ES125er a écrit :
Colonel Blues a écrit :
Saloperies de religions qui ne servent qu'à soumettre et fanatiser, pour trucider et s'enrichir au passage…
Pas sûr que la victime, elle-même très religieuse, aurait apprécié ce genre de discours.
Oh, que oui...
Les Soufis, et l'assassinat d'Amjad Sabri nous en offre un symbole terrible, sont parmi les premières victimes des autarcies de pensée (et le mot est déjà suspect dans ce contexte...) à l'œuvre chez les terroristes qui revendiquent les étiquettes plus ou moins schismatiques travaillant et tordant l'Islam de l'intérieur (la Oumma, la Sunna et le sunnisme, les Hadîths, les chiismes, le salafisme, le wahhabisme... etc...) pour donner une apparence d'enracinement à leurs dérives et à leur inculture également meurtrières qui commencent au sein même de leurs propres communautés ; parmi lesquelles, ignorances plus ou moins totales de l'arabe classique dont le Coran constitue quasiment la grammaire originelle ; ignorances crasses des trésors poétiques, philosophiques, anthropologiques qui essaiment l'histoire des civilisations arabes, perses ou farsies, turkmènes... et revendications hautement proclamées de ces ignorances, de ces enfermements qui leur permettent de décapiter entièrement, avec lenteur, un homme au couteau pour le jeter ensuite dans un puisard, moins qu'un déchet...
J'ai eu le bonheur extrême de connaître l'immense Nusrat Fateh Ali Khan dont je ne peux pas me rappeler un certain concert en 1993, un des très rares en Europe cette année–là, à Cherbourg, au théâtre à l'italienne, sans revivre sa lévitation et en avoir la gorge aussitôt nouée, Nusrat l'homme le plus doux du monde...le prince du Qawwalî qui vient de perdre aujourd'hui, en Amjad Sabri, un de ses plus grands héritiers.
Alors, deux mondes, si lointains si proches, pour les honorer et m'incliner :
«Je désire ces nuages de poussière qui viennent de ton air.
Peut-être alors qu’arrivera à mes yeux la poussière de tes pas.
Mon âme se réjouit et sourit de ton hostilité
Car de ton hostilité me vient le parfum de ta fidélité.
Quand nous rejetons de notre tête la couronne de l’égoïsme,
Alors nous commençons à te servir.
Nous avons beaucoup pleuré, et la séparation a ri.
Maintenant, le moment est venu pour elle de pleurer, et pour nous de rire.
Nous sommes ceux qui sont contents, sans or et sans richesses,
Nous sommes tranquilles dans la douleur, et paisibles dans la peur.
Jusqu’au dernier tour du firmament, nous demeurons heureux malgré la soumission.
Ne crois pas que nous soyons, comme toi, contents à demi.
Je suis heureux quand je suis triste.
Alors que je suis détruis, je suis content.
Quand je suis tranquille et silencieux comme la terre,
Mon cri, comme le tonnerre, monte jusqu’au firmament.»
(Djalâl-od-Dîn Rûmî, 1207–1273 EC, tiré des "Rubâi’Yât")
Puis,
«On me crie de Seïr,
"Veilleur, où en est la nuit ?
Veilleur, où en est la nuit ?"
Et le veilleur dit :
"Le matin vient,
Et la nuit aussi.
Si tu veux interroger,
Interroge. Reviens...
Reviens"...»
(Livre d'Isaïe, 21, 11–12)
Le reste des ironies propres à ce lieu m'indiffère.
Les mots me manqueront de toute façon pour leur répondre.
Mais, je me figure assez bien quand même, la juste colère, quoique aveuglée, de notre
Colonel.
«Wir leben unter finsteren Himmeln, und –es gibt wenig Menschen. Darum gibt es wohl auch so wenig Gedichte. Die Hoffnungen, die ich noch habe, sind nicht groß. Ich versuche, mir das mir Verbliebene zu erhalten. »
Paul Celan, 18 mai 1960, Lettre à Hans Bender.