Vous et les livres...

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thunders
Azargoth a écrit :
Yves du 9 4 a écrit :
En écrivant ses pamphlets, Céline ne voulait certainement pas qu'on lui foute la paix, il voulait se faire du blé et tapper sur les Juifs, c'est tout.


Lol quand on veux se faire du blé on écrit des romans à l'eau de rose, pas des ouvrages antisémites
Les commanditaires de Céline payaient très bien. Il devait retrouver au Danemark un magot qu'il y avait caché (ses droits d'auteur convertis en or, disait-il), mais il semble que quelqu'un l'ait doublé et qu'il n'en ait guère profité. C'est donc avec amertume qu'il avouera plus tard : "Quand je pense qu'on a tout perdu pour sauvegarder les intérêts de la bourgeoisie européenne - merde alors !"

Quoi qu'il en soit des mobiles financiers qui ont pu l'inciter à soutenir en son temps la politique hitlérienne, Céline ne s'est pas gratté beaucoup pour faire suinter ses purulences racistes. Et du "youpinium" de L'Eglise (1926) à "l'air youtre" ou à "la tronche sémite" de D'un château l'autre (1959), en passant même par la "musique négro-judéo-saxonne" du Voyage (1932), le lecteur suit aisément la ligne mélodique de cette petite musique. Cette obsession qui hante ses écrits est fréquemment couplée à ses fantasmes érotico-poétiques, comme son dégoût pour les "déchus de l'existence" est inséparable de sa sympathie pour les voyous, comme encore sa haine du monde actuel fait bon voisinage avec l'apologie des principes qui ont fondé notre modernité. Un tel bric-à-brac n'est pas si singulier qu'il y paraît. Il est commun aux individus des classes sociales récemment englouties par l'histoire, et qui refusent, pour eux mêmes, ce naufrage collectif.

Céline a décrit le monde tel qu'il l'a vu : avec le regard et la conscience d'un bourgeois ruiné mais récalcitrant. Contraint d'aimer et de défendre le système de références pluriséculaire qui l'a fait et où il espère "se refaire", il hait bien sincèrement les récents excès de ce système, qu'il impute à une domination d'usurpateurs qui viennent d'arriver, tyranniques et masqués, fondamentalement différents de lui-même.



PS : sa sympathie pour les voyous s'explique ainsi : le fils de famille déchu aime le voyou comme le Prince de Galles aimait Falstaff. L'un vient d'être écarté du trône et l'autre sort de l'ombre. Ils se rencontrent à mi-chemin et ils se reconnaissent à leur fureur. L'un et l'autre n'aiment que les plus précieuses productions de ce monde, belles demeures, antiquités, domesticité ; et le ruffian, s'il réussit, s'en régale jusqu'à la nausée.

Pour l'un comme pour l'aute, à la croisée de chaque chemin, une seule question se pose : comment vivre grassement sans travailler ?
Les vérités cachées sur le 11-septembre : http://www.youtube.com/watch?v(...)AIb7Y
Lutinvolant
Merci Professeur Thunders !

Sincèrement

Le Lutin "faut que je mette le nez dans Céline un jour... l'auteur pas le caribou bramant..."
Disparu le 01/7/2010

«Recette pour aller mieux. Répéter souvent ces trois phrases : le bonheur n’existe pas. L’amour est impossible. Rien n’est grave.»
"Tu peux toujours mettre une étiquette "modèle unique" sur un étron, ça sera toujours un étron !"
Azargoth
Citation:
Il faut remettre les choses dans leur contexte


Oui il faut remettre les choses dans leur contexte aussi pour des mots comme "youtre" ou "nègre" qui ne dérangeaient pas à l'époque.

Sinon, je ne savais pas que Céline était du genre bourgeois, faudrait pas le considérer comme un bobo quand même et je pense pas qu'il s'est demandé "comment vivre grassement sans travailler". Il n'aimait rien, et est né à la mauvaise époque. Pour moi il est le symbole de l'anti-conformisme et je ne peux pas crasher sur quelqu'un qui n'aimais pas le monde moderne. En lisant ces premiers livres, je me suis senti assez proche de lui par rapport à sa vision du monde, mais lui, sait l'écrire avec brio et donc me fait ressortir des choses que je pensais mais que je n'ai jamais pu exprimer.
Perfect Tömmy
Bourgeois, bourgeois... Il était issu de la petite bourgeoisie. Ses parents étaient de petits commerçants parisiens, sans grande fortune particulière. Il en parle dans Mort à crédit, mais de manière plus que romancée !

