pour expliquer la mentalité terriblement limitée des "citoyennistes" et autres gauchistes alter-mondialistes, il faut en revenir à une analyse élémentaire. les "citoyens" d'aujourd'hui se déplacent en automobile, travaillent avec des ordinateurs, se distraient dans des centres commerciaux et signent des hypothèques. mais en même temps, ils créent les relations sociales de l'environnement où ils travaillent, se déplacent, s'endettent et se distraient.
ils créent aussi les catégories abstraites de ces mêmes relations : "citoyenneté", "démocratie", "mouvement social", "état de droit", "sécurité citoyenne", etc. eh bien, ces catégories, ces idées, n'ont pas toujours existé : elles sont historiques et elles correspondent à la façon qu'a une classe sociale bien determinée de décrire une situation sociale qui commence à lui devenir hostile. ou dit autrement : ces catégories correspondent à la conception du monde de cette classe au moment où celui-ci s'écroule.
le problème pour cette classe sociale qui n'en est pas une - la classe moyenne moderne - apparaît lorsqu'elle veut transformer ces catégories, fruit des relations capitalistes à un moment historique donné, en vérités intemporelles et universelles.
la classe en question, la classe moyenne moderne, reste enfermée dans son horizon limité incapable de comprendre ce qui se passe. et elle ne veut pas que cet horizon soit dépassé par qui que ce soit. elle désire les conditions de vie néocapitaliste sans ses conséquences. l'erreur provient du fait que pour la classe moyenne, l'homme de la rue, l'individu moyen déclassé - le pacifique et petit-bourgeois contemporain baisé de tous les côtés - est l'être social par excellence. elle ne peut imaginer une société sans une majorité d'hommes et de femmes communs, dociles, braves électeurs et frustrés.
au lieu de voir dans les crises actuelles, le conflit insoluble entre forces de destruction incontrôlées et relations sociales chaque fois plus inhumaines, au lieu de voir le violent état de siège qui approche, nos "indignés" voient des problèmes qui sont résolus par des formules magiques du genre "revenu basique inconditionnel", "développement durable", "crédit aux entrepreneurs", "décroissance" ou "démocratie participative", formules qui doivent être mises en place par l'état. pour changer la société réelle, il suffirait de changer les formules actuelles par de nouvelles, sans toucher à l'état, ni subvertir les relations sociales au moyen d'une révolution.
une de ces formules magiques est la "démocratie économique", à savoir, un parlement plus diversifié avec un gouvernement assez fort pour que l'état passe de serviteur à superviseur du capitalisme. sur le caractère qu'adoptera l'état après cette transformation magique, il y a plusieurs points de vue : les uns prétendent transformer l'état en super-employeur et grand financier, dans le style stalinien. d'autres, en simple moteur de l'économie, dans le style social-démocrate.
quoi qu'il en soit, l'état citoyenniste est devenu la marotte des nouvelles classes moyennes (et du prolétariat déclassé et domestiqué) lorsque la paix sociale qu'ils offraient en échange d'une place au soleil de la consommation est devenue trop chère pour le capital.
les grandes transformations socio-économiques des 20 dernières années ont supprimé en grande partie l'intégration dans le marché du travail des enfants issus de la classe moyenne et mis un terme à ses aspirations de promotion sociale. pourtant, les enfants des classes domestiquées ne veulent plus briser les chaînes de classe comme en 1968, mais au contraire les renforcer. aujourd'hui, il semblerait que la liberté dépende du fait d'avoir un salaire, pas d'en finir avec la travail salarié ; d'accéder à une hypothèque, au lieu d'abolir l'argent ; d'être sous la tutelle de députés, pas de dissoudre les parlements ; de demander la protection de l'état, au lieu de le détruire.
cette contradiction se répète lors de toutes les époques grosses d'un conflit social : les classes en décomposition n'ont jamais accepté de se prolétariser, ce qui fait qu'elles adoptent des idéaux et des consignes propres à leur période ascendante ; mais leur fonction a disparu et leur futur n'existe plus.
la vraie question est de savoir si la décomposition de ce conglomérat de 10 ou 12 millions d'électeurs progressistes qui alimentait le système de partis "de gauche" servira à allumer les feux de la lucidité d'où sortira le sujet révolutionnaire qui exécutera la sentence contre l'intolérable société capitaliste ou si, au contraire, elle alimentera les illusions suicidaires sur la réformabilité du régime.
le problème fondamental est celui de la conscience, qui dans ce cas passe par la mémoire. pour que se réalise dans la société un projet de désertion et d'auto-défense, le passé révolutionnaire doit faire acte de présence. la rencontre du sujet révolutionnaire contemporain avec ses racines historiques rendra possible le retour des classes dangereuses sur le devant de la scène sociale.
bibliographie : miguel amoros, "salida de emergencia".