Ce qui est terrible c'est que quand je lis du Gotlib, j'imagine les dessins de Gotlib.
Marcel (jactances) a écrit :
La charité.
Lorsqu'on est le spectateur impuissant des misères du monde, il y a de quoi se poser mille questions à propos de cet animal dont la Sainte Bible affirme qu'il serait le plus sublime de toute la création : l'être Humain. Au crépuscule d'une existence entièrement vouée à l'Humanisme, l'homme de bonne volonté peut être saisi de doutes quant au bien-fondé d'une telle soi-disant perfection.
Oui. Les plus fermes assurances peuvent vaciller chez ceux-là même qui ont toujours eu la plus aveugle confiance en la bonté de leurs frères. Quand bien même celle-ci se dissimule parfois sous le sombre vernis de la barbarie, du vice, du stupre, du lucre et de la mauvaiseté (ça existe, j'ai vérifié dans le dico. Remarquez qu'il y a marqué "vieux".). Moi qui, dans ma naïve candeur, ai toute ma vie donné carte blanche à la grandeur et aux vertus de mon prochain, voici que soudain j'hésite.
Justement, je pensais à ça l'autre jour en me rendant à une station de radio dans le but d'y accorder une interview qui a d'ailleurs été diffusée sur ondes courtes samedi dernier à deux heures du matin. Parfois, au volant de ma voiture, je me mets à penser. Il m'arrive alors d'être brutalement saisi par d'intenses questionnements existentiels. C'est parce que je n'ai pas d'auto-radio. Or donc, que je me disais comme ça, le Christ, lorsqu'il a racheté tous les péchés du monde, se serait-il fait gruger ?
Cette question m'emplit d'une angoisse qui, me saisissant de ses griffes d'acier, donna naissance à une épouvantable douleur abdominale que j'attribuai à la gravité du problème.
Une fois garé, je me rendis compte qu'en fait, la douleur avait pour véritable origine une terrible envie de pisser (A noter que cela ne faisait que déplacer le problème sans pour autant l'occulter, mais là n'est pas la question).
Je me voyais mal, arrivant dans le studio radio qui m'avait si aimablement convié, et demandant à brûle-pourpoint où se trouvaient les cabinets, au moment précis où l'on me demanderait si j'aimerais boire un café. (quand on va à une radio quelle qu'elle soit, la première chose qu'on vous demande est "Vous voulez un café ? Déca ? Léger ? Serré ? Au lait ? Sucré ? Non sucré ?") Je parvins à me retenir et comme j'étais un peu en avance, j'entrai précipitamment dans le premier bistro venu où je demandai d'une voix rauque un Vittel-menthe et où se trouvaient les toilettes.
Le tavernier qui tapait le carton avec des potes pointa son index sans un mot et je me ruai dans la direction indiquée. Je pus ainsi mettre fin à ma torture avec le soulagement d'une miction accomplie. De retour au bar je m'apprêtai à refaire le plein en avalant la consommation commandée, laquelle, à ma grande surprise, n'était pas sur le zinc. Le patron, réinstallé à sa partie de belote, ne me prêta aucune attention. Je me rappelai à son bon souvenir d'un discret "S'il vous plaît...".
"Ah oui. Il voulait quoi, déjà ?" me demanda-t-il, ajoutant "Dix de der !" en posant sa dernière carte. Puis il se leva et vint vers moi. "Un Vittel-menthe, un café, un ballon de rosé. Ce que vous voulez, répondis-je avec un rire faussement jovial, c'était juste pour les toilettes !"
Le saint homme, me fixant d'un regard plein de compassion et de miséricorde, eut alors cette parole qu'on aurait dite tirée des Evangiles : " Ah bon ! Ben fallait le dire ! Je vais quand même pas le forcer à consommer rien que parce qu'il avait besoin de tirer un bock !" Puis il ajouta du ton d'un pépère grondant gentiment un gosse qui dit une grosse bêtise :
"Allez, allez. Voulez-vous bien vous sauver !"
Moi qui commençais à douter du genre humain, je ne pus réprimer une larme devant une telle générosité apostolique. Avant de refermer la porte, je jetai un dernier coup d’œil dans la salle. Le patron avait rejoint ses partenaires de belote. Les cartes ayant été distribuées, il ramassa son jeu, le consulta en connaisseur et annonça d'une voix rocailleuse : "Je prends à cœur et j'annonce une tierce belotée." Et cependant qu'il prononçait cette humble parole, je crus voir comme un halo de lumière nimber son visage.
Elle est à toi cette chanson, toi le patron qui sans façon m'a permis d'aller lancequiner un godet quand ma vessie était gonflée. Ce n'était rien qu'un cabinet mais il m'avait vidé le corps, et dans mon âme il brûle encore à la manière d'un grand palais.