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Fréquence de l'usage de la torture
La fréquence de l'usage de la torture, majoritairement reconnue durant les siècles précédents comme faisant quasi systématiquement partie de la procédure inquisitoriale, est remise en cause par les historiens contemporains.
D'abord, ils rappellent que la pratique de la torture (ou « question », du latin quæstio) était à l'époque utilisée aussi dans les tribunaux séculiers5, sauf par exemple en Aragon6, et n'était donc pas l'apanage de l'Inquisition7.
Ensuite, ils revoient à la baisse les anciennes estimations. Ainsi, Bennassar évalue entre 7 et 10 % le nombre de prisonniers de l'Inquisition espagnole ayant subi ces supplices8 et précise que « l'usage de la torture n'a jamais été la règle pour l'Inquisition et peut même apparaître, à certaines époques, comme l'exception »9.
Trait singulier de la torture sous l'inquisiton, la noblesse ne bénéficiait pas de privilège particulier comme cela était le cas auprès des autres tribunaux10.
Cependant, l'usage de la torture en particulier, et le nombre de victimes de l'inquisition en général, reste difficilement quantifiable car la plupart des données statistiques concernant la période avant 1560 ont disparu11. Les aveux obtenus sous la torture n'étant pas recevables, cette partie de la procédure ne faisait généralement pas l'objet d'un enregistrement écrit, et les archives des procès sont le plus souvent muettes ou au mieux allusives sur ce sujet. On trouve ainsi dans les minutes des interrogatoires de courtes phrases du type, confessionem esse veram, non factam vi tormentorum, qui à la fois évoque l'hypothèse d'une torture, et nie que l'aveu noté en ait été l'effet (« l'aveu est spontané, non fait sous la force de la douleur »). Les notations explicites postquam depositus fuit de tormento (« après son retour de la torture ») sont rarissimes.
Limites de la torture[modifier]
Bartolomé Bennassar, parlant de l'Inquisition espagnole, rappelle que la pratique de la torture y est très codifiée12. Trois tortures sont préconisées : l'eau, la poutre et le feu13.
Bennassar considère pour preuve que la torture fut appliquée avec modération le fait que nombreux sont ceux qui y résistèrent14. De même, Laurent Albaret considère qu'au XIIe siècle, « la pratique de la torture (…) est modérée et le personnel inquisitorial sincèrement peu convaincu de ses résultats »15.
L'usage de la torture posait un problème moral pour les inquisiteurs, qui, en tant que clercs, n'avaient pas le droit de verser le sang. Après un flou juridique initial, cette pratique est officiellement autorisée pour l'Inquisition en 1252 par la bulle Ad extirpenda, sous réserve de ne conduire ni à la mutilation ni à la mort, et en excluant les enfants, les femmes enceintes et les vieillards de son champ d'application16.De plus, il a souvent été exigé par le pape qu'elle ne puisse être donnée qu'avec le consentement de l'évêque du lieu. Dans cette bulle, l'accusé bénéficie de deux protections : la question ne peut être donnée qu'une fois, et les aveux doivent être répétés librement pour être recevables.
Une autre source disponible permettant de se faire une idée sur l'usage de la torture dans les procès de l'Inquisition sont les manuels et instructions des inquisiteurs. Dans les manuels, l'interdiction de soumettre plusieurs fois à la question semble ne pas avoir été prise au sérieux : des arguments formels permettaient de justifier que cette interdiction est formellement respectée, tout en la laissant sans effet. La question était par exemple considérée comme formée de plusieurs étapes, la fin d'une étape n'impliquant pas la suspension de toute la procédure. Un autre argument a été que la découverte de nouvelles charges justifiait à nouveau l'usage de la question spécifiquement contre cette charge. Enfin, l'interdiction ne concernait que l'accusé par rapport à son chef d'accusation, pas le cas des témoignages obtenus de la part d'autres témoins.
Selon Nicolas Eymerich, inquisiteur général d'Aragon, la torture n'était toutefois pas un moyen fiable et efficace d'obtenir la vérité (quæstiones sunt fallaces et inefficaces)17 car il estimait que, non seulement la capacité de résistance variait considérablement d'un individu à l'autre, mais aussi que certains accusés usaient de sorcellerie pour devenir insensibles à la douleur, voire préféraient mourir que de confesser18. En 1561, l'inquisiteur général Fernando de Valdés fit preuve du même scepticisme19. Néanmoins, il a été relevé de nombreux cas d'abus20 ; un des pires exemples, loin d'être un cas isolé, fut sans doute celui de Diego Rodriguez Lucero, inquisiteur de Cordoue de 1499 à 1508, date à laquelle il a finalement été relevé de ses fonctions21.
Avis d'un jury[modifier]
Dans les cas difficiles, le tribunal devait entendre l'avis d'un collège de boni viri, conseil formé de trente à une centaine d'hommes de mœurs, de foi et de jugement confirmés. Ce conseil est imposé et confirmé par les instructions du pape à partir de 1254. Son rôle ira croissant dans l'Inquisition, et sera étendu à d'autres juridictions pour finalement être à l'origine du jury moderne.
Après qu'ils ont prêté serment de s'exprimer en conscience, l'ensemble des actes du procès leur était transmis, mais de manière anonyme, censuré du nom de la personne accusée. Ils transmettaient deux avis à l'inquisiteur: sur la nature de la faute constatée, et sur la nature de la sanction opportune.
L'inquisiteur reste souverain et responsable de sa sentence, mais l'avis de ce conseil était le plus souvent suivi, et quand il ne l'était pas, c'était pour amoindrir les sanctions proposées.