Gibson es175
Je suis allé la chercher dans la Drôme, à 1h30 de route de chez moi, par une matinée glaciale mais ensoleillée de fin décembre. Le vendeur m'avait dit "pas une rayure", c'était vrai, j'ai récupéré la belle dans un très bon état. A déplorer (et j'étais prévenu avant) le fermoir à code de l'étui qui ne fonctionne plus, et l'accastillage nickelé de la guitare qui est terni. Dans les deux cas, de très grands classiques. Il me dit qu'il l'a peu jouée, et là aussi c'est vrai, à peine les deux premières frettes portent des marques d'usure. Le luthier François Guidon a amené quelques subtils ajustements à cette guitare, mais ils ont leur importance: pose d'une petite pièce de bois entre le pickguard et la table, pose de strap locks avec renfort par petit cubes d'érable à l'intérieur de la caisse, et pose d'un chevalet en ébène - en revanche là j'ai un doute sur l'utilité. Mais le chevalet d'origine est livré avec.
C'est une "blonde naturelle" que j'ai eue lol, le flammé (flammage?) de l'érable est de toute beauté. La touche a un rendu très sympa aussi, plutôt claire. Mais très, très sèche... Son ex-propriétaire ne devait pas connaître les bénéfices de l'huile de citron ou lin!
Allez, retour au bercail et essai de l'animal (pas pu le faire à la transaction, mais le risque en valait la chandelle). Tout d'abord, changement de cordes (elle était montée en 9...) avec ce que je trouve chez moi, c'est-à-dire la moitié d'un jeu de XLChrome et trois autres cordes, soit à l'unité soit que je récupère sur d'autres jeux dont je n'ai plus l'utilité, pour constituer un jeu hybride "plus ou moins à filets plats" en 11/50. Et oui, les cordes aiguës du jeu XLChrome ont été kidnapées pour remplacer des cordes pétées... Au moins, les tirants sont les bons dans le jeu reconstitué. Et bien sûr, réglage manche obligé car changement de tirant. La clé de truss rod était dans l'étui!
Première surprise, le jeu en acoustique est bien plus puissant qu'attendu. Ce n'est pas non plus un son de guitare folk, pas de méprise, mais je crois qu'il dépasse en puissance celui de mon autre archtop. Tout l'instrument est très résonnant, et ça, ce n'est pas du tout ce qui se dit sur Internet pour les es175. Bref, je me surprends à prendre du plaisir à jouer un long moment sans me brancher. On peut mettre beaucoup de nuances dans ce son-là. La moindre inflexion de médiator est rendue.
Et ce fameux "thunk"... Il est bien là, au rendez-vous! Et je crois que j'en ai percé un des mystères. Ce qui se dit sur internet, c'est qu'il est dû à la construction en laminé; c'est sûrement vrai... en partie. Parce qu'une autre composante, évidente, de ce thunk, c'est le cordier lui-même. Il participe à cette secousse qui parcourt l'instrument à l'attaque des notes et qui lui donne ce rendu compressé, un peu comme le doum doum d'une contrebasse. Pour ceux qui n'ont jamais approché une es175 de près, le cordier est articulé, à savoir qu'il peut pivoter sur un axe parallèle à la table et à l'éclisse du fond de la guitare. En fait l'articulation se fait sur l'axe de fixation du cordier sur le support qui est vissé sur l'éclisse. Et je comprends que c'est ce qui permet à ce cordier d'être secoué au moment de l'attaque. En tout cas, c'est très sensible.
Alors, une fois branchée, qu'est-ce qu'elle donne? Tout d'abord, j'ai fait le montage des nouvelles cordes avec le chevalet ébène. Je ne suis pas convaincu du son électrique, que je trouve étouffé. Alors nouvelle opération de détente des cordes, substitution de chevalet (facile, ils sont flottants, en revanche c'est un peu galère à placer ), réaccordage, réglage de l'action, etc... Et là, bingo, c'est bien le son de la 175! Enorme. Et c'est chaud, chaud... Les classic57 sont juste surpuissants, en tout cas c'est l'impression qu'ils donnent dans mon henriksen. C'était même trop au départ, j'ai dû baisser les micros, mais en fait comme j'avais baissé l'action par rapport au réglage d'origine de la guitare, c'est comme si je les avais initialement montés.
