jean-pierre baudet, camarade du regretté francis pagnon (
en évoquant wagner), vient de publier un nouveau texte,
"de la musique comme champ de vérité" :
http://www.lesamisdenemesis.com/?p=1561
Et, comme l’avait fait observer Günther Anders, loin de transcrire des états affectifs préexistants, la musique est capable d’inventer des tonalités émotionnelles
qui n’existaient pas en-dehors d’elle. Creuser son matériau, le faire accoucher des possibles qu’il contient, choisir parmi eux, les développer dans un sens qui exprime leur nature, rester éloigné de la répétition mécanique, s’abstenir de tout formalisme, de toute règle artificielle, développer un premier accord au point d’en faire progressivement un essai, un roman, une pièce de théâtre, un parcours, un voyage, une vie. Laisser son œuvre trouver sa propre temporalité, sa scansion naturelle, déployer
l’histoire qui lui est intrinsèque. Toujours prolonger l’instant, et accepter quand on ne le peut pas : le donner à entendre, à comprendre.
La musique est ainsi capable d’inventer sa propre vie, de faire ce que ferait un homme débarrassé des contraintes que la société fait peser sur lui tant qu’elle ne lui appartient pas. Cette faculté d’
autopoïesis est le modèle d’une
production de vérité, du déploiement d’un sujet qui va vers sa propre réalisation et, simultanément, le rappel de l’absence, dans la réalité, d’une telle possibilité. Avec la disparition d’une musique capable de cela, condamnée à mener une existence muséographique, ce n’est certes pas un ferment de transformation sociale qui disparut, mais tout de même un miroir dans lequel l’homme pouvait se voir tel qu’il n’est pas, et tel qu’il pourrait être, une utopie sonore, depuis longtemps combattue par sa dégradation en luxe bourgeois.
Les musiques les plus libres sont probablement celles qui s’émancipent le plus du rythme, celles qui perçoivent et développent leur propre respiration, celles qui osent affronter le silence et lui ménager son espace.