Olivier a écrit :
jules_albert a écrit :
personne ne peut échapper individuellement au désastre. "dans un monde unifié, on ne peut s'exiler"... le mode de vie qu'impose le capitalisme - où il faut payer ou se faire payer pour tout et n'importe quoi, où
tout est si dégradé, gâché, falsifié - est absolument incompatible avec un mode de vie biologiquement et culturellement équilibré, solidaire et libre.
Mais des initiatives comme
Longo Maï ne sont-elles pas justement des réponses efficientes contre ce que tu décris ?
c'est bien possible, même si je ne connais pas bien cette communauté. la révolte récente d'oaxaca au mexique est aussi un bel exemple de populations décidant de s'auto-organiser en dehors de l'état et de l'industrie. il y en d'autres moins connus, tout près de nous, dans certains quartiers de nos villes.
ZePot a écrit :
Jules Albert, tes réponses sont claires mais très vagues en ce qui te concerne...
je ne crois pas que ce soit l'endroit pour déballer ma petite biographie personnelle, mais puisque tu insistes, je dirais que ma vie est faite de vagabondages divers à travers différents pays, de rencontres avec des personnes partageant mes goûts, de lectures, de musique (la guitare, j'en joue un peu, vois-tu), en bref, une recherche de ce qui peut rendre la vie moins insupportable dans un monde cadenassé, artificiel et mortifère, qui a déclaré la guerre à la liberté et au vivant.
ceci est peut-être encore trop vague à tes yeux, mais il faudra t'en contenter.
jules_albert a écrit :
vient de paraître :
pour en revenir au livre d'ellul et de charbonneau (un véritable génie selon ellul), j'aimerais en citer un extrait qui montre bien le côté visionnaire de ce dernier puisque ceci est écrit en 1936 :
L'idéologie progressiste suppose une grave confusion
[...] Mais on peut faire à l'idéologie progressiste qui est le fonds commun de ces mouvements (stalinisme, nazisme, libéralisme) un reproche plus grave : c'est une idéologie fausse. L'erreur commune des mythes du progrès, c'est la croyance plus ou moins claire qu'une sorte de fatalité fait coïncider le Progrès matériel, c'est-à-dire le développement des moyens de production, avec les intérêts non seulement matériels, mais même spirituels de l'homme. On considère ce développement comme une fatalité devant laquelle il n'y a rien à faire. Et pour justifier cette passivité, on proclame cette fatalité excellente et on refuse de s'en occuper. Or toutes les véritables révolutions sont celles qui sont allées contre des déterminismes qui semblaient irrésistibles. Le coeur de l'impossible, ce domaine déclaré sacré que possède toute civilisation, c'est là qu'il faut frapper. Aujourd'hui, toute doctrine qui se refuse à envisager les conséquences du progrès, soit qu'elle proclame ce genre de problèmes secondaires (idéologie de droite), soit qu'elle le divinise (idéal de gauche), est contre-révolutionnaire.
Aujourd'hui, en effet, il n'y a qu'un seul problème : celui de l'utilisation à des fins humaines des machines sécrétées par la civilisation du profit. La droite, continuant les traditions de l'idéalisme libéral sur la fatalité économique, refuse par aveuglement, par manque de connaissance du monde moderne, de poser le problème. La droite, c'est cet étudiant, installé à la terrasse d'un café du Quartier latin en plein fracas de midi. "Oui, la France sera toujours la France." C'est cet aviateur qui, de très haut, lâchant ses bombes, monologue : "La guerre sera toujours la guerre, depuis l'âge de pierre." Oui, mais peut-être à l'âge de pierre ne détruirait-on pas si sûrement. L'homme de gauche au contraire s'exalte en face du spectacle du monde actuel, il a au moins un minimum d'humanité. S'il admire, du moins a-t-il conscience du monde actuel dominé par les lois économiques. Mais ces lois mêmes, pense-t-il, par la volonté de quelques dieux inconnus, travaillent à la libération de l'homme. Le machinisme se perfectionne sans cesse (et je prends ce mot au sens le plus large, tout procédé automatique qui tend à remplacer le geste de l'homme par un réflexe mécanique : ex. la presse, l'argent, l'État) et il témoigne de la force créatrice de l'homme. Mais un canon lourd, quel chef-d'oeuvre de l'esprit humain ! Quelle ingéniosité ! Pourtant, ne faudra-t-il pas songer à briser cette machine ? Et dès lors, un choix s'impose : vous acceptez que l'invention technique soit dirigée pour des fins spirituelles qui lui sont étrangères et qui parfois peuvent l'entraver.
Je ne fais pas la critique de la mentalité de droite ;
nier qu'à l'heure actuelle, le problème révolutionnaire se pose hic et nunc en fonction des transformations techniques qu'a subies le monde depuis cent cinquante ans, c'est faire preuve d'un aveuglement qui se soigne, mais avec lequel il est impossible de discuter.
Il y a entre notre civilisation et les civilisations du passé un abîme tel que l'ancienne Égypte était plus proche de la France du XVIIIe siècle que nous ne sommes d'elle. Or ce changement, qui est un changement fait par l'homme, a-t-il été voulu ? C'est la seule question à poser, car je ne vois pas de quel droit un acte commis au hasard entraînerait automatiquement des conséquences heureuses. On ne fait que les civilisations que l'on veut ; celle-ci n'est pas une civilisation faite, mais une civilisation sécrétée par la course au profit.
Dire que le développement du machinisme, l'apparition de la grande industrie, de la grande ville, la presse, les progrès de l'étatisme, bref tout ce qui fait vraiment notre vie, est intimement lié au développement capitaliste, c'est dire un truisme. Le rythme de plus en plus accéléré du progrès technique est né de l'obsession du profit, comme la diffusion du mythe du progrès est intimement liée à la diffusion de la mentalité bourgeoise des capitalistes. La civilisation actuelle est une civilisation proliférante de cellules vides et l'image la plus saisissante est celle qui oppose la cité antique au pied de son acropole à nos villes avec leurs banlieues absurdes entassées aux noeuds de circulation. La civilisation actuelle est un produit du hasard de l'histoire ; elle est un champs abandonné où poussent surtout des mauvaises herbes et, comme toute force brutale, elle n'est pas contre l'homme, mais, accessoirement, contre l'homme.
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