Attaché au papier, à son œuvre silencieuse.
Je sais parfaitement spatialiser la chose lue sur le papier, donc la mémoriser, et la retrouver quand je veux, ou presque.
Après, restent aussi le crayon à papier (du B, en 0,5 mm) et sa petite gomme dans le poussoir du porte-mines.
Des matières indispensables.
Cependant, j'ai une très grosse "bibliothèque" personnelle sur mon laptop, notamment un "pillage" légal et assez systématique des ressources livres de la
Bibliothèque Nationale, livres numérisés en PDF mode optique (je crois que c'est comme ça que ça s'appelle, mais au fond je m'en fiche un peu
).
En tout cas d'assez gros fichiers, car en fait ce sont des photos de vieux livres, page après page, tournées à la main, tachées, grattées, diversement abîmées, c'est à dire lues, à la trace près.
Parfois, des notes en marges au crayon, des rencontres.
Pour des périodes que ma maniaquerie révère (notamment du XV° au XVII° siècles), j'y ai fait des découvertes que je n'aurais jamais pu espérer, si j'avais dû attendre le retour au papier desdites œuvres.
En revanche, s'il n'a pas révolutionné grand chose dans ma manière de lire et dans les rituels qui l'accompagnent, l'ordinateur a changé de fond en comble ma manière d'écrire, de concevoir mes "sources" et de les organiser en brouillons, en variantes, en versions...
Et je passe les restes des virages de ce circuit.
Toutefois, mes imprimantes (une fixe et une portable) demeurent les bras séculiers essentiels de mon laptop : après la débauche labyrinthique sur l'écran et sa lumière, une sortie mise au propre, pour être amendée, "
salie" irrémédiablement au
Waterman, au crayon à papier, aux feutres.
Je garde ainsi la vue nette.
De ce point de vue, tout à fait incidemment, on peut se demander quelles seront les sources d'écrivains, issues du numérique, et comment on pourra alors juger ou ne plus pouvoir juger des "
manuscrits" et de leur dimension généalogique.
Constituée depuis assez peu de temps en discipline académique, que restera-t-il bientôt de la "
génétique textuelle", de ses indéniables réussites, comme de ses errements, de ses faux-pas, de ses apories, devant la chose littéraire et ses formidables, et heureuses, résistances ?
Je pensais, ce matin, à Julien Gracq dont la rencontre faite à Saint-Florent-le-Vieil, il y a bientôt trente ans, sur les bords de la Loire, reste comme un de ces "
cristaux de souffle" (l'
Atemkristall de Paul Celan), bien à l'abri.
Par exemple, attrapée sur la Toile et ses dédales, cette belle dédicace, quatre ans avant la fin, du
Rivage des Syrtes, pourtant publié en 1951, soit cinquante-deux ans plus tôt :
Ou, pour résumer une partie de mon bavardage,
«Wir leben unter finsteren Himmeln, und –es gibt wenig Menschen. Darum gibt es wohl auch so wenig Gedichte. Die Hoffnungen, die ich noch habe, sind nicht groß. Ich versuche, mir das mir Verbliebene zu erhalten. »
Paul Celan, 18 mai 1960, Lettre à Hans Bender.