Pierre Bergounioux, journal d'un mou
Le journal de Pierre Bergounioux n'a aucun intérêt : l'auteur ne vit rien. Parfois, il lit trop tard le soir. Du coup, le lendemain, il est fatigué. Il a des courbatures. Heureusement, le 8 juin 1981, il dort
«comme un animal, comme une pierre». Le temps?
«Il fait gris.» Quatre jours plus tard, ça ne s'est guère amélioré:
«gris et frais». Heureusement, le 14 du même mois,
«il fait un temps splendide». Trois jours plus tard, Pierre lit
Le Rationalisme de la chimie moderne. Le 26, c'est le tome III de
l'Histoire générale des techniques (ouvrage publié sous la direction de M. Daumas). Le 29, un
«temps exécrable». Je ne me souvenais pas que l'été 1981 avait été si médiocre.
On saute quelques années. Le 14 avril 1985,
«la pluie cingle sur les vitres du bureau». Lecture?
La Forme d'une ville, de Julien Gracq. Le lendemain,
«il a cessé de pleuvoir». Le 20,
«il fait un temps radieux». Mais le 5 mai:
«De sombres nuées chargées de pluie envahissent bientôt le ciel limpide du matin». Lecture?
Le Non-Civilisé et nous, d'Allier. Le 25:
«Le beau temps revenu hier soir nous est resté.» Ce nous, Bergounioux s'approprie bel et bien la météo. C'est sa chose. Le 4 juin :
«il fait très beau et très chaud». Vacances en 1981 à Clermont-Ferrand où
«il fait très chaud » (6 juillet). Le 16 juillet, il y a un orage mais le temps se remet et
«le ciel est d'un bleu violent acide». Le 21,
«il fait un temps splendide». Le 24 :
« Temps glorieux. La journée sera très chaude ». Lecture ?
Aperçus d'Afrique en quatrième vitesse, de Bottu. Le 29, Pierre est réveillé
«par la pluie qui bat la campagne». Il n'y a pas que la pluie qui batte la campagne : le talent de l'auteur aussi. On se demande ce qui est passé par la tête de Bergounioux pour qu'il se soit convaincu de laisser paraître ce pense-très-bête de ses années 80.
Pierre est enseignant. Comme les élèves, les enseignants ont horreur d'une chose : la rentrée des classes. Euphoriques en juin, dépressifs en septembre. En 1985, l'automne est exceptionnellement doux, ce qui améliore l'humeur de notre diariste de l'Éducation nationale :
«Je quitte la maison en chemise. Le jour se lève, rose et bleu, tiède...» Le 23 septembre, grand jour : Pierre va - en métro - chez Gallimard pour signer le service de presse de son deuxième livre :
Ce pas est le suivant. Mais il n'en fait pas un sac, le prendrait presque de haut :
«Sachant, d'expérience, combien la besogne est fastidieuse, je m'abstiens de formules recherchées, mets au panier les noms des gens pour qui écrire ne vaut pas la peine, prends la vitesse de croisière et, à midi, c'est terminé». Lectures ?
Le Désastre de Pavie de Jean Giono (17 octobre).
Papiers collés, de Georges Perros (20 octobre),
Carnets de la drôle de guerre, de Jean-Paul Sartre (15 novembre), le
Journal de Jules Renard (23 novembre), etc.
Les fêtes de Noël, Pierre les passera... à Clermont ! Comment se présente l'année 1986 ? D'abord, le temps :
«je jette un coup d'oeil par la fenêtre, je découvre que la neige est tombée pendant la nuit». Sur le plateau de Millevaches,
«un brouillard intense, comme du lait, noie la lande». Le 27 avril de la même année, les affres de la création littéraire :
«Je progresse doucement dans le chapitre un mais je m'inquiète, déjà, des suivants.» Le 14 mai, il écrit mais attend
«aussi qu'on nous livre la nouvelle machine à laver la vaisselle». Je suis allé à la dernière page, par curiosité. Le 31 décembre 1990 :
«il pleut abondamment...» Tous aux abris.
Patrick Besson,
Avons-nous lu ?