Très beau passage de L’homme révolté (Albert Camus), encore plus d'actualité qu'en 1951 :
Mais l'art et la société, la création et la révolution doivent, pour cela, retrouver la source de la révolte où refus et consentement, singularité et universel, individu et histoire s'équilibrent dans la tension la plus dure.
La révolte n'est pas en elle-même un élément de civilisation. Mais elle est préalable à toute civilisation. Elle seule, dans l'impasse où nous vivons, permet d'espérer l'avenir dont rêvait Nietzsche : « Au lieu du juge et du répresseur, le créateur. »
Formule qui ne peut pas autoriser l'illusion dérisoire d'une cité dirigée par des artistes. Elle éclaire seulement le drame de notre époque où le travail, soumis entièrement à la production, a cessé d'être créateur.
La société industrielle n'ouvrira les chemins d'une civilisation qu'en redonnant au travailleur la dignité du créateur, c'est-à-dire en appliquant son intérêt et sa réflexion autant au travail lui-même qu'à son produit.
La civilisation désormais nécessaire ne pourra pas séparer, dans les classes comme dans l'individu, le travailleur et le créateur ; pas plus que la création artistique ne songe à séparer la forme et le fond, l'esprit et l'histoire.
C'est ainsi qu'elle reconnaîtra à tous la dignité affirmée par la révolte. Il serait injuste, et d'ailleurs utopique, que Shakespeare dirigeât la société des cordonniers. Mais il serait tout aussi désastreux que la société des cordonniers prétendît se passer de Shakespeare.
Shakespeare sans le cordonnier sert d'alibi à la tyrannie. Le cordonnier sans Shakespeare est absorbé par la tyrannie quand il ne contribue pas à l'étendre.
Toute création nie, en elle-même, le monde du maître et de l'esclave.
La hideuse société de tyrans et d'esclaves où nous nous survivons ne trouvera sa mort et sa transfiguration qu'au niveau de la création.
'Human beings. You always manage to find the boring alternative, don't you?'
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- Quand Redstein montre l'abattoir, l'imbécile regarde Redstein - (©Masha)