allia vient de publier "contre le travail" (préface de gianfranco sanguinetti) :
Rensi démontre ici, de nouveau, sa faculté de stimuler les esprits. Car si, à ses yeux, la haine que le travail inspire apparaît proportionnelle au désir d’atteindre la véritable destinée humaine, il valorise du même coup le jeu, l’art, la passion des sciences, toute activité susceptible d’échapper à la contrainte et au diktat de l’argent.
encore disponible :
Œuvre majeure dont les cinq premiers chapitres ont été prépubliés dans la revue Fario, « Au fond de la couche gazeuse » met discrètement en scène un narrateur qui se confond avec l’auteur, lui-même invisible dans la vie d’aujourd’hui, sans empreinte numérique, expédiant à son éditeur ses manuscrits sous enveloppe, par la Poste, comme aux temps anciens. Le catalogue de nos maux et de nos pertes débute prosaïquement par l’usage machinal de l’éclairage électrique.
Déjà, dans « La vie sur Terre » [1996-1999], l’auteur évoquait peut-être des souvenirs personnels lorsqu’il écrivait : « […] et si avec les progrès du confort les amants prennent des douches, bavardent au téléphone et ont un tourne-disque, […] c’est la froide lumière électrique qui dégrise leur nudité, au lieu qu’en épuisant la lampe à mèche, toujours inquiète, recueillait le témoignage des heures passées avec leurs ombres vivantes ». Aujourd’hui, il revient sur la lumière fixe et uniforme glaçant la réalité pour la cantonner dans un décor neutre : « L’éclairage électrique en nous désapprenant à voir dans la pénombre… dérobe toutes les pensées et sentiments des choses qui auraient trouvé… à s’y nuancer et ramifier au-dedans de nous en d’autres impressions et imaginations et souvenirs par jeu de correspondances, en phosphorescences si ténues que la lumière artificielle nous les rend invisibles… juste en actionnant l’interrupteur ».
Alors qu’il pourrait sourire à la vie comme elle va, Baudouin de Bodinat suppute et soupèse
l’ineptie des existences formatées à l’ère de la mondialisation, de la marchandisation et de la surpopulation : « […] des idées… viennent aussitôt à l’esprit, de pénuries angoissantes à s’additionner, de progressions de terres abandonnées à la dessiccation qui se constate en imagerie satellitaire, d’immensités océaniques vidées en l’espace d’une génération de tous leurs habitants comestibles, d’insalubrités à 9 milliards de terriens après-demain qui veulent manger tous les jours, d’extraordinaires désordres atmosphériques par-dessus tout cela… ». Quand l’auteur fixe son attention sur son environnement immédiat, l’étroitesse et la médiocrité des vies l’accablent : « […] le tout-venant précaire du IIIe millénaire chaussé de baskets… à la physionomie sans beaucoup de vivacité durant qu’ils sont chacun absorbés par le maniement de leur Smartphones… ou bien feuilletant un gratuit avec des fils électriques rentrant dans leurs oreilles ».
Le portrait à charge n’est pas caricatural. Il dessine la lobotomisation en marche. Plus loin, il grave à l’acide la triste trogne des dirigeants de Goldman Sachs enrichis de manière éhontée, en toute impunité, « intouchables dans leur monde à part sécurisé d’hyper-luxe… » et responsables de la paupérisation de travailleurs surendettés par le biais des subprimes : « […] des physionomies fermées de prédateurs sans états d’âme […] Quand la moindre des choses eut été de jeter vivante aux piranhas cette engeance, cette lie de l’humanité ; ces monstres qui fatiguent la Terre ».
Dans cette irréalité quotidienne, Baudouin de Bodinat s’arrête près d’un « vieil homme occupé à son jardin… ou sans hâte à ranger son bois pour l’hiver… pour se souvenir… qu’il aurait pu en aller très autrement de nous tous ». En 240 pages denses, le passage en revue des calamités programmées et des projets dévastateurs produit un passage à tabac des consciences. Si le sort en est jeté avec des dés pipés, reste une superbe prose incisant les maux et libérant les sanies. En 240 pages où le fil discursif est en extrême tension, Baudouin de Bodinat constate presque tranquillement l’apocalypse en marche et en sourdine. Il voit au-dessus des systèmes politiques et commerciaux,
la vacuité d’une existence gangrenée de toutes parts, prise dans un hold-up planétaire où le libre-arbitre est un leurre et l’angoisse du vide et de la mort une obsession universelle. Etonnamment, ce sinistre catalogue imprégné de nihilisme radical contient une force vitale exceptionnelle, un élan salutaire irrépressible.