il y a un livre remarquable sur la folie que j'ai ramassé l'autre jour dans une brocante, ça s'appelle "du fou au bateleur". il s'agit d'un dialogue, par textes interposés, entre un homme (christian guez, mort en 1988, poète dans la lignée de novalis ou rilke) qui se prend pour l'archange gabriel et son médecin traitant, le dr. jean-pierre coudray : "Je suis l'ange Gabriel. Que je sois l'ange Gabriel ou non, cela n'importe pas vraiment. Ce qui compte, avant tout, c'est
la traversée."
dans ce livre, christian guez, atteint de schizophrénie, évoque son enfance, puis sa jeunesse, et la rencontre de son destin un jour de mai 68: « Une après-midi, je me trouve place Saint-Michel. La police tient le pont. Les étudiants font le pied de grue. Un pavé vole, puis quelques bombes lacrymogènes, je profite d'une accalmie pour me planter au milieu de la place. Devant moi, un étudiant joue avec un fusil, le passe à ses copains, je m'approche des flics, en pointant l'arme du doigt, je meugle : "Alors, on y va, les vaches ?" Un petit gros brise le fusil. Je me retourne vers les étudiants, à leur tour, je les injurie avec les mêmes mots : "Alors, on y va, les vaches ?" Sous une pluie de projectiles et de gaz étouffants, je lève mon doigt vers le ciel et je désigne la statue de l'archange saint Michel sur la fontaine, dont jusqu'ici personne n'a songé à s'occuper. Je m'égosille. On se fout de moi. Erreur cruciale : c'était lier le ciel et la terre par un acte poétique, établir un sceau sur l'événement, une sorte de signature. C'était un signe pour toute la poésie. Depuis ce jour, je porte le nom de Gabriel. »
c'est à travers le roman "haute époque" de jean-yves lacroix que j'ai appris l'existence de ce livre. dans "haute époque", le protagoniste (un libraire alcolo) rencontre raoul vaneigem qui lui raconte la journée du 23 mai 1968 : « Mettre le peuple en armes... Bien sûr, nous étions des professionnels de la révolution... Je vais te raconter un épisode qui s'est déroulé cette après-midi-là, place Saint-Michel. Du groupe, il ne manquait personne. Nous tapions du pied en beuglant, comme toujours, de vieilles chansons françaises, quand un copain a réussi à piquer son fusil à un flic. D'un coup, la foule s'est tue en retenant son souffle, un type pas loin s'est mis à hurler. Le fusil est passé de main en main, et quand il est arrivé dans celles de Guy, les bras en V, il a montré l'arme au ciel puis, en effectuant un quart de cercle avec ses bras, il l'a fracassée sur son genou. »