Lui-même a été médecin, mais plutôt médecin des pauvres en banlieue que généraliste dans le XVIème... C'est surtout Lucette qui faisait chauffer la marmite en donnant des cours de danse chez eux, à Meudon.
Yves du 9 4
Perfect Tömmy a écrit :
Bourgeois, bourgeois... Il était issu de la petite bourgeoisie. Ses parents étaient de petits commerçants parisiens, sans grande fortune particulière. Il en parle dans Mort à crédit, mais de manière plus que romancée !

Lui-même a été médecin, mais plutôt médecin des pauvres en banlieue que généraliste dans le XVIème... C'est surtout Lucette qui faisait chauffer la marmite en donnant des cours de danse chez eux, à Meudon.


Il était même un médecin plutôt généreux et opiniâtre, qui lui attirait la sympathie des classes populaires.
Il ne faisait, comme d'autres médecins du genre, pas toujours payer ses consultations, même si à lire le Voyage, c'était plus par lâcheté et faiblesse que générosité (qu'il dit ouais).
Et à l'instar de Sartre, non, il n'est pas issu de la bourgeoisie, en effet, ou alors petite bourgeoisie provinciale.
(Les Mots et Mort à Crédit, ça m'amuse de comparer les deux, l'un porté au pinacle comme héros, l'autre honni et conchié, sans oublier la superbe petite gué-guerre qu'ils se livraient).
tschiiip.
thunders
Perfect Tömmy a écrit :
Bourgeois, bourgeois...



Bourgeois ruiné. Et non bourgeois tout court, nuance.

La biographie que Céline a livré au public de son vivant est un faux. Sa biographie réelle ne sera connue que plus tard. (cf. Album de la Pléiade ou Cahiers de l'Herne)

D'origine vaguement aristocratique, le futur Céline signait encore à vingt-deux ans "Louis des Touches", et projettait de se retirer un jour dans l'ancien château de famille. Sa mère, antiquaire à Paris, spécialisée dans les dentelles anciennes de valeur, avait pour clientèle la cour batave.
"Commerçante avisée - témoignera plus tard Marcel Brochard, ancien camarade de Céline - elle gagnait gros et portait les beaux diamants que Colette, fille de Louis, possède aujourd'hui."

Avec la crise économique mondiale, le commerce de dentelles anciennes a dû connaître pourtant quelques déboires et les affaires furent moins fructueuses. Mais l'enfance de Céline, fils unique qui fit ses premiers rots dans des bavoirs brodés au point d'Alençon ou de Bruges, ne fut pas précisément "misérable et honteuse", tout au moins dans le sens vulgaire où lui-même l'entendait.

Destiné précocement par sa famille au commerce international, le futur auteur du Voyage est envoyé adolescent dans des écoles anglaises et allemandes pour s'y perfectionner. En 1918, il devance l'appel "pour gagner du temps" et plus vite "se trouver une situation" selon sa correspondance d'alors. La guerre le surprend sous l'uniforme et il s'y trouve embarqué comme tout le monde. Mais lui n'y reste que trois mois : une blessure au bras, une famille influente, un oncle bien placé à la faculté de médecine de Paris, et Céline est réformé définitivement. Evidemment, Céline n'a jamais été blessé à la tête ni trépané.

Après la guerre, il n'a pas entrepris ses études de médecine "en faisant des livraisons" mais il a épousé la fille d'Athanase Follet, professeur à l'école de médecine de Rennes, "qui l'a engagé avec sollicitude dans des études que sa situation d'ancien combattant facilita" (P. Lainé). En échange de cette sollicitude et grâce à l'oncle de Céline, Follet est nommé directeur de l'école de Rennes, puis membre correspondant de l'Académie de médecine. Tous ces trafics d'entregent, de courses aux places et d'ascenseurs renvoyés évoquent un tout autre milieu social que celui avec lequel Céline a amusé les journalistes crédules.

Yves du 9 4 a écrit :

Il était même un médecin plutôt généreux et opiniâtre, qui lui attirait la sympathie des classes populaires.

Est-ce du même Céline dont nous parlons ?

