Pr Robert MOLIMARD a écrit :
Pr Robert MOLIMARD, Président de la Société de Tabacologie
Centre de Tabacologie Paul GUIRAUD -Villejuif (mai 1999)
Tout le monde croit et répète que, pour s'arrêter de fumer, "il faut de la volonté". Cette erreur est la cause beaucoup d'échecs. Il faut absolument comprendre pourquoi s'arrêter de fumer n'est pas une affaire de volonté.
Toutes les enquêtes auprès des fumeurs qui sont arrivés à s'arrêter arrivent à une conclusion unanime:
1.- Il n'y a aucun rapport entre le caractère d'un fumeur et le succès de l'arrêt. Des personnes très énergiques et efficaces dans la vie n'y arrivent pas, quand d'autres sur le succès desquelles on n'aurait pas misé un sou y arrivent apparemment sans peine.
2.- Les grandes décisions avec un gros effort de volonté aboutissent rarement à l'arrêt. Les fumeurs trouvent au contraire que lorsque leur tentative a été la bonne, ils ont été surpris par la facilité de l'arrêt.
Tout se passe comme si s'arrêter était l'aboutissement d'un lent mûrissement intérieur. Ce lent cheminement commence dès le jour où l'on se dit qu'on fume trop. On essaie de se contrôler, mais on se rend compte que c'est impossible. On change de marque, on passe aux légères, à la pipe, au cigare, on s'arrête "pour se désintoxiquer", mais on reprend de plus belle. On prend de fermes résolutions qui ne tiennent pas, avec toujours ce rêve du fumeur, pouvoir contrôler l'incontrôlable. Jusqu'au jour où, sous un prétexte parfois futile, une goutte d'eau qui fait déborder le vase, on s'arrête, non pas volontairement comme on le croit, mais automatiquement.
Car fumer est un acte automatique, comme respirer, et l'on ne peut lutter contre un automatisme par la volonté. Nous faisons beaucoup de choses tout à fait automatiquement. Cette faculté de notre cerveau nous facilite énormément la vie. Imaginons que nous soyons obligés de penser à respirer!
Fig. 1. On oscille entre un état de manque (faim, soif etc.) qui provoque un désir. Celui-ci pousse à un comportement, qui est un ensemble d'actes qui aboutissent à combler le déficit. Un plaisir récompense ce bon geste. Le comportement est arrêté par un rassasiement, qui est suivi par une période de saOn est alors rassasié pour un temps, jusqu'à ce que le besoin revienne. Ainsi, une drogue est une substance que notre cerveau automatique considère comme de son devoir de régler le taux dans le sang. La force d'une drogue n'est donc pas dans le produit: c'est la force de notre cerveau automatique. La force du lien peut se mesurer au succès à l'arrêt: Il n'est pas différent qu'on boive, qu'on fume ou qu'on s'injecte de l'héroïne. Un produit dont on est dépendant est une drogue dure pour vous.tiété jusqu'au déclenchement du comportement suivant.
On est alors rassasié pour un temps, jusqu'à ce que le besoin revienne. Ainsi, une drogue est une substance que notre cerveau automatique considère comme de son devoir de régler le taux dans le sang. La force d'une drogue n'est donc pas dans le produit: c'est la force de notre cerveau automatique. La force du lien peut se mesurer au succès à l'arrêt: Il n'est pas différent qu'on boive, qu'on fume ou qu'on s'injecte de l'héroïne. Un produit dont on est dépendant est une drogue dure pour vous.
Mais une propriété tout à fait extraordinaire de notre cerveau est de pouvoir apprendre des automatismes, qui nous permettent d'accomplir sans fatigue et avec très peu d'erreurs des tâches répétitives et ennuyeuses. Par exemple, on peut conduire une automobile sans avoir à y penser, et discuter avec son passager. A la base de l'apprentissage, il y a la répétition. La nicotine disparaît assez vite du sang, et donc le cerveau-robot commande assez souvent de faire le geste de fumer. Or quand on a répété un geste souvent, il devient automatique. Comme on aura à le faire dans des circonstances environnementales assez variées, l'heure de la pause, le moment du café, etc....Il se crée au cours de la vie des associations qui déclenchent l'envie d'une cigarette même lorsque l'on n'a pas besoin de remonter son taux de nicotine dans le sang.
