Peux-tu te présenter et nous expliquer comment est née Ligérie Guitares ?
Tout d’abord, nous sommes deux à l’origine de Ligérie, mon ami Sylvère et moi-même. Le nom Ligérie est un hommage à la Loire que les Romains appelaient
Quel est ton parcours professionnel / technique et ce qui t’a amené à cette activité ?
Côté professionnel, j’ai un cursus de designer industriel, un métier créatif et technique à la fois, et j’ai travaillé pas mal d’années en tant que designer/graphiste dans une société privée. Mon rapport à la lutherie est venu quand j’ai commencé la guitare. Ma première gratte s’est très vite retrouvée démontée pour examen et j’ai tout de suite eu envie de m’en fabriquer une avec mon propre design. Mon père m’a appris le travail du bois (que j’ai dès lors commencé à stocker et faire sécher) et je me suis formé par toutes les ressources disponibles : livres, forums internet, conseils de pros.
Au fur et à mesure des années, ce loisir est devenu une passion très envahissante, je passais mon temps à imaginer des guitares, les dessiner, chercher du
Quelles sont tes influences musicales ?
Côté musique, je suis assez éclectique mais je préfère quand il y a de la guitare et que c’est joué avec les tripes. J’aime le rock’n’roll assez brut, le punk, le stoner, le hard, le heavy metal et j’ai un gros faible pour le rock français. Je suis aussi un inconditionnel de -M- depuis ses débuts, ce mec est un dieu de la gratte bien sûr ! J’avoue, j’aime aussi le glam mais qui peut résister à un legging léopard fluo ? Bref, il y a du choix. Mon pèlerinage annuel c’est le Hellfest, ça donne une idée ?
Quelle a été la première guitare et/ou basse que tu as possédée ?
Et bien la toute première, celle qui fut démontée et transformée, c’était une Hondo H-76. Une copie de Strat japonaise dans années 80 avec un seul humbucker en position chevalet (qui a lui aussi a fini en miettes sur l’autel de l’expérience scientifique). J’adorais le manche, très fin et parfait pour débuter à la guitare. J’ai donné le corps d’origine à un autre luthier amateur et le manche est toujours sur ma première Funkycaster (oui c’est son petit nom).
Et celle que tu as fabriquée ?
Eh bien c’est la même. D’ailleurs c’est elle qui sert de base au nouveau modèle Sauvignon qui vient de sortir ! Le corps était en aulne, un arbre coupé sur un terrain de famille avec mon père et séché à la maison, le reste des pièces, c’est de la récup et l’accastillage est en inox fait maison.
Si on parle de Ligérie, le tout premier instrument est une basse avec un corps inspiré de la Gibson RD en frêne, un manche en 3 pièces d’érable et une touche en noyer. Elle est visible dans la rubrique Ligérie Fine de notre site, c’est la première commande sur-mesure, la n°0000 (un futur collector).
Quelle est la particularité, la valeur ajoutée de tes fabrications ?
Etant deux designers, nous avons apporté du soin aux dessins de nos modèles. Nous n’avons pas voulu forcément faire trop original, c’est toujours un peu risqué quand on connait les musiciens, mais travailler les détails pour que nos instruments semblent familiers. On aime les instruments simples, et avec une ergonomie bien pensée.
Côté bois, notre originalité vient du fait que nous ne travaillons qu’avec des bois français (sur les modèles de série). Donc en dehors du côté éthique et local, on a des couleurs et textures que l’on voit rarement sur les instruments habituels. On a plein de bons bois de lutherie en France, pourquoi s’en priver ? Nous avons un des plus beaux patrimoines de ce côté-là, et il a l’avantage d’être géré.
Tous nos instruments sont personnalisables à la commande : micros, électronique, finition, tirant de cordes… Ce qui est assez rare sur des gammes standard, mais en travaillant en toute petite série on peut laisser cette liberté. Petit “détail“ également mais chaque instrument est réglé aux petits oignons en fonction des choix faits à la commande.
Avant tout, ton travail tente de toucher quel public ? Musiciens amateurs, confirmés ou pro ?
