils ont pour désigner les différents états de la neige, ou les kabyles pour distinguer chaque degré de mûrissement des figues, s'ils étaient brusquement transportés, les premiers en kabylie, les seconds au groenland ? il faut garder à l'esprit l'image d'un changement aussi décisif pour comprendre l'origine de la novlangue.
l'instauration de la novlangue est indissociable de l'avènement des machines. la profusion de termes techniques dans la novlangue française correspond très exactement à l'extension des domaines de la vie régis par la rationalité technique. ainsi, quand y est évoqué l'environnement, ce n'est plus sous la forme mystifiée d'une "nature", puissance obscure échappant aux lumières de l'intelligence et du calcul rationnel, mais en tant que stock de ressources à protéger et à gérer.
la novlangue naît spontanément du sol bouleversé de la société moderne.
la perfection de la novlangue est bien plus que la simple universalité d'un sabir ou d'un pidgin planétaire. façonnée par les contraintes du traitement automatique de l'information, la novlangue tend par nature à une parfaite conformité au monde lui-même rectifié par la logique technique automatisée.
pour que la langue reflète exactement, sans plus aucune possibilité d'erreur, la nature des choses, il faut tout d'abord que les choses n'aient plus rien de naturel, d'imprévisible ou d'irrégulier : qu'elles soient enfin intégralement fabriquées, contrôlées et gérées selon des procédures techniques ; lesquelles, de leur côté, réclament la création d'une langue nouvelle pour acquérir leur pleine efficacité.
il y a une sorte de preuve ontologique de la perfection de la novlangue dans cette circularité où elle est à la fois effet et cause, l'efficacité technique présupposant son existence tout autant qu'elle-même présuppose la sienne.
la novlangue, qui à l'évidence ne peut être qualifiée de langue naturelle, n'est pas pour autant artificielle. on ne saurait mieux définir son essence qu'en disant qu'elle est la langue naturelle d'un monde toujours plus artificiel.