Suite à l’acquisition d’une "John Lee Hooker Signature 1964 Sheraton", j’ai souhaité faire le tour de la documentation accessible sur cette guitare. Comme elle n’est pas d’un accès évident et qu'Epiphone s'amuse à brouiller les pistes, j’ai dû beaucoup fouiller. J’ai donc pensé qu’une petite compilation de mes recherches pourrait peut-être servir à l’un ou l’autre. Si des erreurs se sont glissées dans mon texte n’hésitez pas à me les indiquer, pour que je corrige.
La Sheraton ou E212T est une guitare produite à partir de 1958/59, soit, après le rachat d'Epiphone par Gibson (1957). D’où vient son nom ? Faut-il y voir une tentative d'identification au luxe des hôtels du même nom, comme le feraient les Riviera avec la Côte d'Azur et ses plaisirs, puis la Casino aux hôtels de jeux ? Quoiqu'il en soit, la Sheraton reprend la forme et les caractéristiques de la 335 sortie la même année, à savoir quart-de-caisse à double échancrure avec un renfort interne central (semi-hollow). Elles sont d'ailleurs produites dans la même usine de Kalamazoo. Au-delà du cordier, la Sheraton se distingue de la 335 par ses micros, à l'origine des simples bobinages New York provenant du stock Epiphone, puis, à partir de 1960/61 des mini-humbuckers Gibson. D'une finition plus poussée (touche, binding, pickgard), elle est commercialisée en 1964 de 580 à 645 dollars, à un prix bien supérieur à celui de la 335 (320/335 dollars). C'est peut être pour cette raison que seuls 600 exemplaires seront mis sur le marché entre 59 et 70. Les Sheraton sont aujourd'hui recherchées et bénéficient d'une cote élevée sur le marché des guitares vintage : 14 000 euros les toutes premières, 6 700 euros pour les modèles 65-70. Après une interruption, la Sheraton sera ensuite fabriquée de 1975 à 1994 au Japon, à Matsumoku, puis Terada. Elle n’est alors plus équipée de mini-humbuckers et la tête perd ses deux pointes. La Sheraton II sera commercialisée à partir de 1986 avec des humbuckers classiques et un stop tail à la place du frequensator.
En 1993/94, la Sheraton originale est rééditée pour la première fois, dans la série Nashville USA Collection, pour une série limitée de 250 exemplaires construits aux USA.
La " John Lee Hooker 1964 Sheraton " est donc une seconde renaissance du modèle mythique. Cette très belle guitare se revendique une parfaite réédition d'un exemplaire de 1964. On verra que pour quelques détails, ce n'est pas tout à fait la réalité. D’une qualité remarquable, elle est déclinée selon deux modèles jumeaux : l'un doté du fameux frequensator (USS1), l'autre d'un stop tail (USS2), ce qui est un premier anachronisme pour une copie 1964. Toutes deux sont proposées en sunburst ou en natural. La production est lancée en 1999/2000 dans le cadre d'un partenariat publicitaire avec le bluesman John Lee Hooker. La guitare porte en effet sur le cache du truss rod son nom inscrit dans l'ordre suivant pour s'adapter à l'espace disponible : John-Hooker-Lee. Le pickgard est sérigraphié dans une typo fantaisie "the boogie man". Au fond de la caisse, la fameuse étiquette bleue des modèles originaux reçoit la signature du maître du blues, une petite photo d'un JLH âgé, "Model: John Lee Hooker Signature 1964 Sheraton", "This Limited Edition instrument is hereby guaranteed..." et le numéro de série de la guitare tamponné "JLH 00XX".
Le prix de lancement de la guitare est alors particulièrement élevé : 3890 dollars/4340 euros au cours alors très élevé du dollar. Dès 2002, il se stabilisera à 2995 dollars/3440 euros. Les revues spécialisées lui réservent malgré son prix un accueil très favorable et la comparent aux meilleures 335 de Gibson ; ce que je ne peux que confirmer.
