jules_albert a écrit :
kandide, n'importe quel médecin est amené à réfléchir sur les aspects émotionnels, philosophiques et physiologique de la vie et la mort, cependant ces réflexions ne deviennent vraiment essentielles que lorsque le médecin est touché personnellement par la mort d'un proche. dans le cas de pim van lommel, c'est la perte de sa mère, alors âgée de 62 ans, et de son frère, âgé de 41 ans.
c'est peut-être pourquoi il n'accorda une réelle importance à l'expérience qu'il avait vécue en 1969 que bien plus tard. un jour de 1969, alors qu'il débute sa carrière, l'électrocardiogramme d'un patient atteint d'un infarctus devient plat, son coeur a cessé de battre, il ne respire plus... tout le personnel infirmier et médical s'agite autour de lui pour tenter de le ramener à la vie. son pouls reprend après quelques minutes, tout le monde exulte, sauf le patient profondément déçu que l'expérience extraordinaire qu'il vient de vivre soit terminée : il évoque un tunnel rempli de couleurs, de lumière, de paysages merveilleux, de musique. il était très ému. le terme "e.m.i." n'existait pas encore... de telles expériences étaient considérées comme impossibles à la faculté de médecine où van lommel avait fait ses études : on lui avait enseigné qu'être inconscient équivalait à ne pas avoir de conscience... on considérait que l'arrêt des fonctions cérébrales entraînaient l'impossibilité de toute conscience (c'est le mécanicisme rigide du XIXe siècle).
ce qui nous amène à la question essentielle, qui reste un mystère pour la science : quelle est la base biologique de la conscience humaine ? c'est une question aussi énigmatique que : de quoi est fait l'univers ?
c'est là que le livre de michel bounan, qui s'appuie sur l'étude de textes millénaires, rejoint celui de van lommel en expliquant ceci : "Ainsi, le "Je" qui anime tous les mouvements mentaux apparaît bien comme l'expression intime de cette énergie solaire, de cette lumière universelle sans laquelle aucun animal, aucun végétal, ne pourrait se maintenir en vie.
Le "Je" vivant n'est évidemment pas un acteur spécifiquement humain, pas plus que l'énergie solaire intégrée à la substance vivante dont il est l'expression mentale. C'est la possibilité d'en faire l'expérience comme sujet de soi-même, de l'éprouver comme tel et indépendamment des mouvements mentaux ou des conduites dans lesquelles il s'investit, qui est la particularité de l'être humain, et ce qui le distingue de tous les autres êtres vivants.
Un animal qui poursuit sa proie est entièrement engagé dans sa poursuite. Son désir et l'objet de son désir sont indissolublement liés. L'animal ne se constitue pas lui-même comme sujet libre et indépendant de son désir. Il ne peut donc concevoir des pensées telles que : "Je convoite cette proie", et moins encore : "hier j'ai convoité une autre proie" ou "si j'aperçois cette même proie demain, je la convoiterai de nouveau". Cette forme de conscience lui est étrangère. Et lui est interdit, de même, le langage conceptualisé, qui présuppose une telle disposition intellectuelle, c'est-à-dire la possibilité de penser le monde et soi-même comme des objects distincts face à un sujet autonome qui les observe et les décrit. C'est dans ce sens que se justifie pleinement et
a contrario la théorie cartésienne des animaux-machines que la sensiblerie des trois derniers siècles a caricaturée de façon outrancière, afin de la ridiculiser et de pouvoir assimiler humanité et animalité.
Tout au contraire de l'animal, l'être humain a la faculté de saisir mentalement le monde qui l'entoure comme un objet extérieur à sa pensée et à ses désirs. Il peut appréhender surtout sa propre pensée et ses désirs comme des objets d'examen, et s'éprouver ainsi soi-même comme pur sujet sans contenu observable. C'est grâce à cette disposition originale que lui appartiennent exclusivement, non seulement le langage conscient, mais encore la création artistique et l'activité scientifique. [...]
Ce ne sont pas les seuls effets de cette disposition humaine extraordinaire. La sensation de l'écoulement du temps et l'idée d'"éternité" y sont liées de même.
On sait que la composition physico-chimique du vivant se modifie sans cesse, dans une certaine fourchette de "normalité", selon les nécessités de ses réactions avec son environnement. Il en est de même de ses émotions, de ses désirs, de ses pensées, qui sont l'expression subjective de ces mouvements et qui varient donc avec l'écoulement du temps.
Il en est tout autrement de l'énergie solaire, captée et emmagasinée dans toutes les structures vivantes, utilisée ensuite pour animer ces mêmes structures, afin d'effectuer l'ensemble des activités physiologiques. La
nature de cette énergie est toujours identique à elle-même, elle échappe au temps, elle est littéralement "éternelle".
