j'ai entamé un superbe recueil d'essais du chef d'orchestre wilhelm furtwängler qui vient de paraître en espagnol. on y trouve une belle analyse du "cas wagner" qui réduit en miettes l'approche nitzschéenne... nietzsche, dépeint en girouette (grand admirateur de wagner puis détracteur féroce) ne sort pas grandi du livre de furtwängler.
furtwängler classe wagner avec les poètes de son siècle qui avaient voulu, au-delà de leur œuvre, un changement social radical (rimbaud, lautréamont...).
ce livre, publié en français sous le titre
musique et verbe (albin michel, 1963) comporte aussi des essais sur beethoven, brahms ou bruckner.
à signaler une nouvelle publication de l'encyclopédie des nuisances qui ne nous éloigne pas du thème de l'allemagne :
En 1936, Walter Benjamin fit publier
Deutsche Menschen, vingt-cinq lettres tirées des correspondances du XIXe Siècle allemand (de Lichtenberg à Nietzsche s’y mêlent les noms de Goethe, Kant, Büchner et les frères Grimm, Hölderlin et Metternich, et d’autres à nous plus inconnus), chacune précédée d’une introduction à l’érudition brève et pensive. Publié en Suisse sous un pseudonyme, ce livre était destiné à passer en Allemagne.
W. Benjamin voulait encore croire contribuer ainsi, si peu que ce fut, à sauver de l’anéantissement ce qui pouvait y subsister de l’esprit des Lumières,
« comme un recours contre l’accélération catastrophique de l’histoire », selon la formule de Th. Adorno ; c’est assez dire avec quel désarroi, quel sentiment d’impuissance. Dans le puzzle compliqué des écrits de W. Benjamin,
Allemands peut apparaître comme une pièce mineure, marginale, d’ailleurs en elle-même hétéroclite et dont on ne discerne pas d’emblée le sens exact, tant il s’y applique, suivant la méthode qui était alors la sienne dans son projet des Passages, à ne rien conceptualiser de sa philosophie, mais à laisser parler d’eux- mêmes des documents disposés en constellation.
Et en effet ces lettres « sobres et ferventes », empreintes d’un « laconisme grandiose », évoquant des types sociaux plutôt que des individus, passés la curiosité et l’agrément de les lire disposées ainsi, laissent une impression durable, indéfinissable et entêtante. Car ces voix venues d’un monde éteint, de cette « préhistoire de la modernité », par leur tonalité particulière reflétant la retenue, la conscience de soi et la discrétion, la civilité et l’autodiscipline (et certes aussi la raideur caractérielle, les conventions, les renoncements, les inhibitions et les ingénuités à être honnête), par la vive sensibilité qui se devine sous le phrasé familier, aisé et concis,
font naître l’image d’une réussite humaine, d’un caractère, en regard de quoi le lecteur moderne peut s’interroger sur la sorte d’« épanouissement » qui est le sien aujourd’hui, sur la nature de ce que nous avons entre-temps perdu.
Paru en France il y a plus de trente ans,
Allemands était devenu depuis longtemps introuvable.
Il nous a donc semblé utile, maintenant que c’est à notre tour d’être les témoins effarés du « cours catastrophique de l’histoire », de remettre cet ouvrage à la disposition du public.
Préface de Theodor Adorno, traduction de Georges-Arthur Goldschmidt.