"masses, partitocratie et fascisme" vient d'être publié sur le site de stéphane zagdanski :
http://parolesdesjours.free.fr/
La partitocratie s'est consolidée grâce au soutien de la classe moyenne et des masses déclassées, mais elle ne correspond absolument pas à un gouvernement citoyenniste, c'est-à-dire, libéral et socialdémocrate ; c'est au contraire le gouvernement total du capital globalisé. Leur fragmentation excessive empêchent les masses de mener une politique indépendante et, aussi bien pendant les périodes de prospérité que pendant les périodes de crise, elles s'adaptent aux politiques de développement imposées par les dirigeants de la haute bourgeoisie exécutive. Mais il faut bien que les masses s'expriment lorsque leurs intérêts sont jetés par-dessus bord. La protestation citoyenne, dont le gauchisme avant-gardiste n'est qu'une version archaïsante, est leur façon de manifester leur désenchantement envers les politiciens et les parlements. Que personne ne s'attendent à voir les revendications "démocratiques", si souvent invoquées, se transformer en revendications socialistes. Que personne ne s'attendent à trouver dans les propositions écologistes et décroissantes une défense du territoire.
Le citoyennisme ne demande rien d'autre que des réformes et des emplois ; cependant, la partitocratie ne peut pas être réformée, elle peut seulement être renversée. C'est précisément ce que la classe moyenne n'ose pas. Ce n'est pas dans sa nature.
[...]
N'importe quelle analyse sérieuse de la partitocratie doit prendre en compte les relations entre la classe dominante (classe politique incluse), les masses déclassées, les classes moyennes et les mouvements opposés au système capitaliste. La classe dirigeante doit assurer le lien avec les masses à travers le Parti de l'Etat, neutralisant toute opposition qui se formerait directement depuis la contestation sociale. Si ce n'était pas le cas et les protestations se transformaient en révoltes, la classe dominante abandonnerait les méthodes pacifiques pour passer à des moyens propres de la guerre civile, les lamentations citoyennistes se tairaient, et la classe politique se transformerait en parti unifié de l'ordre.
Lorsque la classe dominante entre en conflit avec la démocratie parlementaire, elle tente de s'en sortir avec des lois d'exception et des états de siège latents, comme elle l'a fait jusqu'à maintenant :
le terrorisme indiscriminé joue un rôle fondamental. Telle est la véritable fonction de la classe politique et de la bureaucratie ouvriériste en temps de crise aigüe : introduire un régime policier. La classe politique, ou Parti de l'Etat, est là pour rendre inutile le recours toujours risqué au coup d'Etat militaire ou au fascisme, elle doit se suffire à elle-même pour être le gendarme du capital mondial en préservant les apparences de légitimité parlementaire.
Il convient maintenant de rappeler que les masses ne constituent pas exactement une classe, mais un agrégat hétéroclite de fragments sociaux malléables, donc condamnées à être un instrument du capitalisme jusqu'à la fin. Elles ne peuvent pas échapper aux alliances d'urgence avec la classe dominante car elles ont besoin d'une "direction" et qu'il n'y a pas d'autre classe capable de la leur donner. D'autre part,
les classes moyennes, la composante centrale des masses, ont davantage peur de l'anarchie populaire, de la violence incontrôlée, de l'anticapitalisme ou du démantèlement de l'Etat, que des impôts, des coupes budgétaires ou des privatisations. Elles sont irritées par les politiciens, par le parlement et par le gouvernement, mais elles croient encore en eux comme elles croient encore en la police et les juges, la presse et l'armée, les fonctionnaires et les ONG, la science et le progrès. Elles ont le cul entre deux chaises, mais mises devant une alternative trop radicale, elles s'accrocheront aux illusions pseudo-démocratiques et aux platitudes citoyennistes de l'ordre. N'importe quoi plutôt que de s'aventurer par les chemins incertains de la révolution sociale. Du moins au début, lorsque la classe dominante et le système partitocratique sembleront avoir le dessus.
Le rôle historique des classes moyennes est subalterne, jamais déterminant. Le sujet subversif ne surgira pas d'entre elles, il ne trouvera pas en elles ses illusions et son être. Nous avons souligné la possibilité que puisse surgir, de la décomposition totale du capitalisme, une classe "dangereuse" prête à changer la société de haut en bas et à éliminer le régime politique dominant. Cette classe, ou force historique dissolvante, devra rejeter aussi bien l'idéologie citoyenniste que la trompeuse politique professionnelle des partis, car sa condition d'existence impose des procédés indépendants et égalitaires. Si cela arrivait à se produire, la question de la classe moyenne et de la masse soumise manipulable se résoudrait d'elle-même.