Et moi j'dis qu'il faut pas confondre l'intellect et le savoir.
Il doit bien avoir des intellectuels malhabiles de leur cervelle comme peuvent l'être certains maçons de leur truelle.
Mais faut pas croire que je méprise les intellectuels. Ça doit bien dépendre desquels et aux pires je les ignaaare.
Jean Sévère était fort ivre.
Ô barrière ! ô lieu divin
Où Surène nous délivre
Avec l'azur de son vin !
Un faune habitant d'un antre,
Sous les pampres de l'été,
Aurait approuvé son ventre
Et vénéré sa gaieté.
Il était beau de l'entendre.
On voit, quand cet homme rit,
Chacun des convives tendre
Comme un verre son esprit.
À travers les mille choses
Qu'on dit parmi les chansons,
Tandis qu'errent sous les roses
Les filles et les garçons,
On parla d'une bataille ;
Deux peuples, russe et prussien,
Sont hachés par la mitraille ;
Les deux rois se portent bien.
Chacun de ces deux bons princes
(De là tous leurs différends)
Trouve ses États trop minces
Et ceux du voisin trop grands.
Les peuples, eux, sont candides ;
Tout se termine à leur gré
Par un dôme d'Invalides
Plein d'infirmes et doré.
Les rois font pour la victoire
Un hospice, où le guerrier
Ira boiter dans la gloire,
Borgne, et coiffé d'un laurier.
Nous admirions ; mais, farouche,
En nous voyant tous béats,
Jean Sévère ouvrit la bouche
Et dit ces alinéas :
« Le pauvre genre humain pleure,
« Nos pas sont tremblants et courts,
« Je suis très ivre, et c'est l'heure
« De faire un sage discours.
« Le penseur joint sous la treille
« La logique à la boisson ;
« Le sage, après la bouteille,
« Doit déboucher la raison.
« Faire, au lieu des deux armées,
« Battre les deux généraux,
« Diminuerait les fumées
« Et grandirait les héros.
« Que me sert le dithyrambe
« Qu'on va chantant devant eux,
« Et que Dieu m'ait fait ingambe
« Si les rois me font boiteux ?
« Ils ne me connaissent guère
« S'ils pensent qu'il me suffit
« D'avoir les coups de la guerre
« Quand ils en ont le profit.
« Foin des beaux portails de marbre
« De la Flèche et de Saint-Cyr !
« Lorsqu'avril fait pousser l'arbre,
« Je n'éprouve aucun plaisir,
« En voyant la branche, où flambe
« L'aurore qui m'éveilla,
« À dire : « C'est une jambe
« Peut-être qui me vient là ! »
« L'invalide altier se traîne,
« Du poids d'un bras déchargé ;
« Mais moi je n'ai nulle haine
« Pour tous les membres que j'ai.
« Recevoir des coups de sabre,
« Choir sous les pieds furieux
« D'un escadron qui se cabre,
« C'est charmant ; boire vaut mieux.
« Plutôt gambader sur l'herbe
« Que d'être criblé de plomb !
« Le nez coupé, c'est superbe ;
« J'aime autant mon nez trop long.
« Décoré par mon monarque,
« Je m'en reviens, ébloui,
« Mais bancal, et je remarque
« Qu'il a ses deux pattes, lui.
« Manchot, fier, l'hymen m'attire ;
« Je vois celle qui me plaît
« En lorgner d'autres et dire :
« Je l'aimerais mieux complet. »
« Fils, c'est vrai, je ne savoure
« Qu'en douteur voltairien
« Cet effet de ma bravoure
« De n'être plus bon à rien.
« La jambe de bois est noire ;
« La guerre est un dur sentier ;
« Quant à ce qu'on nomme gloire,
« La gloire, c'est d'être entier.
« L'infirme adosse son râble,
« En trébuchant, aux piliers ;
« C'est une chose admirable,
« Fils, que d'user deux souliers.
« Fils, j'aimerais que mon prince,
« En qui je mets mon orgueil,
« Pût gagner une province
« Sans me faire perdre un oeil.
« Un discours de cette espèce
« Sortant de mon hiatus,
« Prouve que la langue épaisse
« Ne fait pas l'esprit obtus. »
Ainsi parla Jean Sévère,
Ayant dans son coeur sans fiel
La justice, et dans son verre
Un vin bleu comme le ciel.
L'ivresse mit dans sa tête
Ce bon sens qu'il nous versa.
Quelquefois Silène prête
Son âne à Sancho Pança.
Victor Hugo.
Le bonheur rangé dans une armoire