Céline s'engage, dès 1928, en faveur de l'intérêt patronal opposé à l'intérêt populaire, engagement qui explique amplement ses choix politiques ultérieurs. Dans une revue médicale, Céline vante les méthodes de l'industriel Henry Ford qui consistent à embaucher de préférence "les ouvriers tarés physiquement et mentalement" que Céline appelle aussi "les déchus de l'existence". Cette sorte d'ouvriers, dit Céline, "dépourvus de sens critique et même de vanité élémentaire", forme "une main-d'oeuvre stable et qui se résigne mieux qu'une autre". Dans un autre texte de cette époque, alors qu'il a déjà commencé l'écriture du Voyage, il propose de créer des médecins-policiers d'entreprise chargés de convaincre les ouvriers que "la plupart des malades peuvent travailler". Selon Céline, "l'assuré doit travailler le plus possible avec le moins d'interruption possible pour cause de maladie". Céline conclut : "l'intérêt populaire ? C'est une substance bien infidèle, impulsive et vague. Ce qui nous paraît beaucoup plus sérieux, c'est l'intérêt patronal et son intérêt économique, point sentimental".
Les vérités cachées sur le 11-septembre : http://www.youtube.com/watch?v(...)AIb7Y
Perfect Tömmy
C'est pour cela que je disais que ce que Céline en dit dans Mort à crédit est plus que romancé...

Mais tout cela n'enlève rien à son talent. Ca m'amène simplement à relativiser certains aspects de son oeuvre, tout comme je relativise les idées politiques de Victor Hugo par exemple, lequel a eu la manie de surtout cracher dans la main de ceux dont il espérait dans un premier temps qu'ils le nourrissent...

Et ce qui m'énerve, c'est qu'à chaque fois qu'on parle de Céline, il faut que l'on remette l'antisémitisme sur la table. Quid des écrivains communistes et souvent franchement staliniens, les Breton, Aragon, Eluard, etc. ?

Même si je n'aime pas leur oeuvres que j'ai beaucoup pratiquées en fac, je n'ai pas d'a priori à les lire en raisons de leurs idées. Je fais le tri sans faire la vierge effarouchée. Et je fais de même avec Céline, dont j'aime l'oeuvre au contraire.

Allez, passons à autre chose.
Azargoth
Thunders, peux tu me citer les sources exactes de ce que tu affirmes ?
C'est quand même dur à avaler, que tout ce qu'il ai écrit dans ses livres soit faux.

Citation:
Céline s'engage, dès 1928, en faveur de l'intérêt patronal opposé à l'intérêt populaire, engagement qui explique amplement ses choix politiques ultérieurs.


Impossible, si tu parles de ses penchants pour la politique national-socialiste, c'était totalement l'inverse.

Citation:
Cette sorte d'ouvriers, dit Céline, "dépourvus de sens critique et même de vanité élémentaire", forme "une main-d'oeuvre stable et qui se résigne mieux qu'une autre". Dans un autre texte de cette époque, alors qu'il a déjà commencé l'écriture du Voyage, il propose de créer des médecins-policiers d'entreprise chargés de convaincre les ouvriers que "la plupart des malades peuvent travailler". Selon Céline, "l'assuré doit travailler le plus possible avec le moins d'interruption possible pour cause de maladie". Céline conclut : "l'intérêt populaire ? C'est une substance bien infidèle, impulsive et vague. Ce qui nous paraît beaucoup plus sérieux, c'est l'intérêt patronal et son intérêt économique, point sentimental".


J'ai l'impression qu'on ne parle pas du même Céline comme tu l'as dis plus haut lol.
Si c'est pas lui qui a dit ça, j'aimerai connaitre le nom de celui qui a écrit une chose pareille.
Yves du 9 4
Céline était antisémite, comme pas mal de français à l'époque d'ailleurs, pas national-socialiste.

Et il y a une différence entre ses lubies, entre ce qu'il écrivait (on est d'accord) et entre ce qu'il faisait.
tschiiip.
Azazello
Mais thunders nous ressort juste des passages entiers du livre de Bounan dans le but de nous convaincre que Céline était raciste, antisémite et, surtout, de droite... (merde on l'avait pas remarqué...).

Bref peu de rapport avec la littérature.


Pour recentrer, entre deux Saki je me suis trouvé un petit bouquin dont la couverture a l'avantage de comporter le nom de deux écrivains que j'aime particulièrement:

thunders
Perfect Tömmy a écrit :
Citation:
En même temps les théories fumeuses d'un homéopathe proche des situationnistes et spécialiste en âneries en tout genre (cf. ses propos sur le Sida), faut peut-être pas les prendre pour parole d'Evangile...
Et surtout Bounan n'a rien l'air de dire sur la littérature en elle-même, ce qui devrait nous occuper ici.
Enfin quand on voit que les attaques sur Céline sont le fait de lecteurs de E.E. Schmidt et de Nabe, on se dit que certains sont quand même sacrément vicieux...
Bon de tout façon dès qu'on parle de LFC ça finit en bataille rangée. (Et ce depuis la publication du Voyage il y a 75 ans...)