Le cerveau volontaire, siège de la réflexion, de la raison, ne peut rien contre le robot, pour deux raisons:
1.- Il est fatigable, alors que le robot ne l'est pas.
2.- Il ne peut penser qu'à une chose à la fois, alors que le robot peut faire des milliers de tâches simultanées.
On ne peut donc demander au cerveau volontaire de contrôler l'arrêt du tabac. Seul un robot peut avoir la vigilance permanente nécessaire. S'arrêter est donc un problème non de volonté, mais de stratégie: comment amener notre cerveau-robot à s'occuper du problème?. Un robot n'ayant pas d'imagination, cela ne peut lui venir à l'idée. Ce serait d'ailleurs contraire à sa mission qui est d'envoyer chercher de la nicotine quand elle manque. Le cerveau volontaire pourrait donc se charger du dressage du robot. Mais il est fatigable et se lasserait vite. Il faut donc le stimuler.
Heureusement, il existe un troisième personnage dans notre cerveau, indépendant des deux autres: le cerveau affectif, celui qui dit "j'ai envie" ou "j'aime", même si c'est déraisonnable, ou "je n'ai pas envie", "je n'aime pas" malgré toutes les bonnes raisons. On ne s'arrête que si l'on a envie de le faire, mais si l'on a envie, on poussera le cerveau volontaire à mettre en œuvre les stratégies pour que le cerveau-robot désapprenne à demander du tabac et apprenne à le refuser.
Tout se passe donc comme si trois personnes indépendantes discutaient en nous. L'une exprime ce qui est raisonnable et est douée de volonté, l'autre exprime les besoins, et son fonctionnement est automatique, la troisième exprime le sentiment.
L'acte que l'on finira par réaliser sera un compromis entre ces trois forces, et l'on parlera d'un acte volontaire si c'est le cerveau raisonnable qui gagne, d'un comportement si c'est l'automate, et d'un acte passionnel si c'est le cerveau affectif.
Ce qui germe dans le cerveau affectif, c'est le désir de faire quelque chose. Lorsque le désir est là, on dispose d'une force irrésistible. Mais il est bien difficile de le stimuler. C'est à chacun de voir en lui-même ce qui peut le motiver et d'y penser beaucoup. Tout ce que l'on peut faire de l'extérieur pour l'aider est de faire la liste de ce qui semble avoir motivé ceux qui ont réussi à s'arrêter, en sachant que ce qui était important et décisif pour l'un n'aura peut-être aucune prise sur l'autre.
Les motivations
La peur pour la santé n'est pas une bonne motivation. La seule manière de se prémunir est de se décider invulnérable. Alors, pourquoi ne fumerait-on pas si l'on ne peut être atteint par le cancer? Par contre, si l'on est essoufflé, si l'on tousse, si l'on souffre d'artérite, savoir qu'une amélioration rapide suivra l'arrêt est bon.
L'exemple qu'on veut donner à ses enfants, ou le fait qu'on ne voudrait plus les enfumer. Mais cette idée porte en elle le sentiment de culpabilité, ce qui n'est pas supportable et pousse à la dénégation, voire à la provocation. On fume pour bien montrer qu'on ne croit pas à ces histoires de tabagisme passif et d'exemple.
Le sentiment d'être dépendant, esclave, vache à lait des compagnies tabagières peut susciter au contraire un sentiment de révolte poussant à chercher à se libérer. Calculer ainsi les sommes astronomiques que l'Etat prélève dans votre budget en sus de vos impôts, avec votre complicité, peut être un bon exercice.