J'ai fait différentes tentatives de hauteur de micros, et si on les met plutôt bas, on tend vers un son plus acoustique, plus clair, avec des médiums chantants, c'est Joe Pass sur Joy Spring (il a bien utilisé une 175 sur cet album contrairement à la photo montrant une épiphone). Si on les met plus haut, c'est plus électrique, compressé, à la fois plus sombre mais aussi avec un petit gain en brillance. Et là... c'est Pat Metheny qui sort de l'instrument. Et c'est ce réglage que je garde .
Mais même avec ce son-là, on garde un aspect un peu acoustique, transparent, comme si le bois arrivait à trouver son chemin jusqu'à l'ampli. C'est jouissif.
Maintenant, un autre aspect, moins important mais cependant notable. Le vendeur me dit "les finitions Gibson c'est pas ça". C'est aussi ce qu'on lit sur le net. Et c'est vrai! Le bout du manche est légèrement surélevé par rapport à la table, et dans l'espace situé en dessous... La table n'est pas vernie. Elle n'est même pas poncée! Le reste du corps de l'instrument est irréprochable, à l'exception de l'intérieur des ouïes. Sur mes autres grattes, il y a du binding, là, c'est simplement et grossièrement peint en noir, avec une application qui paraît celle d'un élève de maternelle. La tête est simplement peinte, là où tous les autres constructeurs font des efforts style binding, incrustations, etc... ça se voit, une tête, non? Quant à la touche, elle est parfois un peu irrégulière, et garde des traces d'usinage. Du jamais vu.
Donc cette es175 donne l'impression d'être l'œuvre d'un brillant élève, mais qui était pressé et qui a bâclé son travail. En tant qu'instrument de musique, sa supériorité est indéniable. En tant qu'objet de lutherie, hé bien... mise à part toute l'attention qui a visiblement été mise sur le son et la jouabilité, le reste a été négligé. En comparaison avec mon Ibanez jsm100 et ma Lâg Southside, elle frise le ridicule. L'érable flammé du corps rattrape bien le coup (qui fait que quoiqu'il arrive, on la trouve belle), mais chez Gibson ils ont tout parié là-dessus. En tout cas, quand on tient soit la Lâg soit l'Ibanez, on sent qu'on a entre les mains du travail solide, appliqué, pro, quand on tient la Gibson... c'est plus brut de décoffrage! Mais c'est un instrument de musique, un vrai, et un très bon. Je me demande si c'est une politique de Gibson pour faire des économies, ou bien pour garder l'image d'une boîte un peu artisanale, rock'n'roll. Peut-être les deux en fait.
Alors le mot de la fin? Voilà deux semaines quasiment que je l'ai, mes différents réglages sont en train de se stabiliser, j'arrive quasiment à avoir une action aussi basse que sur mes autres grattes (mon luthier fera le reste quand je la lui confierai après rinçage des cordes actuelles), j'ai nourri la touche a deux reprises (elle a complètement avalé l'huile de lin et de citron que je lui ai appliquée!) et celle-ci a bien plus fière allure maintenant (mais un teinte légèrement plus sombre). Je commence à adopter cette guitare, je m'y attache, elle va vraiment dans la direction sonore qui était mon intention. Elle a presque le format d'une guitare classique donc je me sens à la maison (j'ai été formé là-dessus). La découpe florentine facilite sensiblement l'accès aux aigus (je pense gagner une ou deux cases par rapport à ma Lâg). Tout ceci étant dit... Si ma route croise une Ibanez PM100 (ou même une PM120), et que le son me convainc... Je ne suis pas certain que je ne laisserai pas partir la Gibson. Pourquoi? C'est beaucoup d'argent immobilisé dans cette gratte. J'achète tout mon matos d'occase ou presque, et la Gibson m'a coûté une Lâg Southside, une Ibanez JSM100 et encore 100 €. Par ailleurs, avec Ibanez, je sais que j'aurais une touche en ébène, ce que je préfère, et les manches Ibanez, c'est juste un rêve... Non pas que le manche de mon es175 soit mauvais, bien au contraire, mais Ibanez fait des manches exceptionnels. De plus, sur la PM100, il y a une découpe sur la partie supérieure de la caisse qui permet de passer le pouce, le talon du manche est raccourci aussi, donc l'accès aux aigus est quasiment celui d'une solid-body, et en plus ils ont pensé rallonger le manche à 22 frettes. Et en y réfléchissant bien, je me demande si je ne préfère pas le son de Pat Metheny depuis qu'il a troqué sa vieille Gibson contre des Ibanez.
Quoiqu'il advienne, j'ai bien commencé à m'amuser et ça va continuer. Il est content, le fabilou .
Merci de m'avoir lu jusqu'au bout. J'essaierai de poster des photos, voire des samples.