+ 1000

Bounan fait rire tous les universitaires un peu sérieux. Mais son bouquin est amusant parce qu'il y explique en gros qu'il est victime d'un complot venant de ceux qui veulent refuser de voir l'aspect génial et iconoclaste de sa lecture de Céline. C'est presque touchant de naïveté.

Le problème avec Céline, c'est qu'il était extrêmement cabotin, et s'amusait à dire tout et n'importe quoi en interview, en correspondance. Il aimait épater le gogo.

C'était avant tout un provocateur, pas du tout un auteur qui suivait un projet systématique, et ses pamphlets (qui sont surtout anti-tout d'ailleurs, de véritables morceaux de misanthropie) s'en ressentent.

Et qui prend encore au sérieux les universitaires (sérieux ou pas sérieux) ?

Philippe Alméras (un universitaire spécialiste de Céline) prend au sérieux le livre de Bounan. Il se plaint juste de ne pas être référencé dans L'Art de Céline et son temps...

On peut tout à fait critiquer le livre de Michel Bounan, mais certainement pas en expliquant qu'il s'agit juste des théories d'un "homéopathe" qui n'aurait pas les brevets universitaires nécessaires pour nous expliquer qui était Céline. A ce compte-là Guy Debord ne devrait pas être lu puisqu'il n'avait pas poursuivi ses études au-delà du bac... Debord qui justement était l'ami de Bounan et se déclarait en grande sympathie avec ses théories sur le Sida exposées dans Le Temps du sida (éd. Allia). On peut dire que Debord s'est rarement trompé à l'heure de juger un livre, il savait de quoi il parlait contrairement à la plupart des crétins d'université. Mais enfin, on peut aussi essayer d'évacuer toute la critique sociale en disant qu'elle fait "rire les universitaires un peu sérieux"... Ce n'est pas une tactique qui est très efficace à l'heure où l'Université a perdu le peu de prestige qu'il lui restait, mais elle est bien commode pour ceux qui ne veulent surtout rien changer à la société !

Céline était un cabotin, c'est vrai. Il l'avouait à son ami Joseph Garcin en ces termes peu après la sortie du Voyage : "Evidemment dans les interviews j'amuse la galerie, pitre autant que je peux. Mais tout ceci entre nous" (13 mai 1933).
Céline était effectivement un provocateur, au sens policier, c'est-à-dire un agent provocateur employé pour un travail bien précis de propagande, semblable au montage des Protocoles des sages de Sion, un faux de 1902 fabriqué et diffusé à grande échelle par la police secrète tsariste pour tenter de canaliser le mécontentement révolutionnaire du peuple russe vers une cible neutre : les Juifs. C'est à une opération du même genre que participa Céline à partir de 1937.

De 1937 à 1941, Céline publie trois pamphlets violemment antisémites dont la substance est tirée dès le premier pamphlet, observe H.-E. Kaminski (Céline en chemise brune, 1937), du matériel de propagande allemande diffusé par les services de Goebbels : attaques contre les pays sur lesquels l'Allemagne nazie a des visées expansionnistes, complaisances envers ceux que la diplomatie allemande s'efforce de ménager. Pour Céline, comme pour le régime nazi qui recherchait l'alliance des gouvernements arabes, les Juifs ne sont pas des "sémites" mais des "croisements monstrueux de nègres et de barbares asiates". Ces spéculations pseudo-scientifiques de la diplomatie nazie se retrouvent dans les pamphlets, artistiquement allégés par la grâce de la petite musique célinienne : "il suffit, certifie le poète-médecin, de regarder, d'un peu près, telle belle gueule de youtre bien typique, homme ou femme, de caractère, pour être fixé à jamais... Ces yeux qui épient, toujours faux à en blêmir... ce sourire coincé... ces babines qui relèvent : la hyène... Et puis tout d'un coup ce regard qui se laisse aller, lourd, plombé, abruti... Le sang du nègre qui passe".

L'objectif des pamphlets est, comme dans toute bonne propagande antisémite, de détourner la critique sociale et la menace révolutionnaire qui l'accompagne, d'en concentrer les feux et de les faire converger vers la communauté juive proclamée responsable de toutes les souffrances.