Le sentiment intime de confiance en soi qui fait qu'on pense intimement qu'on peut réussir est la seule idée qui soit associée au succès. Penser que s'arrêter relève plus d'une stratégie que tous peuvent appliquer que d'une force particulière de caractère réservée à certains peut aider à l'acquérir:
La stratégie : Un apprentissage
S'arrêter de fumer n'est pas simplement se sevrer des produits chimiques, nicotine et autres, que contient le tabac. Ce n'est en fait pas l'essentiel. Après trois jours, il n'y a plus trace de nicotine et de ses dérivés dans le corps. L'organisme cicatrise vite. En une à deux semaines, l'équilibre est retrouvé. Chez ceux qui ont un réel besoin physique de nicotine, les gommes et les timbres permettent de retarder ce sevrage chimique jusqu'à ce que l'essentiel soit acquis, à savoir l'apprentissage à vivre sans tabac des situations que l'on avait appris à associer à la cigarette. Car c'est bien là le point crucial. On ne recommence pas à fumer après un, voire 10 ans d'arrêt parce qu'on manque de nicotine, mais par nostalgie, parce qu'on se trouve avec des gens où dans des lieux où l'on fumait, dans des situations psychologiques ou affectives où l'on fumait, face à des problèmes que l'on réglait en fumant.
L'apprentissage me paraît le fil d'Ariane qui conduit à l'arrêt. Toute la période de mûrissement dont j'ai parlé est déjà un apprentissage. Celui qui fume régulièrement tous les jours finit par admettre la réalité de la dépendance. Il a compris par une foule d'expérience qu'il n'arriverait jamais à ce rêve, de fumer ce qui apparaîtrait comme raisonnable, une bonne cigarette ou un cigare de temps en temps, pour être "comme les autres", et qu'il ne sera jamais comme ces sortes de martiens que sont ceux qui peuvent le faire, qui par chance pour eux ne sont pas dépendants. Il a souvent essayé d'arrêter, et chacune de ses tentatives lui a appris quelque chose.
Etes-vous mûr ? Vous l'êtes peut-être sans le savoir. La seule façon de savoir si l'on est mûr pour s'arrêter est d'essayer. C'est pourquoi je conseille volontiers de faire comme "la Marion sous son prunier", qui "secouait ses prunes", comme dit la chanson. Faire une véritable tentative d'arrêt, en se fixant un but limité, l'impossible si l'on n'est pas mûr : 24 heures. De deux choses l'une: ou bien l'on n'est pas mûr, et le problème ne se posera pas, on aura repris une cigarette au bout de quelques heures. Mais au lieu de se dire qu'on n'a pas de volonté, que l'on est nul et qu'on n'y arrivera jamais, et de se sentit coupable, on se dira que ce n'est pas mûr, qu'on n'a pas encore réglé ses problèmes avec le tabac, on réfléchira, et l'on reviendra comme la Marion faire un nouvel essai après un temps laissé pour laisser mûrir un peu plus les prunes.
Si l'on tient 24 heures, cela veut dire qu'on est diablement mûr, et d'ailleurs une petite voix intérieure est là pour dire "Et si j'essayais encore 24 heures". Mais ce n'est pas la voix de la volonté. C'est celle qui vous dit la confiance que vous avez dans l'espoir de réussir, et donc de la maturité. Vous essayez donc encore 24 heures, puis encore 24 heures…, mais tous les pièges ne sont pas déjoués. C'est alors qu'intervient la phase d'apprentissage actif.
Comme je l'ai dit plus haut, à la base de l'apprentissage, il y a la répétition. Un geste répété assez souvent devient automatique. Un exemple: Vous souffrez du manque de cigarette lorsque arrive le café après le déjeuner. Si vous vous dites combien vous êtes malheureux de vous priver vous même d'un de vos plaisirs, vous êtes perdu. Si vous vous dites "voici une situation qui m'appelle à fumer. Il faut que j'apprenne à la vivre sans tabac. C'est dur, mais quand je l'aurai ainsi vécue une vingtaine de fois, je ne ressentirai plus cet assaut de désir, le réflexe de prendre une cigarette sera éteint et je pourrai jouir pleinement de ce moment de détente". Vous vous placez ainsi dans une situation active de conquête d'une liberté, et non dans une situation de victime passive, ce qui change tout. Vous avez déjà appris sans en être conscients à ne plus ressentir l'envie de fumer pendant la durée d'une séance de cinéma.
