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L'horreur Sarkozy ?
La diabolisation du candidat UMP esquive le débat et en fait de façon caricaturale l'homme de tous les défauts.
Par André GRJBINE
Pour cerner les enjeux d'une élection, les commentateurs et les électeurs ont besoin de mettre en évidence les logiques dans lesquelles s'inscrivent les candidats et qui détermineront leur action s'ils sont élus. Dès lors que la confusion du débat empêche de déduire les évolutions prévisibles à partir des projets énoncés, il est tentant de chercher ailleurs. C'est là que la personnalité des candidats devient le thème central de la campagne. Il est certes concevable d'étudier le comportement et les discours des uns et des autres pour déceler leurs contradictions et leurs failles éventuelles. Mais cet examen exige rigueur et sérieux. Il est autrement plus facile de s'attacher aux traits de caractère les plus apparents d'un candidat, de les grossir, de les caricaturer, jusqu'à en faire le facteur explicatif de son action prévisible.
L'hyperactivité de Nicolas Sarkozy, sa volonté de ne jamais reculer devant un obstacle ont fini par susciter une certaine inquiétude, qui a rendu possible un processus de diabolisation sans limites. A recenser tous les reproches qui lui sont adressés, on ne peut qu'être étonné de voir tant de défauts réunis en un seul homme. Pour ne reprendre que les accusations proférées au cours des derniers jours. Azouz Begag l'accuse de grossièreté, sinon de violence et explique qu'il s'agit d' «un homme dangereux pour la France». Le footballeur Lilian Thuram, dans un entretien au journal espagnol El Mundo (14 avril), affirme qu'il est raciste. Le Pen lui reproche de se présenter à la présidence malgré ses origines étrangères. Il n'a pas fallu moins de douze pages au directeur de Marianne (14 avril) pour recenser ses innombrables perversions. Il dénonce «sa proximité avec la droite néo-franquiste espagnole» et voit dans les critiques que Nicolas Sarkozy émet contre ses concurrents «des relents de propagande stalinienne des années 50 et de rhétorique fascisante d'avant-guerre». Finalement, Jean-François Kahn conclut que «cet homme, quelque part, est fou». D'après lui, la peur que Sarkozy ferait régner est telle que «les grands médias n'osent pas ou ne veulent pas dévoiler» sa véritable nature et que «Simone Veil assure la claque». On peut pourtant se demander de quoi cette femme courageuse aurait-elle peur ? Comme plus personne ne peut nuire à une carrière qui n'est plus à faire, serait-ce, dans l'esprit de Jean-François Kahn, d'être assassinée ? Faisant preuve d'un louable souci d'impartialité (!), l'hebdomadaire annonce qu' «évidemment, la semaine prochaine, nous nous poserons également la question à propos de Ségolène Royal ou de François Bayrou : qui est-elle ? Ou qui est-il vraiment ?» Simplement, il signale, par ailleurs, que le prochain numéro paraîtra le 24 avril, et donc après le premier tour... On pourrait multiplier ces exemples de diabolisation.
Encore ces reproches ne constituent-ils que la partie pour ainsi dire exprimable de l'iceberg. Un processus d'autopersuasion tend à s'instaurer, qui conduit à prendre en considération n'importe quelle accusation. Avant même de s'interroger sur sa véracité, on se demande gravement si un homme ayant de tels défauts peut gouverner.
Sans forcément partager toutes les positions du candidat de l'UMP, on peut néanmoins souhaiter qu'avant de voter les Français sachent s'abstraire de ce déferlement de haine pour s'interroger plus sereinement sur les projets et les comportements des uns et des autres. Il serait pour le moins fâcheux que la diabolisation serve de substitut à un débat esquivé, et que la lepénisation des esprits franchisse ainsi une nouvelle étape décisive.