L’idéologie de la décroissance est née dans le milieu des experts, parmi ceux qui, au nom du réalisme, voulaient inclure dans une comptabilité « bioéconomique » ces « coûts réels pour la société » qu’entraîne la destruction de la nature. Elle conserve de cette origine la marque ineffaçable : en dépit de tous les verbiages convenus sur le « réenchantement du monde », l’ambition reste, à la façon de n’importe quel technocrate à la Lester Brown, « d’internatiser les coûts pour parvenir à une meilleure gestion de la biosphère ».
Le rationnement volontaire est prôné à la base, pour l’exemplarité, mais on en appelle au sommetà des mesures étatiques : redéploiement de la fiscalité (« taxes environnementales »), des subventions, des normes. Si l’on se risque parfois à faire profession d’anticapitalisme – dansla plus parfaite incohérence avec des propositions comme celle d’un « revenu minimum garanti », par exemple – on ne s’aventure jamais à se déclarer anti-étatiste. La vague teinte libertaire n’est là que pour ménager une partie du public, donner une touche de gauchisme très consensuel et « antitotalitaire ».
Ainsi l’alternative irréelle entre « écofascisme » et « écodémocratie » sert surtout à ne rien dire de la réorganisation bureaucratique en cours, à
laquelle on participe
sereinement en militant déjà pour l’embrigadement consenti, la sursocialisation, la mise aux normes, la pacification des conflits. Car la peur qu’exprime ce
rêve puéril d’une « transition » sans combat est, bien plus que celle de la catastrophe dont on agite la menace pour amener les décideurs à résipiscence, celle des désordres où liberté et
vérité pourraient prendre corps, cesser d’être des questions académiques. Et c’est donc très logiquement que cette décroissance de la conscience finit par trouver son bonheur dans le
monde virtuel, où l’on peut sans se sentir coupable voyager « avec un impact très limité sur
l’environnement » (Entropia, n°3, automne 2007) ; à condition toutefois d’oublier qu’en
2007, selon une étude récente, « le secteur des technologies de l’information, au niveau mondial, a autant contribué au changement climatique que le transport aérien » (Le Monde,
13-14 avril 2008 ).
http://inventin.lautre.net/liv(...)e.pdf