Le simple fait d’être une marque alternative et fabriquée en France limite la clientèle. Notre clientèle est principalement constituée de musiciens confirmés et professionnels, ceux qui essaient les instruments avant d’acheter et qui jugent avec leurs oreilles et leurs doigts avant les yeux. On aime dire qu’on fabrique des “outils de rock’n’roll“, parce que nos instruments sont conçus pour être là quand on a besoin d’eux, pour la scène, pour le studio. Qui peut le plus, peut le moins, n’est-ce pas ? Donc même pour jouer seul dans une chambre de bonne, ça passe.
Tu viens de lancer tout récemment la Sauvignon qui, comme toutes vos guitares de série, est personnalisable en Custom Shop. Il semble que la personnalisation de sa guitare est de plus en plus proposée par certaines marques industrielles, comment perçois-tu cette tendance ?
Ça nous conforte dans notre idée bien sûr ! Mais nous savions déjà qu'elle était bonne. Sur une guitare ou basse électrique, il y a plein de pièces qu'on peut très facilement interchanger, les "bidouilleurs" (qu'on a été et qu'on est toujours) le savent bien. C'est pourquoi nous n'avons pas attendu de tendance pour intégrer cette donnée au cahier des charges de tous nos instruments. Nous aimons le fait que nos instruments puissent évoluer dans le temps, et nous avons également un rôle de conseil et d'écoute pour que chaque instrument réponde aux attentes du client.
Tu proposes également l’entretien et la réparation. De par ton expérience, les musiciens entretiennent-ils suffisamment leur instrument ou est-ce qu’il y aurait encore une “éducation“ à faire à ce niveau ?
L’entretien et la réparation sont une base de connaissance très importante en plus d’être un service. On voit passer des guitares que l’on n’aurait jamais eues entre les mains et on peut observer ce qui est bien conçu dessus (ou pas), ce qui fait leur particularité. Un instrument ne peut pas donner le meilleur de lui-même s’il n’est pas réglé, pour nous (les luthiers) c’est évident, mais effectivement pour les musiciens ça n’est pas toujours très parlant. En plus de ça il existe encore trop de “légendes“ diffusées sur le web que beaucoup vont absorber sans autre point de comparaison. J’essaie souvent d’expliquer aux musiciens ce que je règle, ce que ça fait, et ce qu’ils peuvent aussi régler seuls chez eux. Pour moi c’est important que le musicien connaisse son instrument et ses possibilités car c’est lui le créatif.
Le guitariste lambda se représente souvent les guitares et basses de luthiers comme quelque chose d’inaccessible et réservé à une élite. Que pourrais-tu dire pour ce qui concerne les gammes que tu proposes ?
Oui il y a une sorte d’imaginaire collectif dans lequel la “guitare de luthier“ n’est pas abordable pour le commun des mortels. Je pense que beaucoup s’imaginent un instrument très complexe, plein de détails et de choses sur mesure. Mais les luthiers font aussi du simple, et là c’est forcément moins cher ! D’ailleurs, je ne me considère pas vraiment comme un luthier au sens de l’homme de l’art, mais juste un fabricant de guitares avec un meilleur rapport qualité/prix que les modèles industriels. Sur nos instruments standards on a essayé de calculer les prix au plus juste mais il n’y a pas de miracle pour en arriver là : optimisation de la conception et de la fabrication, éléments et découpes standard, pas de fioritures, finitions simples, marketing DIY et vente directe.
Après sur du sur-mesure la démarche est un peu plus différente, on prend plus de temps pour l’écoute du client, parfois on redessine un modèle de A à Z, on a un suivi de la fabrication en photos, des rdv intermédiaires pour valider certains choix comme le profil du manche par exemple… et forcément le prix n’est pas le même qu’un modèle standard où tout est déjà fait d’avance !
Tu seras exposant au Salon de la Belle Guitare à Montrouge fin mars prochain où seront exposés les modèles haut de gamme d’artisans aux côtés de ceux des marques industrielles. Penses-tu qu’un événement comme celui-là peut justement contribuer à rapprocher ce même guitariste lambda des fabrications artisanales ?