Le modèle aura toutefois une production très courte, John lee Hooker décédant en juin 2001. Il semble que le partenariat publicitaire soit alors partiellement rompu par les héritiers. Faut-il y voir une malédiction de la Sheraton ? La guitare figure toujours au catalogue 2001 avec, semble-t-il, les mêmes caractéristiques et la même dénomination, mais sans la référence à JLH remplacée par un epsilon sur le truss rod, pas plus que sur le pickgard et ou sur l'étiquette bleue marquée simplement "Sheraton reissue" et portant un numéro de série à huit chiffres sur une étiquette blanche. Elle restera ainsi au catalogue Epiphone jusqu'en 2005, peut-être pour écouler les exemplaires produits, peut-être pour sa rentabilité ou encore pour capitaliser sur l'image de marque d'une guitare haut de gamme.
Epiphone/Gibson, interrogé par mail, refuse de communiquer sur le nombre d'exemplaires sortis d'usine : confidential ! On est donc réduit à la rumeur d’internet avec toutes ses errances. En se fiant aux numéros de séries qui circulent, moins de 380 « vraies » JLH (USS1 et USS2) semblent produites. Certains avancent que les natural se limiteraient à 50… On observe que ces guitares sont très rarement proposées sur le marché de l'occasion, avec des cotes extrêmement variables (de 1500 à 3600 euros), selon notamment s'il s'agit d'une USS1 ou d’une USS2, d’une « authentique » JLH ou des modèles écoulés après sa mort. The official Vintage Guitar Price Guide 2016 lui donne aujourd’hui une cote globale de 2400 euros. L’argus de guitareelectrique.com donne pour sa part une valeur de 3300 euros.
Sa provenance exacte est là encore entourée de mystères. On dit de ces guitares qu'elles sont "AIUSA". Un autocollant stars and stripes au revers de la tête annonce en effet fièrement "Assembled in the USA". On perçoit bien qu' "assembled" n'est pas "made". Si le matériel publicitaire la plaçait lors de sa commercialisation, comme la Casino John Lennon, dans une gamme "Epiphone USA Collection", la publicité est là pour vendre du rêve. Que faut-il en déduire exactement ? On lit couramment sur les forums que la lutherie serait une production japonaise de l'usine de Terada fabriquant également la gamme Elitist. Transportée aux USA, elle serait achevée, accastillée, réglée et donc « nationalisée » dans les usines Gibson, bénéficiant par là de leur aura. « Assembled » pourrait même signifier que la caisse et le manche sont... assemblés au USA ; certains déclarant sans fournir de preuve que le vernis nitro serait apposé à Nashville. Pour compliquer le tout, les déclarations de Jim Rosenberg président d'Epiphone dans une interview de 2004 porteraient à croire que la Sheraton JLH serait produite à Nashville, sans référence aucune à une quelconque origine japonaise (omission ?) : « We still build out our USA collection such as the John Lennon Casino and the John Lee Hooker Sheraton in Nashville ».
Les caractéristiques
Second anachronisme, alors que le corps des premières Sheraton était en érable, la table de la John Lee Hooker 1964 Sheraton est composée de 3 plis épicéa-érable-épicéa ; le dos et les éclisses d’un 5 plis érable-tilleul-érable-tilleul-érable « contribuant à la douceur et à la complexité harmonique de cette guitare ». Les bois utilisés la distinguent également des Sheraton Elitist produites quasi simultanément de 2002 à 2008 à Terada au Japon qui n'utilisaient que l'érable. Le manche est en acajou massif et non en 5 parties comme sur les toutes premières Sheraton (1959-1960). Il ne s'agit toutefois pas d'un nouvel anachronisme ; j'ai pu constater qu'il était effectivement d'une pièce sur une 1963, une 65 et une 66, contrairement à ce qu'on lit sur la notice epiphonewiki. Les catalogues Epiphone de 1961 et 1962, précisent d'ailleurs que les Sheraton sont pourvues d'un manche en acajou. C'est donc en 61 que la Sheraton adopte le manche Gibson. En conformité de l'originale, la touche de la JLH est en palissandre, les blocks en nacre inscrits d’un triangle d’abalone. L’accastillage, doré, semble résistant. Les micros sont des mini-humbuckers avec des aimants Alnico V d’une netteté remarquable. Spécialement destinés a cette guitare, ils ne figurent pas à l’actuel catalogue Gibson et proviendraient d’un vieux stock de Kalamazoo.