Dire comme tu le fais que les pamphlets de Céline sont simplement "anti-tout" et "misanthropes" est donc une grave erreur de jugement. Il n'y a pas de hasards chez Céline. Ses haines sont soigneusement choisies, il suit la flèche que lui indiquent ses commanditaires !



Azazello a écrit :
Bref peu de rapport avec la littérature.



Bounan dit tout de même certaines choses qui sont suffisantes pour comprendre la littérature de Céline. Céline ne s'est jamais flatté d'autre originalité que d'avoir inventé cette nouvelle manière d'écriture, et c'est encore à son "art" qu'on rend hommage actuellement. Comme cet art a beaucoup servi depuis, et encore aujourd'hui, il n'est pas superflu d'en dire les caractères originaux et les mérites très particuliers.

Vocabulaire, syntaxe et ponctuations visent d'abord à l'innocence. Les mots devenus trop ignobles d'avoir traîné dans la récente ordure militariste, politicienne ou simplement sentimentale, sont rejetés ou tournés en dérision. Beaucoup de néologismes à virginité garantie, d'expressions faubouriennes ou argotiques peu suspectes de complicité avec la culture dominante, ses pompes et ses oeuvres. De fréquentes références aussi aux appétits les plus immédiats, alimentaires, défécatoires, sexuels, témoins irrécusables de sincérité et d'authenticité.

L'organisation de la phrase prétend davantage encore. Dégagée de sa charpente syntaxique, retravaillée et habilement remontée, elle suit apparemment le mouvement émotionnel spontané des personnages et des témoins, avec ses interférences inattendues, brutales, incongrues, et avant tout arbitrage de la conscience.

La ponctuation participe enfin à la même entreprise : suppression fréquente des aiguillages classiques, panneaux indicateurs et autre police de la phrase, liés à la conscience discursive. Cette ponctuation est même souvent réduite, dans les ouvrages ultérieurs, aux seuls points de suspension, d'exclamation et d'interrogation, espaces du non-dit où s'engouffrent librement l'émotion et la réflexion du lecteur.

Le mouvement général du discours, celui des personnages ou celui du narrateur, rencontre ainsi avec bonheur celui du lecteur séduit : il doit convenir qu'on parle ici de lui, et que c'est lui-même qui en parle, il est simultanément lecteur, acteur, auteur.

L'innocence du procédé n'est pourtant qu'apparente. Ni les néo-vocables, mixtures d'anciens aux sonorités évocatoires (le néologisme actuel "sidaïque" par exemple), ni les images boulevardières n'ont la moindre signification hors de la culture commune. Moins encore les appétits prétendument élémentaires et lourdement suggestifs. Chez Céline, les nouilles, la merde et le sperme sont partout à leur place, centrale, mais avec leur odeur de petite madeleine rancie dans les bas-fonds de l'enfance commune et de l'élevage ordinaire.

Aucune innocence non plus dans la construction de la phrase célinienne. Suggestions émotionnelles et associations d'idées ne sont ni hasardeuses ni fortuites. Elles relèvent de mécanismes bien connus des concepteurs publicitaires et des prédicateurs. Ces mécanismes se construisent hors de la conscience, au cours du dressage familial et scolaire. Ils s'entretiennent dans la culture qu'ils contribuent en retour à maintenir. Des associations de mots, d'idées peuvent être ainsi prévues et imposées, à partir d'images apparemment anodines ; et des conclusions s'imposent, avec toute la force de l'évidence, dans le silence des points de suspension. Ces conclusions, suggérées mais non exprimées, ne sont pourtant que celles du lecteur. Aucune controverse possible : c'est un discours sans réplique.

Céline a souvent comparé son mode d'écriture à une "petite musique", construction linéaire vide de concepts, suivant des cheminements purement émotionnels, et échappant à tout contrôle de la conscience. L'application au langage de la technique musicale (valeur évocatoire des mots, suggestions émotionnelles, associations d'images, rythme et reprise des thèmes) transforme ce qui se fait passer pour un exposé, en un bloc expressif compact à l'abri de toute réfutation possible. On ne peut jamais critiquer ce qui est exprimé ici, on ne peut que dénoncer cette forme et, à travers elle, tout ce qu'elle sert à faire passer.