D'ailleurs, il n'y a jamais de rechute tardive pour ces situations quotidiennes où l'on trouvait les cigarettes bonnes voire indispensables, parce qu'elles sont vécues de façon suffisamment répétée sans cigarette que l'automatisme est acquis.
Que penser alors des différents conseils que vous vous verrez prodiguer de partout.
1.- Arrêt brutal ou progressif?
Si vous avez en tête l'image de la balançoire, vous comprendrez aisément que si vous la poussez (en prenant une cigarette), elle reviendra vous en redemander une, et que le seul moyen de faire cesser le désir est de ne plus en donner. Le mouvement perpétuel n'existant pas, elle s'arrêtera d'elle-même, toujours. Ralentir le rythme d'une balançoire est impossible. Si vous réduisez le nombre de cigarettes, vous les fumerez différemment et vous absorberez la même quantité de nicotine, tout en souffrant. De toutes façons, il faudra bien s'arrêter complètement, un moment ou un autre. Une bonne manière d'introduire un peu de progressivité est de commencer à apprendre à ne pas prendre les cigarettes associées à des situations où il semblerait impossible de ne pas fumer. Allez donc en fumer une dehors avant de venir prendre le café, pour ne pas être en manque, mais ne fumez plus avez les autres dans cette circonstance. Vous vous prémunirez ainsi contre des situations où vous risqueriez de vous trouver en difficulté.
2.- Date de l'arrêt
Comme il faudra bien vous arrêter, que ce soit après une diminution progressive ou non, il semble prouvé que choisir une date d'arrêt est une bonne chose, car une enquête a montré que les ex-fumeurs savaient parfaitement la date voire l'heure où ils ont senti un déclic qui les a fait basculer du côté de ceux qui ne fument plus. Ce n'est pas toujours prévisible, bien que ce soit souvent profondément ruminé longtemps à l'avance sans avoir été formulé. Essayez donc de choisir une date, pas trop solennelle car le sentiment d'être lié par un engagement formel risque de vous être insupportable et de vous pousser à la transgression. L'essentiel est qu'elle ait une signification pour vous et vous permette de la retrouver facilement, pour que vous puissiez vous dire "tiens, ça fait 6 mois", ou bien "c'est l'anniversaire de mon arrêt".
Attention aux grandes résolutions en partant en vacances. S'arrêter hors de son environnement naturel, c'est se priver de l'apprentissage qui consiste à ne pas fumer quand les collègues de travail le font, et le retour risque d'être difficile.
3.- Jeter son paquet et son briquet
C'est parfois l'objet d'un grand cérémonial collectif. Comme pour tous les grands serments, je crains que cette solennité ne soit guère efficace. Il y aura toujours quelqu'un pour vous offrir une cigarette et "le bureau de tabac est en face". De plus, certains patients m'ont dit que savoir leurs cigarettes personnelles à leur portée dans la boîte à gants de leur voiture ou leur vestiaire leur avait donné un sentiment de sécurité et leur avait évité de quémander la cigarette de l'échec, et que les cigarettes restées à la maison avaient fini par trouver preneur. C'est vous qui sentez ce que vous devez faire de votre matériel de fumeur.
4.- Prévenir votre entourage de votre décision
Ce conseil suppose que l'entourage soit disposé à vous aider. Si votre conjoint est un ex-fumeur et s'il n'en rajoute pas trop dans son désir de vous voir suivre son exemple, il sera souvent chaleureux et compréhensif. Mais le conseil ne saurait être généralisé, car il est des conjoints moralisateurs, des amis provocateurs. Vous êtes seul à savoir qui peut vous aider. S'arrêter de fumer est en fait votre problème personnel, à régler entre le tabac et vous seul. Si c'est pour vous enfermer dans une situation qui vous rende la rechute honteuse, cela risque de vous culpabiliser un peu plus. Je ne crois pas bon que vous vous posiez des pièges et vous construisiez des barrières extérieures. Le blocage de votre comportement doit se faire à l'intérieur de vous-même.