Ça sera notre première participation à ce salon, mais on est un peu novice en salon spécialisés, on est plus habitués aux stands sur des concerts ou festivals, en mode bière et rock’n’roll. Je trouve que c’est une bonne chose de faire des salons où industriels et artisans se rejoignent mais je ne suis pas sûr que ça change grand-chose car, en général, le public qui vient à ce genre d’évènement est déjà un public averti mais ça montre une ouverture d’esprit des marques et surtout des organisateurs. Je pense qu’il serait également intéressant que ce rapprochement entre artisanat et industrie soit aussi fait du côté des magasins, car ce sont eux la première vitrine (et souvent la seule) que le guitariste lambda voit. Je pense qu’ils peuvent être la clé de “l’éducation à la guitare“.
Quelle est ton actu et/ou tes projets à court et moyen terme ?
Pas mal de choses de prévues oui, ça bouge en Ligérie ! Pour l’instant la priorité est de bien faire ce dernier modèle qu’est la Sauvignon, elle est très atypique dans le son et peut apporter quelque chose de nouveau. Elle sera déclinée en version Grand Cru au cours de l’année.
Autre gros chantier, le déménagement de l’atelier. Le permis a été accepté pour construire notre propre local, on sera bien mieux que dans un vieux garage ! Nous serons aussi sur divers festivals et concerts dans la région Centre Val de Loire, donc suivez les news sur les réseaux sociaux.
Et puis à plus long terme, l’objectif est de travailler à temps plein à au moins 2 personnes à l’atelier, élargir la gamme de basses, affiner nos modèles existants et pouvoir gérer notre propre matière première. Ouvrir une division bûcheronnage ça serait le pied !
Quels sont les problèmes majeurs que tu as rencontrés ou que tu rencontres encore depuis le lancement de ton activité ?
Comme tout artisan ou petite entreprise, un problème de notoriété et de visibilité. L’effet est accentué dans le monde de l’instrument de musique car même sur un instrument aussi jeune que la guitare électrique, il existe des codes dictés pendant des années par les grands industriels à grand coup de marketing très poussé et intense (et surtout de gros billets pour le financer). Ils ont fait l’éducation d’une grande majorité de musiciens et sortir de leurs standards
est assez compliqué, que ce soit sur le design de l’instrument ou sur les matériaux employés. Mais on tient bon, et on explique, ça viendra.
Penses-tu d’une manière générale que la presse et les pouvoirs publics s'intéressent suffisamment à l'artisanat ?
Il y a un regain d’intérêt général pour les créations artisanales depuis quelques années, une sorte de “mode“ du made in France. C’est plutôt encourageant, ça met les petits fabricants en lumière et le public est surpris de voir tout ce qui se passe à côté de chez eux. Les gens ne mettent pas trop le nez dehors au final, donc oui, il faut que la presse en parle !
Du côté des pouvoirs publics c’est la même chose, du moins c’est assez marqué à échelle régionale. Il existe des subventions à la création et le fait d’avoir un projet qui sort un peu de l’ordinaire peut aider. Ce qui manque c’est un vrai label officiel “fabriqué en France“, quelque chose qui soit clair. Aujourd’hui par exemple, même de l’assemblage de pièces fabriquées à l’étranger a officiellement le droit d’être estampillé “Made in France“… Même si des produits assemblés peuvent être de très bonne facture, c’est toujours rageant d’être comparés quand on s’applique à tout fabriquer de ses mains.
Le mot de la fin, ton message à la communauté de Gcom ?
Pensez par vous-mêmes et expérimentez !
En voir et en savoir plus sur les fabrications de Clément et Sylvère
Sur le site
Ligérie Guitares
Dans le
Topic Pro Ligérie Guitares dans le forum
Les modèles Ligérie Guitares exposés dans le
show room du salon de la Belle Guitare à Montrouge
Cette rubrique est destinée à mieux faire connaître les artisans présents en Topic Pro dans nos forums. Si vous souhaitez plus d'infos sur ce service pour vous aussi être présenté en [Pleins Feux sur], écrivez à Caroline à l’adresse caroline[@]guitariste.com (retirez les crochets).