L'expression intime de cette énergie, éprouvée par l'être humain comme son pur "Je", reste, de même, toujours invariable à elle-même à travers l'écoulement du temps. Quand je dis : "à trois ans, j'avais peur de l'obscurité", il ne fait aucun doute pour moi que je ne suis plus le même individu que cet enfant, ni physiquement, ni surtout en ce qui concerne mes peurs, mes désirs, mes réflexions. Rien d'observable ne me permet une quelconque identificaton avec cet étranger, que je suis pourtant convaincu d'avoir été. Il existe donc une continuité, une identité abstraite et sans contenu apparent entre lui et moi. Cette identité est celle du "Je", et les vers du poète doivent être compris littéralement : "les jours s'en vont, Je demeure".
Ce "Je", qui me permet de traverser la durée et d'en éprouver l'écoulement, est assurément vide de tout contenu mental, puisque les pensées et les émotions qui étaient les miennes à trois ans - et même il n'y a qu'un instant - sont maintenant toutes différentes. Mais aucune de ces expressions mentales d'autrefois, ni de celles que je me reconnais aujourd'hui, n'a d'existence possible sans ce "Je", littéralement
intemporel, c'est-à-dire qui n'est pas soumis au temps.
Une conclusion s'impose à propos de cette traversée du temps sans changement. L'être vivant est promis à la mort seulement dans la mesure où il est soumis au temps. Ce qui est hors du temps est nécessairement
immortel. Le "Je" vivant est le seul élément mental réellement
éternel. Ni les aptitudes intellectuelles d'un individu, ni sa "morale", ni ses émotions, ni ses souvenirs, ne peuvent évidemment survivre à la décomposition de son corps physique.
Seul survit ce "Je" sans mémoire et sans qualités. Et les anciens auteurs avaient de bonnes raisons d'affirmer leur vie éternelle en cette lumière universelle qu'ils avaient éprouvée en eux-mêmes. L'idée d'intemporalité et d'éternité, qui s'exprime quasiment dans toutes les religions, résulte ainsi de cette expérience exclusivement humaine du "Je" vivant. Le "Je" apparaît ici comme la manifestation intime de la "divinité", dissimulé derrière l'illusion trompeuse des idolâtries religieuses. Et c'est bien ainsi que Mansur al-Hallaj l'entendait quand il proclamait, au Xe siècle de notre ère : "Je est Dieu." (Une telle affirmation, à une telle époque, lui valut d'être torturé et crucifié par les gardiens de l'idolâtrie musulmane officielle.)
Pour ce qui est de l'origine solaire de cette divinité, aucun catholique actuel ne devrait ignorer que le "Saint-Sacrement" qu'on lui présente à la messe est encore figuré aujourd'hui par une image
solaire; et que la messe elle-même est, depuis l'origine du christianisme, un
repas partagé, au cours duquel les convives absorbent
réellement le corps de la divinité, c'est-à-dire la lumière vivante intégrée à l'aliment. Aucun catholique ne devrait oublier non plus que la "crèche" est une vulgaire mangeoire.
Sur la tombe d'André Breton, au cimetière des Batignolles, on peut lire cette étrange épitaphe : "Je cherche l'or du temps", ce qui demeure incorruptible et toujours identique à soi-même à travers l'écoulement du temps. Mais ce "Je" qui cherche ainsi l'éternité est assurément l'objet de sa recherche, et trois siècles auparavant, Pascal lui aurait fait répondre par son
Dieu caché : "Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais trouvé". Telle est l'ultime signification de l'universel
ouroboros, le serpent qui se mord la queue, aussi antique que les plus anciennes civilisations humaines connues.
L'identité du "Je" avec soi-même, qui s'affirme ainsi à travers l'écoulement du temps, se reconnaît encore dans la totalité du monde vivant. Le pur sujet est semblable dans mon expérience intime et dans celle de tout autre individu; comme il l'est aussi chez tous les vivants. Le "Je" n'est pas seulement éternel, il est
universel et
unique; comme est universelle et toujours identique à elle-même la lumière solaire qui anime l'ensemble du monde vivant.
La même énergie vivifie tous les organismes vivants, et tous les humains ont la possibilité de l'éprouver intimement comme leur propre sujet. La séparation des hommes entre eux est une conséquence de la forme physique et mentale dans laquelle leur sujet universel se trouve engagé provisoirement, forme labile, changeante et mortelle, de laquelle il se libérera au moment de la mort (à la "fin du temps"),
pour s'incarner à nouveau et participer à d'autres formes d'existence.
Certes, en tant que
Moi, simple objet d'auto-observation, avec mes émotions, mes désirs, mes peurs, mes réflexions et mes conduites égocentriques, je suis différent et souvent en affrontement avec d'autres
Moi humains. Mais, en tant que pur sujet, je demeure présent intemporellement, non seulement en moi, mais en tous les vivants.