5.- Éviter les fumeurs et les lieux où l'on fume
Mais on ne peut s'installer sur une île déserte. On ne va pas changer de conjoint ou d'amis sous prétexte qu'ils fument. C'est un appel à l'intolérance et à la ségrégation. C'est déjà un grand changement dans la vie que de s'arrêter de fumer. S'il faut de plus s'exclure de son milieu familier, c'est y ajouter l'exil. Le conseil est inutile: vous trouverez tout seul ce qui vous paraîtra réalisable en la matière. Il vous faudra bien de toute façon apprendre à vivre entouré de fumeurs sans succomber à la tentation. Ce n'est pas en évitant ces situations que vous apprendrez à le faire.
6.- Avoir des activités de substitution
La tarte à la crème, dans ce domaine, C'est "faites du sport". C'est le grand mythe de la vie saine. Il n'existe pourtant aucune indication que l'activité sportive soit contraire au tabagisme. Les sportifs fument autant que les autres, sauf dans les sports individuels d'endurance au niveau national et international où les fumeurs n'ont aucune chance d'atteindre le niveau de performances nécessaires. Si vous êtes sportif par contre, vous suivrez plus facilement sans être essoufflé les plus jeunes qui commencent à vous distancer à la course. L'exercice physique modéré et régulier est de toutes façon recommandé, tabac ou pas.
Je crois qu'on peut en dire autant de tous les bons conseils "d'activités de substitution ". Ceux qui ont des passions n'attendent pas qu'on les leur suggère pour les assouvir. Pour les autres, je doute que l'on puisse susciter chez des fumeurs un engouement subit pour la vannerie ou le macramé qui leur fasse oublier le tabac.
7.- Avoir une bonne hygiène de vie Voilà encore un thème moralisateur et purificateur.
"Supprimer le café". Aucune étude scientifique n'a démontré que cela favorisait l'arrêt du tabac. Par contre, le foie détruit moins rapidement la caféine quand on ne fume pas. Si vous vous sentez énervé et insomniaque à l'arrêt du tabac, prenez du décaféiné.
"Supprimez l'alcool". On a besoin de toute sa vigilance au début, quand le contrôle n'est pas encore automatique. Il faut donc se méfier des vapeurs de l'ivresse. Mais supprimer votre verre de vin du repas est une contrainte inutile rendant plus difficile le sevrage. Si vous avez des problèmes avec l'alcool, c'est à vous de dresser votre plan d'arrêt. En général, on tente d'abord d'arrêter l'alcool, qui crée plus d'ennuis que le tabac. Mais certains arrivent à arrêter les deux à la fois.
" Buvez des jus de fruits ", " mangez végétarien ", " buvez beaucoup d'eau ", " prenez des douches froides et chaudes ", "prenez des bains chauds ", " ayez un bon sommeil (facile à dire !) ", " faites des repas réguliers ", " évitez les nourritures épicées ", "prenez des vitamines", "évitez les graisses saturées", "apprenez à respirer (sic) ", " mangez du pain complet ", "ayez un régime équilibré "... Ces "bons conseils" traînent partout. Je ne vois pas toujours bien ce que ces bonnes paroles signifient, mais rien de tout cela n'a jamais fait la preuve d'une relation quelconque avec l'arrêt du tabac.
8.-Faire face aux assauts du désir
Si l'on accepte mon image de balançoire, on voit que le désir donne l'illusion qu'il viendra nous titiller jusqu'à la fin des siècles ou que mort s'ensuive, mais en fait, même s'il n'est pas satisfait, il s'évanouit. Si l'on peut faire face, lui résister ne serait-ce que quelques secondes, on pourra tenir jusqu'à la vague nouvelle.
