Un édito du 14/07
Hommage aux gros nuls recalés du bac
Les résultats stratosphériques de l’édition 2021 du baccalauréat, avec 93 % de réussite, semblent irréels. Un bilan pareil est pourtant la conséquence logique de la disparition du redoublement. À l’école, l’échec a disparu. Tout le monde réussit tout. On écrivait la semaine dernière que Macron avait aboli la vieillesse, on peut ajouter que l’Éducation nationale a aboli l’échec. Nous sommes tous des êtres parfaits, sans aucune faiblesse, sans aucune lacune. Nos connaissances sont complètes, notre logique ne se trompe jamais et notre mémoire est digne d’un ordinateur. Avec 93 % de réussite au bac, nous approchons de la société parfaite. Le contrôle continu, qui remplacera probablement un jour l’examen final, nous épargne de sortir du cocon rassurant de notre lycée avec nos profs sympas, et de nous jeter dans l’inconnu, corrigés par des enseignants anonymes qui ne connaissent rien de nous, à part notre copie qu’ils ont sous les yeux. Être jugé par des inconnus, ça fait flipper. Un peu comme lorsqu’on publie pour la première fois ses dessins dans un journal. Le lecteur sera aussi impitoyable que le correcteur sans visage du baccalauréat. La vie, quoi.
Donc, nous approchons de la société parfaite. Ou plus exactement, nous ne savons plus comment dire à quelqu’un qu’il a échoué, qu’il se trompe, qu’il n’a pas assez lu, qu’il n’a pas assez travaillé. Bref, qu’il est un tocard. Car c’est le sentiment douloureux qu’avaient les recalés du bac quand ils voyaient leurs camarades jubiler devant le tableau des résultats. Ils ont réussi, et moi j’ai échoué car je suis un gros nul.
Constat cruel, mais qui souvent était proche de la réalité. Car qu’y a-t-il de mal à faire comprendre à un élève qu’il a échoué, si c’est vrai ? Si hier j’étais mauvais, demain, avec un peu plus de travail, je ne le serai plus. Le bac donné à 93 % d’élèves qui n’ont jamais redoublé leur fait croire qu’ils sont bons du début jusqu’à la fin de leur scolarité. Sauf que cela n’existe pas. Le bac avec 93 % de réussite est une fiction qui s’ajoute aux autres fictions de notre temps. La PMA et la GPA nous font croire que nous pouvons tous concevoir des enfants de manière égale. La transition énergétique nous fait croire qu’on va conserver notre mode de vie en échangeant nos voitures Diesel contre des voitures électriques. Les réseaux sociaux nous font croire que nous avons des amis partout dans le monde. Les théories sur le genre nous font croire qu’à l’âge de 7 ans on est capable de choisir si on est un homme ou une femme, et même de décider de se faire opérer de manière irréversible. Les escrocs de l’islamophobie nous font croire que l’intolérance religieuse n’existe pas dans l’islam, alors qu’elle est présente dans toutes les autres religions.
Le point commun entre toutes ces illusions, c’est de ne pas décevoir les gens. Il ne faut pas leur dire la vérité, il ne faut pas les confronter à leurs limites. Car les limites, c’est de droite, c’est réac, c’est fasciste. Si vous êtes de gauche, vraiment de gauche, il faut faire plaisir aux gens, en répondant toujours « oui » à tout ce qu’ils désirent, à tout ce qu’ils croient être, même si cela est faux. Il ne faut pas désespérer Billancourt. Certains croient qu’être de gauche consiste à dire au peuple uniquement ce qu’il veut entendre. C’est-à-dire lui mentir. Dans les années 1970, le slogan du Parti socialiste était « changer la vie ». Aujourd’hui, une bonne partie de la gauche a comme slogan « mystifier la vie ».
93 % de réussite au bac, ce n’est pas une bonne nouvelle, c’est même une nouvelle terrifiante, car l’échéance de l’échec et de la désillusion est juste repoussée à plus tard, en attendant la catastrophe finale.
Il y a quelques années, lors d’un reportage aux États-Unis, on m’avait raconté l’histoire d’un étudiant de l’université Columbia qui n’était pas très brillant, mais à qui personne n’osait dire la vérité. Pendant toute sa scolarité, il avait baigné dans cette ambiance typiquement anglo-saxonne où on encourage chaleureusement les élèves, qu’ils remportent des succès ou essuient des échecs, à grands coups d’embrassades puériles. La vérité, c’est qu’il n’était pas au niveau qu’il croyait être le sien. Et puis un jour, alors qu’il voulait entamer des études artistiques bien au-dessus de ses capacités réelles, un prof prit son courage à deux mains et, après bien des contorsions pour ne pas le heurter, lui fit comprendre qu’il ne serait pas capable de suivre le cursus qu’il envisageait. Depuis le début de sa scolarité, c’était peut-être la première fois qu’il avait en face de lui quelqu’un qui lui disait la vérité, honnêtement et sincèrement. L’histoire finit bien mal. L’étudiant se suicida. Personnellement, je suis bien content de faire partie d’une génération qui n’avait que 67 % de réussite au bac.
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