Quelque vingt ans plus tard, Céline avouera cyniquement à ses lecteurs à quoi lui aura servi cette machinerie linguistique. Dans les Entretiens avec le Professeur Y, il explique à son interlocuteur - qu'il appelle sans raison explicite, "colonel" - l'avantage particulier de sa "petite musique" : manipuler les lecteurs "ensorcelés", grâce à des "rails truqués", "biseautés", afin d'entraîner "les foules et le monde entier" là où il souhaite les mener.

Dans les mêmes termes, c'est "derrière le colonel et sa musique" que Bardamu, le malheureux héros, ensorcelé, s'engage dans le piège de la guerre avant de s'avouer bientôt, mais trop tard, "fait comme un rat". "Céline n'est pas Bardamu" a justement noté, dès 1933, Léon Daudet. Il joue déjà sa petite musique au service de futurs colonels, et sa forme d'écriture n'est, de son propre aveu, qu'une machine à décerveler.

Tel aura donc été l'art de Céline : une forme d'écriture faussement innocente et consciemment manipulatrice au service d'une révolte soigneusement désarmée. On ne s'étonnera pas qu'un tel artiste ait su faire de sa propre biographie une oeuvre d'art construite selon le même procédé.
Les vérités cachées sur le 11-septembre : http://www.youtube.com/watch?v(...)AIb7Y
Perfect Tömmy
Citation:
Et qui prend encore au sérieux les universitaires (sérieux ou pas sérieux) ?


Tout est dit.

Citation:
Mais thunders nous ressort juste des passages entiers du livre de Bounan dans le but de nous convaincre que Céline était raciste, antisémite et, surtout, de droite... (merde on l'avait pas remarqué...).


En effet.

Thunders, le bouquin de Bounan, je l'ai lu voilà longtemps alors que je découvrais Céline, en fac. Tu ne m'apprends rien de ses idées. Et puisque tu veux m'apprendre qui est Alméras, voici sa réponse à Bounan, laquelle dit en substance sur Bounan ce qu'Azazello remarque sur tes posts.

http://louisferdinandceline.fr(...)s.htm

Céline antisémite ? Affirmatif. Et quoi d'autre ? Céline vendu à un complot économico-politico-policier ? Et pourquoi pas judéo-maçonnique tendance Illuminati de Bavière ?

"A force de combattre le Dragon, on devient soi-même Dragon"
Invité
  • Invité
je suis fan de Céline , faut dire que la plupart de ses detracteurs n'ont jamais lu une de ses oeuvres

à quand un nouveau houellebeck ?
Yves du 9 4
Personnellement je ne lis plus ce qu'écrit thunders, un poste ça va, le deuxième en faisant beaucoup d'efforts, et bien avant le troisième, on se trouve assailli de frénétiques crises de bâillements, c'est terrible !

"C'est ronron, très ronron", comme qui dirait.

Sinon j'entamme le deuxième cantique de la Divine Comédie, le Purgatoire, il faut lire pour chaque chant la page des notes qui s'y rapporte, sinon on n'arrive pas au Paradis.
tschiiip.
Perfect Tömmy
A bin tien ! Je viens de le retrouver dans ma bibliothèque, le Bounan !
thunders
Azargoth a écrit :
Si c'est pas lui qui a dit ça, j'aimerai connaitre le nom de celui qui a écrit une chose pareille.

C'est bel et bien Céline qui écrivait cela dans La Presse médicale datée du 24 novembre 1928. L'article de Céline intitulé Les Assurances sociales et une politique économique de la santé publique était précédé d'un chapeau de la rédaction se désolidarisant d'un tel appel "en faveur de la militarisation de la médecine et de la classe ouvrière" ; et remarquant déjà la similitude de ses conclusions avec celles d'un "confrère de Dantzig". Ce document, qui témoigne sans ambiguïté des sympathies politiques de Céline (au moment où il écrivait déjà le Voyage) est peu connu aujourd'hui hors des chapelles céliniennes.

Le texte de 1928 sur les Assurances sociales, véritable préface à l'oeuvre de Céline - et à celle de son siècle - affichait déjà ce projet de révolte soigneusement désarmée : "ne pas s'opposer aux programmes audacieux de la gauche socialisante, mais, au contraire, se porter franchement bien au-delà des revendications collectivistes pour extraire de ces mêmes réformes tout ce qu'il faut pour consolider l'ordre établi."

Cf. Michel Bounan, L'Art de Céline et son temps, Allia, Paris, 1997.


Comprenne qui peut et qui veut.
Les vérités cachées sur le 11-septembre : http://www.youtube.com/watch?v(...)AIb7Y

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