Les moyens suggérés pour gérer ces instants pénibles sont variés, depuis le classique et très militaire " je ne veux pas le savoir, ça va passer " jusqu'au chewing-gum, au cachou, au bout d'allumette qu'on suce. Je ne sais pas si l'effet en a été réellement évalué, mais le conseil de boire lentement un verre d'eau ou de faire des respirations profondes a peut-être une logique dans la mesure où cela met en activité les mêmes régions du cerveau-robot que celles qui président au comportement tabagique, que cela pourrait "distraire" un instant. D'ailleurs, si le tabac est connu comme coupe-faim, manger est un coupe-désir de fumer. Je ne me hasarderais pas à recommander de s'empiffrer, on découvre hélas ce moyen facilement tout seul, mais un comprimé de glucose, un demi morceau de sucre ou un chewing-gum sucré peuvent aider à passer une vague de désir sans compromettre le contrôle du poids.
La cigarette est souvent le moyen de sortir d'une situation de "blocage d'action ". On n'arrive pas à résoudre un problème : on prend une cigarette, soi-disant pour réfléchir, mais en fait pour évacuer un besoin d'agir qui ne peut s'exprimer. L'attente, qui condamne à l'inaction, pousse à fumer. Le père inquiet dans le couloir de la maternité est un classique des dessins humoristiques. Ces situations provoquent chez l'abstinent de fraîche date le désir de fumer mais, comme celui-ci n'exprime en fait alors qu'un besoin d'action, on comprend qu'une foule de petits moyens qui se résument à 'faire quelque chose de ses mains" puissent être des dérivatifs temporaires efficaces, mais qu'on ne puisse en recommander un pour une efficacité particulière.
9.-Apprendre à être un non-fumeur
D'abord, je ne dirais pas "non-fumeur", mais "ex-fumeur", d'où le logo ExF. On devrait cesser de se préoccuper de donner aux fumeurs un fatras de trucs et moyens hétéroclites qu'ils sont capables de découvrir seuls, se communiquent ou peuvent trouver partout, pour se consacrer à faire passer un peu plus ce message essentiel : s'arrêter de fumer est un apprentissage. En effet, même si le sujet a atteint le degré de maturation nécessaire pour sauter le pas, le nouvel équilibre n'est pas immédiatement très stable. Certes, en quelques semaines, le mouvement de la balançoire commence à s'amortir. On découvre qu'on n'y a pas pensé de la matinée. Mais l'énorme travail, qui prendra des mois, c'est de se débarrasser de tout ce réseau de réflexes conditionnés, de rituels, d'automatismes acquis qui s'est tissé au cours des années de tabagisme. On ne se débarrasse d'un automatisme qu'en lui superposant un autre automatisme. Cela permet de voir sa démarche comme active et positive. Tout, au contraire, dans le vocabulaire et les idées sur l'arrêt se définit hélas en négatif par rapport au tabac. On parle de non-fumeur, d'abstinent (sous-entendu : de tabac). On parle de consultations anti-tabac, de sevrage (qui est bien symbole de privation). On parle de soutien, de maintenance, de tenir, comme si le sujet devait être maintenu éternellement à bout de bras. C'est un peu comme si je définissais un français moyen comme un non-chiqueur de bétel. Cette vision est dangereuse car elle donne du succès l'image d'une citadelle qu'on aurait su fortifier et rendre imprenable, mais qui serait éternellement assiégée, d'où évidemment un sentiment d'enfermement et le découragement de penser qu'on n'en aura jamais réellement fini avec le tabac. Il s'oppose à la diffusion de l'idée que l'on puisse arriver à un état stable où le tabac ne suscite plus l'opposition, mais l'indifférence, et l'incompréhension qu'on ait pu un jour être tellement esclave de ce geste ridicule, nuisible, coûteux et tout compte fait inutile au bonheur.
Le message positif, c'est qu'on doit apprendre à vivre sans tabac toutes les situations où l'on fumait. Les situations que l'on vit tous les jours seront vite apprises. Par contre, une réunion entre amis, une fête, un deuil sont des situations nouvelles où les vieux réflexes ont tendance à réapparaître. Je n'ai pas de meilleure image à donner que l'apprentissage de la conduite automobile. On devient au fil des ans de plus en plus expérimenté, mais il arrive que de vieux renards du volant se laissent prendre si la situation est très nouvelle.
Robert Molimard
Mai 1999